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III. Er La discussion était embarrassée: Tronchet présidait; et le règlement intérieur interdisait au président d'opiner: on éluda la loi. Un autre membre remplaça Tronchet; et l'assemblée voulut l'entendre, avant de porter un décret. Enfin d'André, ancien membre du parlement de Provence, fit la motion, aussitôt adoptée, de prier le roi de donner les ordres pour la convocation de la nouvelle législature. Beaucoup d'intérêts publics et personnels se réunissaient; les uns étaient empressés de succéder à des places devenues éminentes; les autres, mécontents de ce qui était fait, soit parce qu'ils pensaient que l'on avait été trop loin, ou qu'ils méditaient d'aller plus loin encore, voulaient une nouvelle assemblée, qui devenait pour eux une chance nouvelle. On renchérit encore sur cette mesure, en décrétant qu'aucun membre ne pourrait accepter d'emploi à la nomination du roi, pendant quatre ans, après la séparation de l'assemblée, et bientôt après qu'aucun membre de l'assemblée constituante ne pourrait être réélu; deux dispositions également vicieuses, en ce qu'elles ótaient toute ressource à des ambitions auxquelles il ne restait plus qu'à troubler, pour n'être pas oisives, et qu'elles privaient la législature suivante des lumières acquises, et de l'intérêt que tous les hommes attachent à leur ouvrage. Ce fut Robespierre qui emporta cette

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dernière résolution ; il fut secondé par tout ce qui III. Ep. existait de petites passions personhelles. Legrand nombre, qui ne prétendait ou n'espérait pas être réélu, fut bien aise de confondre avec soi tous ceux que leurs talents avaient distingués; et l'apparence de générosité et de désintéressement était sûr du vœu général. La tribune de la société des jacobins n'y avait pas peu contribué. Les orateurs qui s'y exerçaient depuis longtemps, étaient, impatients d'entrer en scène. Cette société s'organisait sous le nom de société des amis de la constitution. Presque toutes les villes de France avaient des sociétés affiliées à celle de Paris; et déja le journal de ses séances." juin s'imprimait et s'envoyait périodiquement. Il arrivait à l'assemblée des adresses et des pétitions en noms collectifs, de toutes les sociétés, et souvent les autorités constituées étaient dirigées par elle, ou obligées de composer avec elle. Une adresse de la société de Marseille disait :" Lorsque les Phocéens, nos aïeux, abordèrent << sur cette plage, fuyant la tyrannie, ils jetè<< rent une barre de fer dans la mer, et dirent: « Cette barre surnagera, avant que nous retour«nions sur la terre de la servitude. Après trois « mille ans, nous venons vous dire comme eux : « Cette barre remontera sur les flots de notre golfe, avant que nous consentions au retour << des tyrannies que vous avez détruites. »

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III. Ep.

L'esprit de Mirabeau avait monté l'esprit pu1790. blic de cette ville; mais n'étant plus, pour le diriger, il fut, bientôt après, un instrument dont se servirent les ennemis de la liberté. On essaya de limiter l'influence de ces sociétés, en leur interdisant le droit de pétition collective; mais il fallut, pour les y comprendre, étendre cette défense à toutes sociétés, même aux autorités constituées. L'assemblée commençait déja, depuis assez longtemps, à s'inquiéter des pouvoirs que les jacobins exerçaient même sur elle. L'ordre du jour y était débattu la veille; et les opinions arrivaient à l'assemblée, non pas préparées, mais faites. Ce qui avait passé aux jacobins en délibération, était annoncé comme de-. vant passer à l'assemblée ; et ceux qui voulaient mener l'assemblée, lui préparaient ses décrets aux jacobins. Ce pouvoir augmenta; et ceux qui voulurent diriger et maintenir la législature suivante, n'eurent qu'à s'emparer des jacobins : ils le firent; et, lorsque l'étranger désespéra de nous vaincre par la force, il s'introduisit aux jacobins, et fit, par eux, plus de mal qu'il n'eût osé en faire lui-même.

L'assemblée se hâtait dans ses délibérations. Le serment des prêtres, et quelques troubles qui en furent les suites, firent encore diversion aux décrets constitutionnels. Le peuple, accoutumé à les exécuter dans le sens de l'exagération, s'était

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mis à persécuter les prêtres qui n'avaient pas voulu prêter le serment. On leur refusait l'entrée des églises, pour y dire la messe. Plusieurs furent poursuivis et maltraités; des femmes furent même frappées d'une manière humiliante et indécente. Il fallut un décret et un rapport pour arrêter ces scandaleux désordres. Le peuple ne pouvait comprendre comment la loi exigeait une chose, et cependant improuvait ceux qui en poursuivaient l'exécution. Si les esprits eussent été reculés de deux siècles, la persécution commençait, et peut-être était-elle desirée par les plus intéressés de ceux qui en eussent été l'objet. Talleyrand et Sieyes firent un discours remarquable sur la liberté des cultes. On fut obligé d'établir une garde dans une église, aux Théatins, pour y protéger le culte des prêtres insermentés. Tous ceux qui le voulurent, y trouvèrent un culte catholique, selon leur opinion; tandis que le même culte catholique, exercé par des prêtres sermentés, satisfaisait ceux qui lui donnaient la préférence, on cherchait le schisme, sans pouvoir le trouver; car chacun convenait des mêmes dogmes et des mêmes rites. On était convenu de se diviser, sans pouvoir convenir des points sur lesquels on se divisait. Le pape, qui aurait dû, pour son intérêt, reconnaître deux cultes, dont la prétention était également de ne pas se séparer de lui, refusa

III. Epir

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Ep. l'ambassadeur nommé par le roi, pour remplacer le cardinal de Bernis, et cela, sous prétexte que cet ambassadeur avait prêté le serment; et cet ambassadeur n'était pas prêtre : c'était Ségur, auparavant ambassadeur en Russie; il semblait que la raison devait s'éloigner de tout ce qui tenait à ces questions religieuses, mêlées mal à propos avec la politique. Dans le même temps, les protestants établissaient leur culte public à Paris; ils achetèrent l'église de Saint-Louis du Louvre; et l'assemblée, loin d'user du droit de représailles envers le pape, se refusait à la réunion de son comtat d'Avignon, qui demandait et sollicitait cette réunion. Il est vrai que, peu de temps après, on rendit cette réunion nécessaire, par tous les crimes qui tourmentèrent cette malheureuse contrée, et qui lui firent solliciter l'état civil d'un pays acquis par droit de conquête.

On avait réservé, pour terminer la constitution, tout ce qui concernait le pouvoir exécutif. On sentait qu'il n'existait plus; et l'on osait à peine lui rendre la force d'exécution dont il avait besoin. On sentait qu'il était sans moyens; et l'on imagina d'annoncer une révision de la constitution, avec laquelle on espérait lui rendre ce qu'on lui avait ôté de trop. L'institution de deux conseils, que l'on n'appelait encore que deux chambres, était tellement dépopularisée,

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