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voudrais qu'on se demandât à soi-même ce que c'est que le pouvoir exécutif : vous ne faites rien qui n'y ait rapport. Que ceux qui veulent empiéter sur vos travaux répondent à ce dilemme bien simple: ou quelque partie de la constitution blesse le pouvoir exécutif; alors qu'on nous déclare en quoi: ou il faut achever le pouvoir exécutif; alors que restet-il à faire? Qu'on le dise, et on verra s'il ne tient pas à tout ce que vous devez faire encore. Si vous me dites que pouvoir militaire manque au pouvoir exécutif, je vous répondrai laissez-nous donc achever l'organisation du pouvoir militaire. Le pouvoir judiciaire? laissez-nous donc achever P'organisation du pouvoir judiciaire. Ainsi donc ne nous demandez pas ce que nous devons faire, si nous avons fait ce que nous avons pu.

le

» Il me semble qu'il est aisé de revenir à la question, dont nous n'avons pu nous écarter. Vous avez fait une loi martiale (1); vous en avez confié l'exécution aux officiers muni

(1) La loi martiale fut décrétée le 21 octobre 1789, d'après un projet présenté par le comte de Mirabeau, et dans lequel on fondit un autre projet sur les émeutes présenté par M. Target.

Dans la discussion de cette loi, sollicitée par un grand nombre de motions, Mirabeau en avait cependant prévu l'insuffisance et le danger: « Je ne sais rien, dit-il alors, de plus effrayant que des motions » occasionnées par la disette. Tout se tait, et tout doit se taire, tout > succombe et doit succomber devant un peuple qui a faim. Que fera » une loi martiale si le peuple attroupé s'écrie : Il n'y a pas de pain » chez les boulangers....? Quel monstre lui répondra par des coups de

» fusil ? Un tribunal national connaîtrait sans doute de l'état du moment » et des délits qui l'ont occasionné; mais il n'existe pas ce tribunal; >> mais il faut du temps pour l'établir; mais les commotions sont fortes > et terribles; mais le glaive irrésistible de la nécessité est prêt à fondre » sur vos têtes. La première mesure à prendre n'est donc ni une loi › martiale ni un tribunal; j'en connais une autre, et la voici:

» Le pouvoir exécutif se prévaut de sa propre annihilation. Demana dons-lui qu'il dise, de la manière la plus déterminée, quels moyens » il lui faut, quelles ressources il attend de nous pour assurer les sub>sistances de la capitale. Donnons-lui ces moyens, ces ressources et › qu'à l'instant il soit responsable de leur exécution. »

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L'Assemblée adopta ce dernier avis, et voulut encore déployer des mesures extraordinaires; elle rendit la loi martiale. La discussion qui

cipaux il reste à établir le mode de leur responsabilité. It manque encore quelques dispositions.... Hé bien, il faut fixer le mode des proclamations. Il existe des brigands.... Il faut faire une addition provisoire pour ce cas seulement. Mais il ne fallait pas empiéter sur notre travail; il ne fallait pas proposer une exécrable dictature! Je n'ajouterai rien à ce qui a été dit, mais peut-être résumerai-je mieux les diverses opinions des préopinans. J'ai rédigé le projet d'une loi additionnelle à la loi martiale.» (Suivait un projet.)

Les débats se prolongèrent encore, souvent interrompus par des murmures ou par des applaudissemens, selon que les orateurs parlaient le langage de l'oppression ou celui de la liberté. On réclamait de toute part la fin de la discussion, lorsque M. de Cazalès reprit la parole pour justifier et renouveler sa motion:

M. de Cazalès.

« Avant d'entrer dans la discussion je rétablirai des faits qui n'ont pas été bien exactement exposés par un préopinant : 1° depuis la révolution anglaise, en 1688, l'Habeas corpus a été suspendu neuf fois; 2° ce qu'il lui plait d'appeler dictature a été accordé au roi d'Angleterre dans des momens

eut lieu à cette occasion n'offre aucune opinion remarquable; Mirabeau, en présentant son projet, avait en quelque sorte interdit les longs discours; il ne le fit précéder que de ces quelques lignes :

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« La loi que je vais avoir l'honneur de vous proposer est imitée, » mais non pas copiée de celle des Anglais; ceux qui connaissent le riot > act en sentiront la différence. Je ne confie le pouvoir militaire qu'à » des magistrats élus par le peuple, et dans la plus grande partie de l'Angleterre, dans toutes les villes qui n'ont pas des corporations, » les magistrats sont nommés par le roi. Je propose encore une autre » précaution, bien adaptée à un gouvernement qui respecte le peuple » et la liberté; c'est de donner aux mécontens attroupés un moyen » légal de faire entendre leurs plaintes et de demander le redressement » de leurs griefs. Mais au lieu d'insister plus longtemps sur ce que j'ai mis dans ce projet de loi, je vais vous lire la loi même : on entend > rarement un exorde sans se rappeler le mot du misantrope à l'homme » au sonnet : Lisez toujours; nous verrons bien. » ( Suivait le projet. 】

