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que l'œuvre du perfectionnement moral que nous rêvons ne pourra définitivement s'accomplir que lors

que la réforme de l'éducation des femmes aura, sous les restrictions nécessaires qu'elle comporte, fait litière des traditions surannées de la routine et marqué la date d'une ère nouvelle ?

Il y a, sans aucun doute, aussi bien à dire à cet égard, et je n'ai pas la pensée téméraire d'aborder en ce moment un sujet si vaste et si délicat : je craindrais de n'arriver, en définitive, qu'à formuler d'inutiles critiques sans avoir à proposer un remède efficace au mal que j'aperçois. Mais ne me sera-t-il pas du moins permis d'affirmer, et n'admettez-vous pas avec moi, en dehors de tout système préconçu et de toute opinion morale, politique ou religieuse, que les femmes ne reçoivent aujourd'hui qu'une éducation futile, incomplète, étroite, dont le vice capital est de ne pas suffisamment développer en elles ces salutaires enseignements de morale usuelle, de bon sens pratique, de naturelle simplicité aussi bien que ces pures satisfactions de l'intelligence qui, les uns comme les autres, les protégeraient efficacement, à leur entrée dans le monde, contre les dangers des écueils parsemés sur leur route? - Les grandes pensées viennent du cœur, a dit un de nos moralistes : à ce titre, n'est-ce pas surtout dans la nature plus expansive et plus impressionnable des femmes qu'elles devraient rencontrer un terrain particulièrement favorable à leur entière fécondation?

Sans doute, je ne veux point par là prétendre qu'il faille faire des Françaises du dix-neuvième siècle des Spartiates ou des Romaines; mais j'ai la conviction que l'influence des femmes dans la société est telle, quoi qu'on en puisse dire, qu'il convient d'en ménager les effets avec autant d'habileté que de sagesse. Ne serait-il pas temps, dès lors, pour tarir dans l'une de ses sources les plus fécondes la contagion contre laquelle nous voulons lutter, de chercher aussi à faire de nos filles de vraies femmes, au lieu de leur laisser imprudemment caresser comme l'idéal de la perfection qui doit assurer leur empire la réalisation. de ces types grotesques, s'ils n'étaient pas attristants, que notre théâtre moderne a popularisés? La décentralisation intellectuelle, en se régularisant et en s'acclimatant chez nous, hâtera la solution de cet important problême qui intéresse à la fois la prospérité, la dignité et la moralité de notre pays.

Mais je m'aperçois, Monsieur, que je me laisse, en dépit de mes promesses, entraîner à professer, et c'est là pour moi un rôle aussi inutile que périlleux. Je m'arrête donc, et j'oublie volontiers les travaux que nous pourrons entreprendre ensemble pour donner, à cette heure, place à un sentiment tout personnel et me réjouir de voir nos liéns de bonne confraternité se resserrer encore par une confraternité nouvelle.

NOTICE

SUR

M. LEONOR JOURDAIN

MEMBRE HONORAIRE DE L'ACADÉMIE

PAR M. J. GARNIER.

(Séance du 27 Juillet 1866.)

MESSIEURS,

Je crois être l'interprète de ceux de mes collègues qui ont connu M. Léonor Jourdain, en priant l'Académie de vouloir bien consigner au procès-verbal de cette séance l'expression de ses regrets pour la perte que nous avons faite récemment de ce membre distingué de notre Compagnie.

M. Léonor Jourdain('), après avoir rempli les fonctions de précepteur dans une des plus honorables famille de l'Artois, était revenu dans sa ville natale, où il ne tarda point à se faire une réputation comme professeur libre de littérature. Nommé membre

(1) M. Léonor Jourdain naquit à Amiens le 11 Janvier 1779; il mourut dans sa ville natale le 18 Juillet 1866.

titulaire le 15 juillet 1823, il appartint à l'Académie jusqu'au 12 mars 1842, qu'il se retira pour cause de santé. Mais l'Académie, qui tenait à honneur de le conserver dans ses rangs, s'empressa de lui conférer, le 26 du même mois, le titre de membre honoraire. M. Jourdain était digne de cette faveur, car il avait assiduement payé sa dette.

C'est surtout comme traducteur que M. Jourdain s'est fait connaître, et ses travaux nous le montrent également familier avec la littérature ancienne et la littérature moderne. Ainsi nous lui devons une traduction de la deuxième idylle de Théocrite, et celle d'une ode d'Anacréon; celle de plusieurs odes d'Horace; de l'Amphitryon, de Plaute, et du Discours de Cicéron pour Marcellus. D'autres fois il nous initia aux poésies de Shakespeare, de Campbel et de Byron, en nous donnant le Roi Jean, du premier; le Poème sur l'Espérance, du second; La Solitude et le sonnet sur l'Italie, du dernier; ou bien il emprunta à l'Espagnol la remarquable préface que Cervantes a mise en tête de son Don Quichotte.

Je citerai encore, parmi les principales communications de notre collègue, son rapport sur une Étude comparative des langues qu'avait présentée M. Obry, et qui décida l'admission de ce savant linguiste. Enfin, je rappellerai un rapport sur les poésies de M. Boucher de Perthes et sur le Petit Glossaire du même auteur.

M. Jourdain n'avait pas une connaissance ordi

naire des langues, il en avait étudié l'esprit et le caractère, il en possédait tous les secrets, toutes les nuances, et, avec cette finesse de goût, cette justesse d'appréciation dont il était doué, il savait réellement traduire, c'est-à-dire rendre la pensée de l'écrivain, avec la couleur dont elle était revêtue. Mais c'était surtout dans les causeries qu'il fallait l'entendre, lui si simple, si modeste, formuler son jugement sur un livre, en signaler les défauts, en montrer les beautés avec un talent, une originalité qu'on ne rencontre pas toujours dans nos critiques les plus vantés. Une difficulté se présentait-elle dans un texte qu'il fallait expliquer, il cherchait avec vous et présentait comme un doute ce qui, pour ceux qui l'entendaient, était une solution sans réplique; car d'avance il avait fait pressentir, par une suite d'observations ingénieuses ou logiques, le sens et l'expression propres que l'on s'étonnait d'avoir si longtemps cherchés en vain.

Avec sa science profonde des langues, son jugement juste et prompt, son imagination vive et brillante, son caractère bon et conciliant, M. Jourdain aurait pu être toute autre chose que le simple professeur qu'il a été ; mais il préférait à tout d'être libre, d'étudier à ses heures, et il semblait ignorer ce qu'il possédait d'érudition, et tout ce qu'il y avait dans son esprit de finesse, d'entraînement et de charme.

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