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contre mes vues dans le cas d'une élection en Pologne. Tout ce qui pourra contribuer à remplir cet objet sera toujours avantageux. C'est à vous à indiquer les moyens d'y parvenir, afin qu'on puisse vous autoriser à les employer.....

La révolution a sans doute ranimé le comte de Brühl (premier ministre en Pologne), qui, toujours fondé principalement sur Russie, va se donner de nouveaux mouvements pour former des intrigues à cette cour. Le sieur Pruss, son confident, sait tous les détours de ce labyrinthe. Il trouvera bien des facilités si l'ancien chancelier Bestucheff rentre dans les affaires. Vous ne pouvez veiller de trop près à leurs démarches, ainsi qu'à celles du comte Poniatowski, que l'on dit avoir reçu un exprès de cette princesse pour l'engager à retourner à sa cour. Si ce qu'il vous a dit est vrai, qu'il sera toujours bon Polonais préférablement à tout, il ne se trouvera jamais en opposition avec mes vues, puisqu'il ne désire que le bien de sa patrie; mais il est à craindre que dans les autres affaires sa prévention pour l'Angleterre ne lui inspire des sentiments différents.

De plus, malgré les assurances que l'impératrice vous a données qu'il ne la gouvernerait jamais, il sera difficile qu'il n'ait au moins un grand crédit. Ce sera à vous à l'observer et à voir quel parti vous en pouvez tirer. Vous savez que la Pologne est le principal objet de la correspondance secrète, et que par conséquent ce qui concerne ce pays doit l'être de même de votre attention. Il est nécessaire que vous entreteniez une correspondance avec MM. d'Havrincourt, de Paulmy et de Vergennes. Vous ne devez leur laisser rien ignorer de ce qui regarde la Pologne, et vous apprendrez par eux, mieux et plus tôt, ce qu'il conviendra que vous fassiez à Pétersbourg, que par les ordres de mon ministre, qui, vu l'éloignement, ne peuvent être que tardifs.

Je laisse à votre prudence et à la connaissance que vous avez de mes intérêts et de mes intentions à régler vos démarches lorsque vous ne croirez pas avoir le temps de demander directement des ordres..... Il ne doit pas être question de ma part de former des liaisons intimes avec la Russie. Il suffira d'entretenir celles qui sont de bienséance et de détourner adroitement les engagements qu'on pourrait prendre contre mes vues..... Je ne pense pas que le

chancelier Woronzow craigne aujourd'hui autant qu'il le craignait sous le règne précédent de brûler toute ma correspondance secrète avec la feue impératrice; ainsi vous devez insister auprès de lui, en mon nom, pour qu'il vous remette toutes les pièces ou qu'il les brûle en votre présence, et pour qu'il n'en reste aucune trace, etc.

Mémoire pour servir d'instructions à M. de Moustier, Envoyé du roi de France à la cour de Berlin. (1790.)

Le système politique que la cour de Berlin a développé depuis la mort de Frédéric II a causé dans toute l'Europe une agitation dont il est impossible de prévoir l'issue. Frédéric-Guillaume, égaré dès le commencement de son règne par la fausse politique de son ministre influent, s'est laissé séduire par les cajoleries de la cour de Londres, et, s'exagérant sa puissance, ce prince s'est persuadé qu'il allait être en mesure de diriger à son gré tous les cabinets. Cette erreur l'a conduit à se brouiller avec la France à l'occasion des affaires de la Hollande; mais il n'a pas tardé à entrevoir qu'il courait le risque d'être isolé, et que son impuissance et son erreur seraient bientôt à découvert : c'est là le premier motif de l'alliance que S. M. Prussienne a conclue avec la cour de Londres; un second motif a contribué à cet événement, c'est le désir de maintenir les usurpations du Stadhouder des Provinces-Unies, et la crainte que la France ne les détruisît. Frédéric-Guillaume, enivré de ses succès contre la province de Hollande, qui était trahie et sans défense, croyait avoir acquis une influence irrésistible dans les Provinces-Unies, et il se flattait que ce ne serait que sous son égide que la Grande-Bretagne aurait du crédit sur les États-Généraux ; son opinion favorite était qu'il tiendrait la balance entre la France et l'Angleterre, non-seulement en Hollande mais aussi dans toute l'Europe, et que par là il deviendrait l'arbitre du continent.

C'est par suite d'une idée aussi fausse que le cabinet de Berlin a entrepris de donner la loi dans le Nord; qu'il a pris

un ton impérieux avec les cours de Vienne et de Saint-Pétersbourg; qu'il a soulevé les Polonais contre ces deux cours; qu'il a fomenté le soulèvement de Liége et excité celui des Pays-Bas; qu'il a pratiqué les intrigues les plus révoltantes à Constantinople pour éloigner les Turcs de toute idée pacifique et pour détruire la confiance qu'ils montraient dans la justice et dans l'amitié de S. M. Toutes ces menées ont eu pour résultat public deux traités d'alliance, l'un avec la Porte, l'autre avec la nation polonaise: on a promis aux Turcs l'assistance la plus efficace pour le recouvrement de la Crimée, et l'on a stipulé avec les Polonais la garantie de toutes leurs possessions, tandis que l'objet secret des deux alliances était l'acquisition de Dantzig, de Thorn et d'une portion quelconque de la grande Pologne.