d'insurrection, et assurément dans les circonstances présentes nous avons tout lieu de craindre une insurrection. M. le duc d'Aiguillon a exprimé des sentimens dignes de tous les éloges : ce qui constitue la véritable générosité, c'est d'être peu affecté des pertes personnelles; mais la liberté, qui donne cette vertu, ne permet pas de croire que tous les citoyens pourront faire des sacrifices aussi généreux. Les principes des préopinans sont les miens; les conséquences que j'en tire different essentiellement de celles qu'ils vous ont présentées. Le comité vous a offert des moyens qui pourraient être utiles si le mal n'était pas à son comble. Je ne puis me dissimuler que les excès ne sont point partiels, et qu'il est évident que s'ils n'étaient point réprimés ils se changeraient en une guerre funeste de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont quelque chose. L'expérience nous a déjà prouvé combien la loi martiale est insuffisante. Il faut donc, si nous voulons arrêter les malheurs qui affligent le royaume, recourir au pouvoir exécutif, et l'armer de toute la force nécessaire pour qu'il agisse avec succès. Je n'ai cependant pas pensé qu'il fallût investir le souverain d'un pouvoir trop durable. La dictature que j'ai demandée n'est pas celle qui s'entoure de ruines et de victimes; c'est celle qui fait taire un instant les lois pour mieux conserver la liberté; c'est cette dictature dont les peuples les plus libres de la terre ont fait usage. Eh! qu'on me dise quel danger il y aurait à confier au monarque une autorité momentanée, que l'Assemblée nationale, toujours existante, pourrait suspendre ou retirer à son gré! Qu'on me dise ce qu'elle peut avoir de dangereux dans les mains d'un roi dont les vertus sont connues! Qu'ils me disent, ces prétendus apôtres de la liberté, ce qu'ils craignent de ce prince entouré de son peuple, de ce prince qui est venu se confier aux habitans de la capitale, et dont les intentions sont intimement liées avec celles des représentans de la nation! Mais, diront-ils, les ministres abuseront de cette autorité d'un moment.... Que pourraient des ministres contre l'opinion publique, contre un peuple qui, d'une voix unanime, a juré qu'il voulait être libre? Non; je ne crois pas qu'il y ait un seul citoyen qui ne soit partisan de la liberté. Ce n'est qu'au milieu des désor>

dres de l'anarchie que le despotisme peut relever sa tête hideuse; et je ne connais qu'une seule chose qui puisse faire regretter à quelqu'un l'ancien despotisme; ce sont les ravages de l'anarchie actuelle; le désordre est à son comble.... (Violens murmures.) Jamais je n'interromps personne; comment le suis-je à chaque instant, comment ai-je pu mériter une défaveur si insigne?...

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» La loi martiale est insuffisante; nul autre moyen ne se présente, si ce n'est celui d'autoriser la force armée à obéir au pouvoir exécutif. Il faut donc adopter ce moyen. »

La discussion fut fermée le 22. Alors on fit lecture des différens projets présentés; celui de M. Boussion obtint la priorité, quoique son auteur l'eût offert sans l'appui d'aucun discours. La délibération commença article par article, et dans cette seconde discussion chacun chercha à reproduire son opinion; celle de M. de Cazalès, combattue et rejetée, retrouva cependant un ardent défenseur dans M. le comte de Montlausier, dont voici le discours :

M. le comte de Montlausier.

<< Messieurs, je ne me chargerai pas de faire à la loi qui vous est proposée tous les amendemens dont je la crois susceptible; cette tâche me paraît au-dessus de mes forces; mais j'entreprendrai du moins de vous faire voir que c'est en vain que vous avez créé des lois, tant que la puissance commise à leur exécution demeurera entièrement sans force et sans vigueur. Quel est donc l'égarement d'opinion qui règne dans cette Assemblée? De toutes parts on nous présente des projets de loi, et partout on a soin d'écarter l'influence royale, comme si cette influence était constitutionnellement vicieuse ou malfaisante! A-t-on oublié que le peuple n'a des officiers publics que pour qu'ils lui soient utiles; que le roi est le chef de ces officiers, et que par conséquent c'est lui qu'on doit toujours voir à la tête de l'œuvré publique? Peut-on se dissimuler que nos plus grands publicistes, et Jean-Jacques Rousseau lui-même, n'ont cessé de publier cette vérité? Peut-on se dissimuler que la fin de chacune de nos dynasties a toujours été marquée par les

regnes de princes qui n'en curent que le nom, parce que. les chefs militaires, ou des maires qui les tenaient enfermés dans leur palais, avaient intérêt de régner à leur place? Mais la nation française, qui honore son roi, la nation française, qui le paierait de tout son or comme elle le paie de tout son respect et de tout son amour, a peut-être le droit de vouloir que ce roi fasse quelque chose pour elle, et que ses soins et ses sollicitudes paternelles ne soient pas tout à fait inutiles à sa félicité.

>>

Or, dans le projet de loi qu'on vous propose, ce sont les municipalités qui sont tout et qui font tout; le roi semble effacé de la constitution: tout son royaume serait en combustion, des hordes licenciées le rempliraient de confusion et de désordre; il ne faut plus aux auteurs des projets qu'on vous présente que des municipalités et des troupes, des troupes et des municipalités.

>> Du moins, messieurs, dans le projet du comité de constitution il y avait un article où le roi était supplié de faire passer des troupes quand les municipalités le jugeraient nécessaire : je ne doute pas que cet article, oublié par l'auteur du projet auquel vous avez accordé la priorité, ne se reproduise tout à l'heure par amendement. Mais, messieurs, cet article même, évidemment nul et insignifiant, ce rôle de remplissage qu'on a l'air de vouloir faire jouer au chef de la monarchie, est un scandale de plus pour les amis de la constitution, parce qu'il offre dans la puissance royale tous les caractères d'une puissance qu'on veut réellement tenir oisive, et qu'on voudrait pourtant avoir l'air d'occuper, parce que la puissance du monarque ne présenterait bientôt qu'un membre parasite placé en dehors de la constitution, une véritable superfétation politique.

» Et cependant, messieurs, dans un grand empire il est constant que le roi, qu'on a très-bien appelé la loi agissante, doit être le centre de toutes les forces, et comme le pivot sur lequel doivent tourner tous les mouvemens. Nulle puissance sans lui n'a le droit de disposer de la force publique; et les individus, quels qu'ils soient, et les municipalités et les départemens, toutes les corporations en un mot, sous quelque déno

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