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trines qu'ils professent, et je m'en référerais volontiers à leurs testaments pour leur donner à euxmêmes le plus énergique démenti. Soyez-en assurés, l'agitation, qui est parvenue à porter la question devant les deux chambres législatives, est toute factice, et ces idées économiques, avec lesquelles on a entraîné quelques bons esprits, ne sont rien autre chose que le masque moderne qui couvre le visage des amis du passé.

Dans notre pays, aucun besoin nouveau ne se fait jour, et ce n'est pas chez nous qu'il faut invoquer, en fait de législation civile, l'exemple de nos voisins. La France, qui a donné ses codes à la moitié de l'Europe, n'est point habituée à chercher au dehors les modèles de ses lois. Où les prendrions-nous d'ailleurs? Serait-ce au milieu des mœurs féodales de l'Allemagne, ou au sein de l'Italie à peine transformée? Deux pays au monde ont seuls proclamé la liberté absolue du testament, la démocratique Amérique, où l'étendue du sol et l'activité du travail ne laissent pas aux fortunes accumulées l'importance relative qu'elles ont en Europe, et l'aristocratique Angleterre, où les hommes les plus libéraux et les plus éclairés voient avec raison, dans la loi des successions, l'une des causes d'une inégalité monstrueuse, et prennent nos lois pour exemple, au moment même où l'on nous conseille de revenir à ces débris du moyen-âge qui sont restés les lois de l'Angleterre.

Défendons donc ce principe de notre Code, qui est comme la clef de voûte de nos institutions : l'égalité des partages. Si cette lutte doit s'engager, il vous appartient d'y prendre part. Dans le discours par lequel il a marqué, avec tant d'éclat,son entrée parmi vous, votre Directeur vous disait que le rôle des sociétés comme la nôtre peut n'être pas entièrement stérile, «soit qu'elles secondent, par leurs encouragements, le vigoureux élan du progrès réalisable, soit qu'elles sauvegardent ces notions éternelles du grand, du beau et du juste dont le culte assidu suffit, à défaut de gloire et de génie, pour l'honneur et la dignité d'une époque. Eh bien ! s'il manque à la nôtre ce merveilleux génie créateur en toutes choses, qui a fait la gloire de la génération qui vient de disparaître, sachons du moins sauvegarder ces notions éternelles du juste qu'elle a proclamées, et notre passage n'aura pas été sans honneur et sans dignité, si nous laissons consolidés et à l'abri de toute atteinte les principes sur lesquels nos pères ont projeté une si vive lumière.

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REPONSE

AU

DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. CHARLES DUBOIS

PAR M. WATTEAU, DIRECTEUR.

(Séance du 30 Novembre 1866).

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MONSIEUR,

Lorsqu'au mois de février dernier, l'Académie vous appelait à siéger dans son sein, elle était loin de soupçonner devoir, pendant si longtemps encore, rester privée de votre collaboration.

Toutefois, en vous exprimant ses regrets, elle n'a pas assurément la pensée de vous reprocher un ajournement dû surtout à des calamités auxquelles nous avons tous, hélas ! plus ou moins douloureusement payé notre tribut; et, cherchant aujourd'hui à jeter le voile de l'oubli sur ce triste passé, elle se réjouit d'un présent qui vous donne définitivement à elle. Soyez donc le bien venu, Monsieur, et, au risque d'effleurer la susceptibilité de votre modestie, laissez-moi

vous dire que c'est en pleine connaissance de cause que nos suffrages sont allés vous chercher. Sans parler des études sérieuses qui vous ont valu, dans la science du droit, le grade le plus élevé que puisse conférer l'Université; sans tenir même autrement compte de vos heureux débuts au Barreau, l'Académie a trouvé, dans le succès mérité de vos lectures publiques, un titre exceptionnel à ses préférences.

Vous avez, en effet, par là, donné la mesure de vos forces et montré qu'à la variété et à la profondeur des connaissances, vous joignez l'art de bien dire et le culte éclairé des aspirations de l'esprit moderne. Vous apparteniez, dès lors, de plein droit à une Compagnie qui s'honore des mêmes tendances et qui s'efforce, autant qu'il est en elle, de les mettre en œuvre. Vous venez de nous prouver que notre choix ne s'est point égaré, et nous avons retrouvé, dans l'intéressante esquisse dont vous nous avez offert la primeur, les qualités solides et brillantes, le sens droit et pratique, les sentiments généreux qui constituent le précieux apanage de votre personnalité.

Le grand principe de l'égalité des partages, l'une des plus précieuses conquêtes de la civilisation, devait tout naturellement, Monsieur, vous compter au nombre de ses défenseurs. Vous avez, avec autant de force que de raison, apprécié la valeur de ces utopies dangereuses qui, dissimulant mal, sous le masque de la liberté et du progrès, des regrets impuissants, ne tendent à rien moins qu'à porter une

atteinte fatale aux lois les plus saintes de la famille, de la morale et de la religion. Qui pourrait, en effet, sérieusement soutenir qu'en ouvrant ainsi un champ sans limites à l'arbitraire du père de famille pour la disposition de ses biens; en conviant complaisamment la cupidité, l'hypocrisie et l'astuce à s'asseoir à chaque foyer; en laissant la fantaisie prendre la place d'une sage protection de droits dont une origine commune doit garantir l'égalité, le système que vous combattez n'autoriserait pas ouvertement la violation de ces sentiments désintéressés de respect et d'amour pour leurs parents dont la nature a déposé le germe pieux dans le cœur de tous les enfants, et n'introduirait pas ainsi, dans les relations les plus intimes et les plus nécessaires, une perturbation dont l'ordre social tout entier ne tarderait pas à ressentir le mortel contre-coup?

Je ne crains donc pas plus que vous, Monsieur, de voir jamais prévaloir de pareilles doctrines qui ne reposent sur aucune base acceptable, et contre le dangereux absolutisme desquelles protestent à la fois les jurisconsultes, les moralistes et les bons citoyens. Non, le vieux monde ne saurait ainsi, même partiellement, renaître de ses cendres éteintes; non, nous ne sommes pas condamnés à nous mouvoir sans cesse dans un cercle sans issue, et nous ne pouvons pas accepter, comme conséquence de cette évolution nécessaire et fatale, le retour des théories rétrogrades et des principes surannés dont l'expérience et le

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