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faire de rapides progrès à l'incrédulité, et l'incrédulité à la démoralisation d'une nation; car toute société qui remet en doute l'existence de Dieu, met la sienne en question.

Sans moralité publique, que deviennent l'institution du jury, le droit d'élire? quelles garanties de sa bonne foi peut donner le mandataire élu ?

Dans les classes abruties, l'intempérance est un excès né de la privation; les meilleurs conseils répétés n'en détruiront pas l'habitude, tant qu'une meilleure administration municipale ne fera pas pénétrer l'aisance dans ces classes, et qu'une bonne instruction élémentaire ne sera point considérée comme le premier devoir de tout citoyen jaloux de l'exercice de ses droits.

Ces considérations sont de premier ordre; elles appellent toute l'attention du gouvernement.

1 L'ignorance met la liberté en péril.

La rouille qui ronge le fer d'une machine exerce sur lui une action moins destructive que l'ignorance populaire sur les engrenages du système représentatif. Comment veut-on qu'il fonctionne, quand toute sa force est employée à vaincre la résistance?

En France, les instituteurs de la jeunesse n'occupent pas, dans la hiérarchie administrative et sociale, la place que leur assigne l'importance de leur mission.

De là l'une des plus graves difficultés que rencontre l'établissement de l'ordre moral.

C'est moins par des lois, reposant presque toujours exclusivement sur des circonstances passagères et sur des intérêts mobiles, que les mœurs d'un peuple s'améliorent, que par une instruction convenablement appropriée à la constitution qui le régit ou doit le régir. Cette affirmation, d'une vérité absolue, reçoit encore une application plus directe lorsqu'il s'agit d'un pays qui, de la forme monarchique absolue, a passé révolutionnairement au régime monarchique représentatif.

Un gouvernement qui se tranforme ne se fonde, ne se consolide, ne se perpétue que par un système d'instruction publique mis en harmonie avec ses principes fondamentaux; ainsi, dans un gouvernement représentatif dont la base est l'élection populaire, tout doit tendre essentiellement à préparer la jeunesse, par des études spéciales, à l'exercice des droits qu'elle est appelée à remplir, et à la pratique des devoirs que l'intérêt commun et communal lui imposera.

Dans un gouvernement représentatif, l'instruction publique à tous ses degrés, et quelle que soit la diversité des noms qu'on lui donne, doit être essentiellement parlementaire. Inculquer aux générations, dès leur berceau, l'amour et le respect de la constitution fondamentale, et les former à l'habitude de la parole; voilà quel en devrait être le caractère distinctif.

Chez un peuple dont le Code prescrit l'égalité des partages de succession, et tend conséquemment à la division indéfinie des fortunes les plus compactes; chez un peuple dont l'esprit en est venu à ce point de ne plus admettre aucune idée de priviviléges héréditaires, l'instruction publique ne doit plus rester ce qu'elle était à l'époque où les fortunes étaient substituées, les carrières obligées, les vocations contraintes, où certaines classes étaient privilégiées à l'exclusion des autres; l'instruction doit alors cesser d'être uniforme pour devenir aussi variée que la diversité des professions; elle doit cesser d'être classique pour devenir professionnelle; car, plus les fortunes se diviseront, plus l'obligation de spécialiser l'instruction deviendra rigoureuse.

L'époque n'est pas éloignée où, sous peine de voir dépérir l'enseignement public et renaître l'ignorance dans les classes moyennes, il faudra abaisser le prix que coûte l'instruction donnée dans les colléges. L'instruction classique d'un enfant est une dépense variable de 10 à 20,000 fr. au moins, dépense qui déjà ne représente plus son équivalent, car les carrières qu'ouvrait autrefois l'instruction universitaire sont maintenant obstruées, et, quant au petit commerce et aux arts manuels, il n'y a pas de doute que, pour y prospérer et assurer le bien-être d'une famille, un capital sagement économisé de 10 à 20,000 fr. ne soit plus utile que le diplôme dispendieusement acquis de bachelier ès-lettres.

EXPÉDITIVE et ÉCONOMIQUE, PROfessionnelle et PARLEMEN

TAIRE, telle doit être désormais l'instruction publique en France, pour s'accorder avec nos institutions nouvelles ; telle elle doit être si l'on veut prévenir l'alternative menaçante de révolutions périodiques ou de régimes oppressifs.

Ce qui est nécessaire à la consolidation du gouvernement représentatif en France, ce n'est pas absolument une nouvelle réforme électorale: avant de demander à l'arbre de porter des fruits, il faut attendre qu'il ait poussé des racines. Les racines de l'arbre représentatif, ce sont le régime municipal et l'éducation parlementaire; quand elles auront pénétré profondément le sol populaire, alors les fruits pourront être des droits politiques accordés à tous les contribuables, sans autres conditions pour les exercer, que de justifier légalement de vingt-cinq ans d'âge, et de l'instruction nécessaire à leur accomplissement. Alors on pourra dire qu'à l'instruction populaire la raison publique devra son triomphe, et l'intrigue électorale sa chute.

A notre sens, ce qui manque principalement à la consolidation du gouvernement représentatif en France, c'est un corps de quarante mille instituteurs mieux instruits et mieux payés; un clergé mieux enseigné, plus respectable et plus respecté; une concordance mieux établie entre l'enseignement public, le régime municipal et le gouvernement représentatif; enfin, des rapports mieux combinés entre l'Église, l'école et la municipalité.

Défaut d'instruction générale et élémentaire parmi les classes inférieures et laborieuses, défaut d'instruction spéciale et politique parmi les classes supérieures, telles sont en résumé, selon nous, les deux causes capitales de l'instabilité des gouvernements en France.

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