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Cependant le jour pour l'ouverture des Introd états était indiqué; on s'essaya encore en chicanes de détails pour le retarder; ou réussit même à les faire ouvrir sous des auspices funestes; et comme cet événement fut l'essai d'une arme souvent employée dans la suite, celle des émeutes populaires, et d'une tactique assez savante pour mettre en mouvement une nombreuse multitude, sans autre moyen que l'opinion, pour diriger cette multitude vers un but ignoré et que les chefs conducteurs connaissaient seuls, il est nécessaire de baisser un moment le ton de l'histoire, et de descendre à des détails qui tiennent de trop près à l'histoire même pour les omettre.

Depuis qu'il était question d'états-généraux, surtout depuis que le parlement de Paris en avait émis le vœeu, et que les coups d'autorité déplacés avaient appelé sur lui l'attention et l'intérêt public, on avait vu le palais de la Justice environné de soldats; on avait vu des officiers de l'armée,

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porteurs d'ordres militaires, venir enlever, séance tenante, des magistrats désigués, et les conduire au loin en exil: la résistance avait été calculée avec justesse, précisément ce qu'il en fallait pour rendre la soumission intéressante, et l'autorité alarmante et odieuse. Le peuple, ignorant encore sa force, dont il n'avait pas fait l'essai, ne prenant pas d'ailleurs une part bien active à ces querelles, avait vu tranquillement s'exécuter ces actes abitraires et absolus ; il fallait un stimulant plus vif pour l'émouvoir; il fallait un motif matériel et sensible: celui des subsistances était toujours prêt et sûr. Dès l'année 1776, on en avait fait usage: le monopole sur les grains, exercé par Louis XV lui-même à la fin de son règne, n'était pas oublié ; il fut aisé d'éveiller l'inquiétude publique, et de lui donner des alarmes: on savait qu'en fait de subsistance, la peur suffit pour opérer le mal, et que le mal est fait, dès que l'on a réussi à le faire prévoir et craindre.

Paris,

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Paris, depuis les temps orageux de la Introd -Ligue et de la Fronde, n'avait produit aucun mouvement d'émeutes qui pût inquiéter; le gouvernement se reposait sur l'entier oubli de ces scènes violentes; les mouvements mêmes qu'avaient occasionnés la cherté et la rareté des grains en 1776, étaient de nature à le rassurer; quelques troupes avaient suffi pour tout dissiper, avec le cours ordinaire de la justice.

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Mais il semble que les hommes ont, ainsi que les plantes, un caractère indigène qui tient au sol les descendants de ceux qui avaient défendu etsauvé Paris se retrouvèrent les mêmes; et les hommes qui méditaient déja une révolution avaient un grand intérêt à s'en assurer: pour cela, il fallait une épreuve, et, pour l'épreuve, un prétexte: on choisit le lieu de la scène au faubourg de Paris, nommé le faubourg Saint-Antoine, le même qui s'était déja fait connaître au temps des anciens troubles, par du courage et de l'énergie. Ce faubourg a toujours été habité

Tome I.

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Introd. par une classe nombreuse d'ouvriers dans tous les genres, qui, réunis habituellement, se connaissant les uns les autres, sont susceptibles d'émotions communes et faciles à se communiquer. Leur ordre de travail se fait par grands ateliers, chez des chefs de manufacture: un d'eux, nommé Réveillon, fut accusé d'avoir tenu quelques discours déplacés sur le salaire et la subsistance des ouvriers; dès le lendemain, on se porta en foule à sa maison : tout fut pillé, incendié; la garde ordinaire de police ne put suffire à réprimer le désordre; il fallut appeler des troupes de la garde française et suisse; il fallut déployer l'appareil de la force militaire. Le premier feu, loin d'effrayer, ne fit qu'irriter: on voyait, aux fenêtres d'une maison en flamme, les hommes et les femmes même tomber en arrière à chaque décharge; les blessés étaient emportés, et ceux qui les transportaient revenaient à la hâte reprendre leur poste. Parmi les acteurs de cette scène sau

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glante, qui dura plusieurs heures, on en- Introd. tendait, au milieu des clameurs d'une tourbe effrénée, répéter le mot liberté : ils affectaient entre eux une police à la fois barbare et désintéressée; l'ordre était de tout brûler, de tout détruire; et ceux qui osaient emporter, voler, étaient massacrés sur le champ; des hommes, à peine vêtus, et sous les haillons de la misère, apportaient des montres, des bijoux, et les jetaient dans les flammes, en criant: Nous ne voulons rien emporter. Il était évident que ces hommes, exaltés par des motils supérieurs, n'étaient que des instruments dévoués à ceux qui les dirigeaient; enfin, la nuit vint finir cette scène, et chaque parti fut satisfait des conséquences qu'il en pouvait tirer pour ses intérêts: les chefs révolutionnaires, car c'est ainsi qu'on peut déja les appeler, furent assurés d'une armée brave à leurs ordres, et les agents de l'autorité virent, avec satisfaction, que les troupes n'avaient pas refusé l'usage

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