Page images
PDF
EPUB

Livre rouge fut obtenu avec quelques difficul- III. Ep. tés, le roi même, en l'envoyant, ne laissa ou- 1790. vert que les feuillets de son règne; ceux du règne précédent furent cachetés, et par un mouvement délicat, l'assemblée respecta ce scellé. On apporta une grande réforme dans les traitements abusifs, et toute pension fut réduite provisoirement à 3,000 liv.

On avait achevé de décréter tout ce qui te- 28 févr. nait à la nouvelle organisation administrative du royaume, par département, district, municipalité. On entama enfin l'ordre judiciaire. Les parlements n'existaient déja plus, les seules chambres de vacations faisaient le service. Nulle opposition n'arrêtait la marche constitutionnelle; il ne s'agissait que de savoir quelle forme nouvelle remplacerait l'ancienne forme détruite. Trois grandes bases devaient régler l'état de l'ordre judiciaire, l'institution des jurés, l'éligibilité, l'amovibilité; on ne voulut prendre modèle sur aucune institutions connues, et c'était un des caractères de cette assemblée, de ne vouloir rien de ce qui avait été fait en empruntant même de l'Angleterre le jugement par jurés, on le changea de formes, au point de ne lui laisser de commun, pas même le nóm. L'éligibilité ne fut pas la première pensée de l'assemblée ; on regardait comme axiome, que la justice devant être rëndue au nom du roi, comme faisant partie

1790.

III. Ep. du pouvoir exécutif, les juges devaient être à sa nomination; ensuite la discussion fit changer les idées; les membres des tribunaux durent être élus. On balança encore, s'ils seraient perpétuels ou temporaires ; et dans un ordre de liberté naissante, le second système devait nécessairement être préféré; on laissa seulement à la no-. mination royale les officiers publics près chaque tribunal : Duport et Sieyes présentèrent chacun un plan différent, surtout pour l'organisation du jugement par jurés ; celui de Sieyes eut la préférence pour être discuté. De tous les établissements de cette assemblée, l'ordre judiciaire fut celui qui éprouva le moins de variations dans la suite; un tribunal par département, et un tribunal d'appel pour tous, chargé de juger des formes. Le souvenir de l'ancien pouvoir des grands corps de judicature, influait tellement sur les esprits, que ce tribunal suprême ne reçut que le nom modeste de tribunal de cassation. On régla aussi une haute-cour nationale, chargée de juger les crimes de hautetrahison. Ces changements, que le roi le plus absolu n'eût jamais osé tenter, furent décidés et exécutés sans la moindre résistance; le pouvoir. de l'assemblée croissait chaque jour par son exercice même; un simple décret envoyé au loin, arrêtait les excès de la licence, appaisait les troubles, désarmait les partis; tout pliait, cédait

1790.

ou se taisait; l'opinion régnait sur tous les in- III.* Ep: térêts privés et sur les habitudes, les plus anciennement admises.

Enfin, la commune de Paris, renonçant à cet esprit de rivalité, qu'elle devait bientôt reprendre, vint solliciter son organisation définitive; les deux cent soixante représentants avaient donné leur démission; les districts, c'està-dire les assemblées libres et indéfinies des citoyens, qui se réunissaient journellement dans chacun des soixante districts de Paris, pour y délibérer, avaient demandé leur permanence; et cette cause subsistante de désordre et d'anarchie ne pouvait plus être contenue que par une municipalité constituée; la garde nationale seule maintenait assez de police pour la sûreté des personnes et des propriétés; elle déploya toujours un caractère suivi de fermeté et de modération, qui déjoua souvent les projets du dehors; cependant elle fut attaquée dans l'assemblée; une garde d'honneur, et même de sûreté, l'entourait pendant ses séances; un membre, Foucault, député de l'ordre de la noblesse, interpella le commandant général Lafayette, et dit, qu'il fallait répéter ce qui avait été dit à Versailles: «Faites retirer les baïonnettes « du lieu de nos délibérations! » Cet élan ne manquait que d'à-propos; car il y avait de la liberté et de l'élévation: un grand tumulte

1790.

III. Ep. dans l'assemblée, fut suivi de quelques rassem blements, qui, à la sortie', attaquèrent de paroles plusieurs députés, Mauri, Cazalès, Mirabeau le cadet, qui toujours se tint dans le côté opposé à son frère.

La garde nationale accourut, dissipa l'attroupement, et les reconduisit en sûreté dans leur demeure; c'était leur prouver que la garde na17 avril. tionale était utile et même nécessaire. A cette même époque, on décréta définitivement les assignats comme papier-monnaie, hypothéqués sur les biens nationaux. D'abord les assignats portèrent un intérêt de 4 pour cent, qui ferait toujours partie additionnelle de la valeur ; en5 mai. suite on supprima l'intérêt : l'assignat se soutint longtemps au pair, ou à peu près, avec le numéraire métallique, et plus longtemps encore au pair avec les objets de commerce, tant que la quantité de cette monnaie fictive fut en quelque proportion avec le numéraire effectif; la valeur de l'assignat déclina ensuite, selon son émission, et finit par s'éteindre dans une valeur purement idéale. Cette grande mesure causa de grands dangers et servit aussi à s'en tirer; l'assignat prit crédit chez l'étranger, et s'y soutint plus longtemps qu'en France; les prisonniers français, enfermés à Temeswar en Hongrie, dans l'année 1794, y trouvaient encore 30 pour cent de nos assignats, tandis qu'ils ne valaient

III. Ep

plus 8 et 9 à Paris; il n'y eut même aucune 1790. secousse publique au moment de leur extinc-. tion. En 1796, on repassa de l'usage du papier à celui de l'argent, sans autre effet qu'un agiotage très-actif, qui fit changer de main plusieurs fortunes privées. L'effet de l'assignat, fut de faire vendre une grande masse de biens nationaux, qui, divisés entre un très-grand nombre d'acquéreurs, augmenta celui des propriétaires, donna un grand intérêt au maintien de la révolution, et posa les plus sûrs fondements de la prospérité publique et de la force politique de la nation, par la subdivision des propriétés: comme opération de finance, on se mit pour longtemps l'esprit en repos ; on n'eut plus à chercher des ressources pour les dépenses journalières, l'’im*primerie des assignats suffit seule aux dépenses publiques.

Quoique Necker n'eût point été opposé à l'établissement d'un papier-monnaie, qu'il n'eût cependant pas osé seul, cette mesure le rendait moins nécessaire ; quelques altercations avec le comité des pensions avaient déja altéré cette faveur publique qui l'avait toujours aidé; on cherchait depuis longtemps à lui donner des dégoûts, et ses forces physiques et morales semblaient s'affaisser sous le poids des affaires. Chaque fois qu'il envoyait des mémoires à l'assem blée, ils étaient encore accueillis; mais bientôt

« PreviousContinue »