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il soumit à l'appréciation du général Foy ce début d'une traduction du Discours sur la couronne.

« Avant tout, ô hommes athéniens! je supplie <«< Dieux et Déesses ensemble que le bon vouloir dont je suis animé sans cesse pour la ville, pour vous <«< tous, je le retrouve en vous tout entier pour moi, << au combat de ce jour; puis, ce qui importe sou« verainement à vous, à votre religion et à votre

gloire, que les Dieux vous inspirent de ne pas << prendre mon adversaire pour conseil sur la ma<nière dont vous devez m'entendre (car ce serait « une bizarre injustice) mais de consulter les lois et << votre serment où, parmi les autres conditions d'é<«<quité, est inscrite l'obligation d'ouïr semblable«ment les deux adversaires. Et cela consiste, non « pas seulement à n'avoir rien présumé sur eux et à «<leur partager également votre bienveillance, mais "encore à les laisser chacun disposer son ordre d'attaque et de défense comme il l'a voulu et prémédité. J'ai dans ce combat plusieurs infé<«<riorités devant Eschine, deux surtout, ô hommes. << athéniens. »

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Cela continue quelque temps ainsi, à la satisfaction commune du lecteur et de l'auditeur. Il me semble qu'il y avait dans ce contentement un peu d'illusion et de parti pris. Je ne sais si pour moi je ne préférerais pas encore l'abbé Delille mettant << des mouches à Milton » et cette version de Démosthènes, par l'abbé Tourreil, qui arrachait à Boileau

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ce cri d'indignation: « le bourreau fera tant qu'il lui donnera de l'esprit. »

L'autre système consiste à lire un auteur un peu vite, si je ne m'abuse, et à le rendre d'un peu haut et d'un peu loin, avec une désinvolture rapide et un sans-gêne supérieur aux menus détails, à se laisser entraîner au courant de sa propre verve, à tâcher d'attraper la tournure et l'accent du maître, en se tenant dans un perpétuel à peu près. On y gagne au moins quelque chose. D'abord, c'est qu'on n'est point découragé par les déceptions et les aridités d'un labeur minutieux; ensuite, c'est que la traduction ainsi obtenue est vivante, seulement elle ne supporte guère un examen minutieux; elle perd en exactitude ce qu'elle acquiert de saveur et de facilité.

C'est vers le second de ces deux systèmes que penche le nouveau traducteur d'Horace. Habitué de longue date à deviser avec le public et à lui dédier chaque semaine une de ces épitres familières où la littérature se rencontre à chaque pas avec l'observation morale, maître exercé daus l'art de ménager la louange et la critique, et de fixer les impressions de chaque heure dans ces confidences où l'agrément de la forme doit souvent couvrir l'insuffisance du fonds, obligé de courir d'un sujet à l'autre en dissimulant l'incohérence des idées sous l'habileté des transitions, ingénieux à couvrir une trame légère d'élégantes broderies, sympathique aux jeunes gloires sans manquer de respect pour les vieilles renommées, specta

teur indulgent des ridicules et des abus, il a plus d'un rapport avec Horace et devait le goûter mieux que personne ; il était donc plus exposé qu'un autre à la tentation de le rajeunir en l'interprétant au gré de sa sympathie. Malheureusement, quelque vive et éclairée qu'elle fût, elle n'atténuait pas des difficultés qui s'augmentent ici de toute la variété du talent qu'il s'agissait de reproduire. Il y a trois hommes, en effet, dans Horace, comme il y a trois parties dans son œuvre. Dans l'une, il est poète lyrique, non pas à la façon de Pindare et d'Alcée; épicurien, l'inspiration religieuse lui manque ; républicain facilement rallié par la reconnaissance et le besoin du repos au gouvernement d'Auguste, il a plus d'estime que d'enthousiasme pour les grandeurs et les vertus d'autrefois. Ses muses sont l'amitié, la volupté, l'horreur des guerres civiles et le plaisir même de mouler sa pensée dans un rhythme savant et une forme irréprochable. C'est par le fini de l'exécution qu'il se recommande et c'est de la difficulté vaincue qu'il s'inspire le plus souvent. Il a toutes les qualités que résume le mot connu de Quintilien (1) sur son heureuse audace: la brièveté savante de la phrase, la netteté de l'image, la hardiesse des rapprochements et cette vigueur concentrée dont Montaigne a si justement dit : «Horace « ne se contente point d'une superficielle expression; <«< elle le trahirait : il veoit plus clair et plus oultre

(1) Variis figuris et verbis felicissime audax. » Quintilien, Inst. Or. X, I, 96.

« dans les choses. Son esprit crochette et furette tout « le magasin des mots et des figures pour se repré« senter » (1). Voilà des beautés d'une nature bien délicate et qu'il paraît difficile de transporter dans une autre langue, sans s'exposer à les effacer sous d'insignifiants commentaires, ou du moins à les amoindrir par des équivalents inexacts.

Pour les épitres et les satires, la difficulté est d'une autre nature; ici c'est la simplicité, la fine bonhomie d'Horace, l'extrême naturel de son langage qu'il faut rendre, et surtout ce laisser-aller d'une pensée qui s'affranchit des servitudes de l'ordre logique sans s'égarer jamais; c'est la souplesse d'un style qui emploie tour à tour le portrait, le récit, le dialogue, l'apostrophe, la fable, le précepte, la réflexion morale, qui mêle tous les tons et toutes les formes dans une variété sans confusion.

Dans l'Art poétique, à ces qualités si personnelles, s'ajoute un mérite, et pour le traducteur, un péril de plus c'est la rigueur des préceptes dont il est à la fois si nécessaire et si difficile de déterminer le sens. La langue latine n'a pas la précision de la langue grecque ni surtout de la nôtre, et l'on est souvent tenté de mettre sous les mots d'Horace des idées qui ne sont pas les siennes ni celles de son temps.

que

Si nous voulions, sur cet exposé, présumer de ce doit être la nouvelle traduction, étant donné le

(1) Essais, livre III, ch. V.

caractère et l'esprit de son auteur, il serait facile de prévoir qu'il a dû altérer le sens dans la partie dogmatique, modifier les détails du style dans la partie lyrique, et dans la partie familière, celle qui comprend les épitres et les satires, se rapprocher de son modèle par l'agrément et la piquante familiarité, tout en lui donnant une physionomie un peu moderne. Un examen attentif justifie ces prévisions: quelques exemples pris un peu au hasard suffiront à le prouver.

Signalons d'abord quelques fautes de sens qui n'ont pas disparu, même de la troisième édition. Nous ne parlons pas de ces légères inexactitudes qui se glissent dans un travail de longue haleine, fautes à peu près inévitables,

Quas aut incuria fudit,

Aut humana parùm cavit natura. (1)

Encore pouvait-on les éviter avec des guides tels que Bentley, Orelli et Dubner. Encore moins s'agitil de ces points controversés sur lesquels l'érudition attend encore les lumières de l'archéologie mieux renseignée, il s'en réfère volontiers à cette sage maxime de la science sacrée : « in dubiis libertas. » Ainsi, dans ce passage bien connu d'une satire ou l'esclave nomenclateur engage son maître à serrer, en dépit des obstacles, la main des électeurs influents: « trans pondera dextram porrigere. » Que faut-il entendre par ce « pondera?» Les marchandises dont

(1) Horace, Art. poćt., v. 352.

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