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Non certes, nous ne pensons pas que tout soit pour le mieux. J'ai une foi entière dans la sagesse des lois providentielles, et, par ce motif, j'ai foi dans la Liberté.

La question est de savoir si nous avons la Liberté.

La question est de savoir si ces lois agissent dans leur plénitude, si leur action n'est pas profondément troublée par l'action opposée des institutions humaines.

Nier le Mal! nier la douleur! qui le pourrait? Il faudrait oublier qu'on parle de l'homme. Il faudrait oublier qu'on est homme soimême. Pour que les lois providentielles soient tenues pour harmoniques, il n'est pas nécessaire qu'elles excluent le mal. Il suffit qu'il ait son explication et sa mission, qu'il se serve de limite à lui-même, qu'il se détruise par sa propre action, et que chaque douleur prévienne une douleur plus grande en réprimant sa propre cause.

La société a pour élément l'homine qui est une force libre. Puisque l'homme est libre, il peut choisir ; "puisqu'il peut choisir, il peut se tromper; puisqu'il peut se tromper, il peut souffrir.

Je dis plus: il doit se tromper et souffrir; car son point de départ est l'ignorance, et devant l'ignorance s'ouvrent des route sinfinies et inconnues qui toutes, hors une, mènent à l'erreur.

Or, toute Erreur engendre Souffrance. Ou la souffrance retombe sur celui qui s'est égaré, et alors elle met en œuvre la Responsabilité. Ou elle va frapper des êtres innocents de la faute, et, en ce cas, elle fait vibrer le merveilleux appareil réactif de la Solidarité.

L'action de ces lois, combinée avec le don qui nous a été fait de lier les effets aux causes, doit nous ramener, par la douleur même, dans la voie du bien et de la vérité.

Ainsi, non-seulement nous ne nions pas le Mal, mais nous lui reconnaissons une mission, dans l'ordre social comme dans l'ordre matériel. Mais pour qu'il la remplisse cette mission, il ne faut pas étendre artificiellement la Solidarité de manière à détruire la Responsabilité, en d'autres termes, il faut respecter la Liberté.

Que si les institutions humaines vienuent contrarier en cela les lois divines, le Mal n'en suit pas moins l'erreur, seulement il se déplace. Il frappe qui il ne devait pas frapper; il n'avertit plus ; il n'est plus un enseignement; il ne tend plus à se limiter et à se détruire par sa propre action; il persiste, il s'aggrave, comme il arriverait dans l'ordre physiologique, si les imprudences et les excès commis par les hommes d'un hémisphère ne faisaient ressentir leurs tristes effets que sur les hommes de l'hémisphère opposé.

Or, c'est précisément là la tendance non-seulement de la plupart de

nos institutions gouvernementales, mais encore et surtout de celles qu'on cherche à faire prévaloir comme remèdes aux maux qui nous affligent. Sous le philanthropique prétexte de développer entre les hommes une Solidarité factice, on rend la Responsabilité de plus en plus inerte et inefficace. On altère, par une intervention abusive de la force publique, le rapport du travail à sa récompense, on trouble les lois de l'industrie et de l'échange, on violente le développement naturel de l'instruction, on dévoie les capitaux et les bras, on fausse les idées, on enflamme les prétentions absurdes, on fait briller aux yeux des espérances chimériques, on occasionne une déperdition inouïe de forces humaines, on déplace les centres de population, on frappe d'inefficacité l'expérience même, bref on donne à tous les intérêts des bases factices, on les met aux prises, et puis l'on s'écrie: Voyez, les intérêts sont antagoniques. C'est la Liberté qui fait tout le mal. Maudissons et étouffons la Liberté.

Et cependant, comme ce mot sacré a encore la puissance de faire palpiter les cœurs, on dépouille la Liberté de son prestige en lui arrachant son nom, et c'est sous le nom de concurrence que la triste victime est conduite à l'autel, aux applaudissements de la foule tendant ses bras aux liens de la servitude.

Il ne suffisait donc pas d'exposer, dans leur majestueuse harmonie, les lois naturelles de l'ordre social, il fallait encore montrer les causes perturbatrices qui en paralysent l'action. C'est ce que j'ai essayé de faire dans la seconde partie de ce livre.

