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de 80 millions se remplissait lentement, les dons II. Ep. patriotiques rendaient peu, la source des revenus publics tarissait tous les jours; et malgré un décret de l'assemblée qui maintenait la gabelle, sous ses yeux, à Versailles, un parti en avait décidé autrement, et cet exemple fut bientôt suivi dans les provinces. Mirabeau essaya de s'opposer 24 sept. au plan proposé par le ministre: ce plan consistait en une contribution patriotique du quart du revenu; le mode de perception en était fort adouci, chaque contribuable devait faire lui-même son estimation et être cru sur sa simple déclaration. Ce plan, accompagné de grands développements sur l'état actuel, sur les craintes et sur les espérances à venir, fut peu discuté; les modifications aux deux emprunts précédents étaient une leçon. Mirabeau essaya de faire passer une rédaction qui renvoyait toute la responsabilité sur le ministre ; mais l'expression de la haine y était si caractérisée, que l'assemblée le repoussa durement; lui-même pour s'excuser au moins avec le mérite de la franchise, convint du sentiment qui l'avait dictée; et cependant le décret conservant une teinte de la rédaction de Mirabeau, accepta le plan de confiance, et, vu l'urgence des besoins, on en abandonnait le mode d'exécution au conseil du roi. Ce fut à cette occasion que Mirabeau, après une longue discussion, saisi du génie de Démosthène, fit enfin passer ce plan sur lequel

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II. Ep. l'assemblée hésitait encore. « Vous délibérez, dit«il; ce gouffre du déficit ouvert sous vos pas vous épouvante, si quelqu'un de ces mauvais génies qu'on a cru longtemps présider aux choses << humaines, apparaissait dans cette assemblée «< et vous disait, jetez dans ce gouffre tous les « créanciers de l'état, le gouffre va les dévorer et <«< il se refermera, vous frémiriez d'horreur : eh bien!... » Cependant le gouffre ne se referma pas, il demandait de plus grands holocaustes. Les biens du clergé étaient depuis longtemps l'objet des spéculations publiques : déja les dîmes avaient été enlevées; l'argenterie des églises fut mise en motion et immédiatement offerte et acceptée. Le roi avait fait porter la sienne à la monnaie, malgré une invitation de l'assemblée pour le prier de se désister de ce sacrifice. Déja une motion préparatoire faite par un membre de la noblesse, Lacote avait proposé de déclarer que les biens du clergé étaient à la disposition de la nation, en conservant les mêmes revenus aux titulaires et en se chargeant des frais du culte.. Ce grand sacrifice n'était pas encore consommé, mais toutes les opinions étaient décidées d'un côté, et résignées de l'autre ; Paris attendait avec une impatience que l'on avait soin de fomenter en tardant à la satisfaire. Le moment approchait où l'agitation publique devait être mise en œuvre: il faut toujours dorénavant séparer l'assemblée

des partis opposés qui déja cherchaient à se ser- II. Ep: vir d'elle ou à la perdre. Alors commença cette double marche qui, partant de points opposés, tendait au même but, cette marche qui fut longtemps une énigme que le temps et de trop fréquentes expériences ont seuls expliquée. Le parti opposé à la révolution et à toute constitution avait besoin d'excès pour tout empêcher; et s'il le fallait pour tout détruire, le parti qui ne voyait dans une révolution qu'un moyen de parvenir à ses fins, soit un changement de dynastie, soit une anarchie, avait également besoin d'excès: chacun les fomentait également, espérant s'en appliquer les résultats ; ils s'entendaient pour ouvrir la route qui menait au but commun ou plutôt ils n'avaient pas besoin de s'entendre ; la nature des choses suffisait à leur commune intelligence, et ils se rencontraient sur le même chemin, uniquement parce qu'ils couraient la même carrière: arrivés à ce but, ils se divisaient, parce qu'ils voulaient un résultat différent; alors s'ils se trouvaient là, en équilibre de forces, elles se neutralisaient, et c'était à recommencer. Si, comme il arrivait presque toujours, le parti qu'on pouvait appeler sur-révolutionnaire, avait le dessus, il se hâtait d'écraser l'autre, et l'assemblée, obligée de les suivre, parce qu'ils portaient sa bannière, se trouvait entraînée à des résultats qu'ellemême n'avait pas prévus, mais que les circons

II. Ep. tances rendaient inévitables: il fallait ensuite les 1789. soutenir, parce qu'on sentait le danger de reculer, même après s'être avancé plus loin qu'on ne l'eût voulu. Ces partis, d'abord peu nombreux, ne produisirent que des chocs dans l'assemblée; mais lorsque s'étendant aux dehors, ils eurent engagé à eux, chacun une partie de la nation même, ils produisirent 'ces commotions révolutionnaires connues sous le nom d'action et de réaction, et perpétuèrent longtemps les vengeances et les représailles, la lassitude seule y mit un terme. L'étranger aidait alternativement et souvent en même temps les deux partis.

L'armée devait être un objet de spéculation pour les deux factions contraires, car bientôt elles méritèrent ce nom; chacune devait vouloir s'en emparer, ou la détruire.

On créa un comité militaire, on annonça une organisation nouvelle; c'était assez déja pour répandre l'inquiétude : chacun espéra ou craignit un nouvel ordre de choses et se rattacha à un parti, selon ses craintes ou ses espérances. Il y avait depuis longtemps de grands vices dans la constitution militaire de France; les grades supérieurs étaient reservés presque exclusivement à la noblesse de cour, et, par un règlement assez nouveau, toutes les places d'officiers venaient d'être exclusivement reservées à la noblesse. Cette ordonnance militaire que l'on imita des armées

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prussiennes ne convenait pas à la France qui ne II. Ep. s'était jamais avouée régie par un gouvernement militaire ; le tiers-état en avait fait le sujet des plus justes plaintes dans tous ses cahiers, et des plus instantes réclamations. Les troupes qui avaient été appelées et ensuite éloignées de Paris, à l'époque du 14 juillet avaient été témoins de ce qu'était une révolution; par la rapidité des événements qui s'étaient passés sous leurs yeux, elles avaient appris en peu de jours à connaître le mot opinion publique; le soldat avait appris qu'il s'agissait de la cause du tiers-état et qu'il était du tiersétat; les sous-officiers que l'on ne nommait déja plus bas officiers, tous parvenus par le grade de soldat, voyaient devant eux la perspective des places de ceux qui ne les commandaient qu'à titre de naissance; et, plus rapprochés du soldat, ils avaient sur lui une influence plus immédiate et continue. Par un vice de l'organisation militaire les officiers, au contraire, ne communiquaient avec leur troupes que pour les commander sous les armes, et, souvent absents de leur corps, ils n'avaient sur eux que l'autorité légale, sans confiance et sans intimité. Les corps mémes qui composaient la maison militaire du Roi, avaient depuis peu d'années subi des changements et des diminutions dont l'effet avait été un rélâchement inévitable des antiques liens qui les rattachaient au trône : on avait vu les gardes-du-corps présen

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