Le sieur de Moustier sait, par les correspondances qui lui ont été communiquées, qu'à la suite des deux traités dont il s'agit la Prusse a proposé aux parties belligérantes sa médiation jointe à celle de l'Angleterre et des Provinces-Unies; que, pour appuyer efficacement cette proposition, accompagnée et suivie de plusieurs plans de pacification, elle a rassemblé une armée nombreuse en Silésie, et qu'après beaucoup de variations tout cet appareil hostile s'est terminé par la convention préparatoire signée à Reichenbach et par un armistice de neuf mois entre la Porte et la cour de Vienne ; qu'il s'agit d'un congrès dont le lieu n'est pas encore désigné; que l'impératrice de Russie, invitée à y prendre part, a déclaré qu'elle entendait faire sa paix directement et sans aucune intervention étrangère, et que le roi de Prusse, après avoir menacé Catherine II, semble reculer malgré la réponse équivoque qu'il doit avoir reçue de Léopold.

La tournure qu'ont prise les affaires du Nord n'a point répondu à l'attente du roi de Prusse: Gustave III, convaincu, quoique tardivement, qu'il n'était qu'un instrument de la politique des cabinets de Londres et de Berlin, s'est hâté de mettre à l'écart toute intervention et de proposer directement la paix à Catherine II. Cette princesse, vivement blessée des procédés qu'elle éprouvait de la part de l'Angleterre et de la Prusse, s'est prêtée avec empressement à la demande de S. M. Suédoise. Cet événement inattendu et invraisemblable a causé à Berlin la sen

sation la plus vive et la plus désagréable, parce qu'il a fait cesser une diversion qui entrait essentiellement dans les calculs du ministère prussien.

Quant aux Polonais, il paraît que leur illusion est entièrement dissipée, et il y a lieu de présumer que, convaincus de la politique insidieuse du cabinet de Berlin à leur égard, ils désirent secrètement de réparer les torts que les deux cours impériales ont à leur reprocher. Le développement de ce sentiment semble dépendre, d'un côté, de la conduite que la cour de Berlin tiendra avec la Russie; de l'autre, de la suite que cette cour voudra donner à ses vues sur la ville de Danzig.

Il est deux autres objets qui doivent causer de l'embarras au ministère prussien: ce sont les troubles de Liége et ceux des Pays-Bas. La cour de Berlin a protégé les premiers et provoqué les derniers si elle veut soutenir ceux-là, elle se compromet avec le corps germanique, et en soutenant les seconds elle se compromet avec l'empereur; en les abandonnant elle perd toute considération, et elle ne pourra plus inspirer la moindre confiance soit dans ses principes, soit dans son langage.

Du tableau abrégé qui vient d'être fait il résulte que la Prusse, pour avoir adopté un système vicieux dans son principe, s'est séparée de la France contre son intérêt fondamental; qu'elle s'est alliée, sans utilité pour elle, avec les Provinces-Unies; qu'elle s'est mise dans la dépendance de la Grande-Bretagne en croyant la gouverner; qu'elle s'est brouillée avec la Russie, dont elle aurait dû rechercher l'alliance; qu'elle a trompé les Liégeois, les Belges et les Polonais; qu'elle a éloigné d'elle la Suède et le Danemark, et que, probablement, le fruit de ses intrigues à Constantinople sera une brouillerie ouverte avec la Porte Ottomane.

Pour achever ce tableau, il est nécessaire de faire connaître au sieur de Moustier les procédés de la cour de Berlin à l'égard de la France et la position actuelle des choses entre S. M. et S. M. Prussienne. On ne remontera pas au delà de l'année 1788, parce que tous les détails nécessaires pour l'instruction du ministre du roi, jusqu'à cette époque, sont consignés dans les différentes instructions fournies tant à son prédécesseur qu'au baron de

Groschlag: ces instructions sont jointes à la correspondance du sieur d'Esterno, que le sieur de Moustier trouvera à Berlin.

Le roi de Prusse, malgré son alliance avec la Grande-Bretagne et les Provinces-Unies, craignait les effets de celle qu'il supposait que le roi allait conclure avec l'impératrice de Russie; il s'agita en tous sens pour découvrir la réalité de cette alliance; c'est principalement à Madrid qu'il a cherché à acquérir des lumières et à faire échouer les vues présumées de S. M. C'est d'après la supposition dont il s'agit, c'est-à-dire en haine de la France, que Frédéric-Guillaume a intrigué à la Porte, en Pologne et en Suède ces trois puissances, ainsi qu'il a été observé plus haut, ont eu la faiblesse de céder à ces insinuations. Le roi de Suède a fait, sans motif et même sans prétexte, une levée de boucliers contre la Russie, et il a décliné les bons offices comme les conseils de S. M.; les Turcs et les Polonais se sont liés par des traités.

Non content d'avoir séparé la Suède de son plus ancien allié, Frédéric-Guillaume s'est attaché à mortifier le roi en cherchant à lui faire retirer la médiation entre les trois puissances belligérantes, médiation qu'il exerçait de fait à Constantinople. Le Divan a consacré cette exclusion dans son traité d'alliance, et l'empereur défunt y a adhéré par une déclaration remise à la cour de Berlin. Depuis cette époque, les affaires, tant du Nord que du Levant, ont été traitées sans la participation de S. M.

La cour de Berlin n'a pas borné aux faits qui viennent d'être indiqués sa malveillance à notre égard : elle a supposé à la France des adhérents en Allemagne ; elle s'est occupée à les séduire, et elle y a réussi. Elle a dû ses succès, d'abord à notre versatilité dans les affaires de Hollande, et surtout à nos agitations intérieures; et ce sont ces agitations, par les entraves qu'elles ont mises à notre conduite extérieure, qui ont porté le cabinet prussien à ne plus garder de mesure à l'égard de la France.

Le sieur de Moustier concevra facilement, d'après tous ces faits, qu'il n'existe dans le moment actuel aucuns rapports bienveillants entre le roi et la cour de Berlin; il concevra également, d'après les engagements que cette cour a pris de toutes parts, que ce défaut de concert s'est de jour en jour agrandi, et qu'il sera aussi long que difficile d'y remédier.

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