Je me suis efforcé d'éviter la controverse. C'était perdre, sans doute, l'occasion de donner aux principes que je voulais faire prévaloir cette stabilité qui résulte d'une discussion approfondie. Mais l'attention attirée sur les digressions n'aurait-elle pas été détournée de l'ensemble? Si je montre l'édifice tel qu'il est, qu'importe comment d'autres l'ont vu, alors même qu'ils m'auraient appris à le voir ?

Et maintenant je fais appel, avec confiance, aux hommes de toutes les écoles qui mettent la justice, le bien général et la vérité au-dessus de leurs systèmes.

Économistes, comme vous, je conclus à la LIBERTÉ; et si j'ébranle quelques-unes de ces prémisses qui attristent vos cœurs généreux, peut-être y verrez-vous un motif de plus pour aimer et servir notre sainte cause.

Socialistes, vous avez foi dans l'ASSOCIATION. Je vous adjure de dire, après avoir lu cet écrit, si la société actuelle, moins ses abus et ses entraves, c'est-à-dire sous la condition de la Liberté, n'est pas la plus

belle, la plus complète, la plus durable, la plus universelle, la plus équitable de toutes les Associations.

Égalitaires, vous n'admettez qu'un principe, la MUTUALITÉ DES SERVICES. Que les transactions humaines soient libres, et je dis qu'elles ne sont et ne peuvent être autre chose qu'un échange réciproque de services toujours décroissants en valeur, toujours croissants en utilité. Communistes, vous voulez que les hommes, devenus frères, jouissent en commun des biens que la Providence leur a prodigués. Je prétends démontrer que la société actuelle n'a qu'à conquérir la liberté pour réaliser et dépasser vos vœux et vos espérances: car tout y est commun à tous, à la seule condition que chacun se donne la peine de recueillir les dons de Dieu, ce qui est bien naturel; ou restitue librement cette peine à ceux qui la prennent pour lui, ce qui est bien juste.

Chrétiens de toutes les communions, à moins que vous ne soyez les seuls qui mettiez en doute la sagesse divine, manifestée dans la plus magnifique de celle de ses œuvres qu'il nous soit donné de connaître, vous ne trouverez pas une expression dans cet écrit qui heurte votre morale la plus sévère ou vos dogmes les plus mystérieux.

Propriétaires, quelle que soit l'étendue de vos possessions, si je prouve que le droit qui vous est aujourd'hui contesté se borne, comme celui du plus simple manœuvre, à recevoir des services contre des services réels par vous ou vos pères positivement rendus, ce droit reposera désormais sur une base inébranlable.

Prolétaires, je me fais fort de démontrer que vous obtenez les fruits du champ que vous ne possédez pas, avec moins d'efforts et de peine que si vous étiez obligés de les faire croitre par votre travail direct, que si on vous donnait ce champ à son état primitif et tel qu'il était avant d'avoir été préparé, par le travail, à la production.

Capitalistes et ouvriers, je me crois en mesure d'établir cette loi: « A mesure que les capitaux s'accumulent, le prélèvement absolu du capital dans le résultat total de la production augmente, et son prélèvement proportionnel diminue; le travail voit augmenter sa part relative et à plus forte raison sa part absolue. L'effet inverse se produit quand les capitaux se dissipent 1. » Si cette loi est établie, il

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1 Je rendrai cette loi sensible par des chiffres. Soient trois époques pendant lesquelles le capital s'est accru, le travail restant le même. Soit la production totale aux trois époques, comme: 80-100-120. Le partage se fèra ainsi : Part du capital. Part du travail. Total. 35

Première époque :

45

80

en résulte clairement l'harmonie des intérêts entre les travailleurs et ceux qui les emploient.

Disciples de Malthus, philanthropes sincères et calomniés, dont le seul tort est de prémunir l'humanité contre une loi fatale, la croyant fatale, j'aurai à vous soumettre une autre loi plus consolante: «< Toutes choses égales d'ailleurs, la densité croissante de population équivaut à une facilité croissante de production. >> Et s'il en est ainsi, certes, ce ne sera pas vous qui vous affligerez de voir tomber du front de notre science chérie sa couronne d'épines.

Hommes de spoliation, vous qui, de force ou de ruse, au mépris des lois ou par l'intermédiaire des lois, vous engraissez de la substance des peuples; vous qui vivez des erreurs que vous répandez, de l'ignorance que vous entretenez, des guerres que vous allumez, des entraves que vous imposez aux transactions : vous qui taxez le travail après l'avoir stérilisé, et lui faites perdre plus de gerbes que vous ne lui arrachez d'épis; vous qui vous faites payer pour créer des obstacles, afin d'avoir ensuite l'occasion de vous faire payer pour en lever une par tie, manifestations vivantes de l'égoïsme dans son mauvais sens, excroissances parasites de la fausse politique, préparez l'encre corrosive de votre critique: à vous seuls je ne puis faire appel, car ce livre a pour but de vous sacrifier, ou plutôt de sacrifier vos prétentions injustes. On a beau aimer la conciliation, il est deux principes qu'on ne saurait concilier: la Liberté et la Contrainte.

Si les lois providentielles sont harmoniques, c'est quand elles agissent librement, sans quoi elles ne seraient pas harmoniques par ellesmêmes. Lors donc que nous remarquons un défaut d'harmonie dans le monde, il ne peut correspondre qu'à un défaut de liberté, à une justice absente. Oppresseurs, spoliateurs, contempteurs de la justice, vous ne pouvez donc entrer dans l'harmonie universelle, puisque c'est vous qui la troublez.

Est-ce dire que ce livre pourra avoir pour effet d'affaiblir le pouvoir, d'ébranler sa stabilité, de diminuer son autorité? J'ai en vue le but directement contraire. Mais entendons-nous.

La science politique consiste à discerner ce qui doit être ou ce qui ne doit pas être dans les attributions de l'État ; et, pour faire ce grand départ, il ne faut pas perdre de vue que l'État agit toujours par l'intermédiaire de la Force. Il impose tout à la fois et les services qu'il

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Bien entendu, ces proportions n'ont d'autre but que d'élucider la pensée.

rend et les services qu'il se fait payer en retour, sous le nom de contributions.

La question revient donc à ceci : Quelles sont les choses que les hommes ont le droit de s'imposer les uns aux autres par la force ? Or, je n'en sais qu'une dans ce cas, c'est la justice. Je n'ai pas le droit de forcer qui que ce soit à être religieux, charitable, instruit, laborieux; mais j'ai le droit de le forcer à être juste: c'est le cas de légitime défense. Or, il ne peut exister, dans la collection des individus, aucun droit qui ne préexiste dans les individus eux-mêmes. Si donc l'emploi de la force individuelle n'est justifié que par la légitime défense, il suffit de reconnaître que l'action gouvernementale se manifeste toujours par la Force pour en conclure qu'elle est essentiellement bornée à faire régner l'ordre, la sécurité, la justice.

Toute action gouvernementale en dehors de cette limite est une usurpation de la conscience, de l'intelligence, du travail, en un mot de la Liberté humaine.

Cela posé, nous devons nous appliquer sans relâche et sans pitié à dégager des empiétements du pouvoir le domaine entier de l'activité privée. C'est à cette condition seulement que nous aurons conquis la Liberté ou le libre jeu des lois harmoniques que Dieu a préparées pour le développement et le progrès de l'humanité.

Le Pouvoir sera-t-il pour cela affaibli? Perdra-t-il de sa stabilité parce qu'il aura perdu de son étendue? Aura-t-il moins d'autorité parce qu'il aura moins d'attributions? S'attirera-t-il moins de respects parce qu'il s'attirera moins de plaintes? Sera-t-il davantage le jouet des factions, quand on aura diminué ces budgets énormes et cette influence si convoitée, qui sont l'appât des factions? Courra-t-il plus de dangers quand il aura moins de responsabilité ?

Il me semble évident, au contraire, que renfermer la force publique dans sa mission unique, mais essentielle, incontestée, bienfaisante, désirée, acceptée de tous, c'est lui concilier le respect et le concours universels. Je ne vois plus alors d'où pourraient venir les oppositions systématiques, les luttes parlementaires, les insurrections des rues, les révolutions, les péripéties, les factions, les illusions, les prétentions de tous à gouverner sous toutes les formes, ces systèmes aussi dangereux qu'absurdes qui enseignent au peuple à tout attendre du gouvernement, cette diplomatie compromettante, ces guerres toujours en perspective ou ces paix armées presque aussi funestes, ces taxes écrasantes et impossibles à répartir équitablement, cette immixtion absorbante et si peu naturelle de la politique en toutes choses, ces grands déplace ments factices de capital et de travail, source de frottements inutiles,

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