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11. Ep. droits de l'homme était le premier chapitre 1789. d'une constitution générale présentée à tous les peuples. Toutes les idées grandes prévalurent toujours dans cette assemblée, pour tout ce qui devait émaner d'elle et se produire au dehors. Au contraire, tout ce qui se faisait dans son intérieur, gardait le caractère des petites affaires privées, et des querelles de famille; la peur d'être conduite et menée, était surtout ce qui mettait le plus l'assemblée sur ses gardes. Ainsi, lorsqu'il fut question de choisir entre vingt projets de déclarations des droits, qui lui furent présentés après celle de Lafayette, donnée dès le 11 juillet, la crainte de voir s'attacher le nom personnel d'un de ses membres à son ouvrage, les lui fit rejeter toutes. L'assemblée était alors partagée en vingt bureaux, qui rapportaient un travail préparatoire on choisit le projet de l'un des bureaux, le sixième, en se réservant de le discuter par article; et le résultat de la discussion fut de changer successivement tous les articles du projet donné par le sixième bureau ; enfin, après environ quinze séances d'une discussion plus subtile qu'orageuse, la déclaration dés droits de l'homme sortit, et son premier article fut cette grande vérité : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

On ne pouvait par cette expression, égaux en droits, entendre l'égalité native et naturellé ́,

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Pièces j (2).

puisque la nature, par l'inégale distribution des 11. Ep. facultés physiques et intellectuelles, n'établit. qu'une trop grande inégalité parmi les hommes; on ne pouvait aussi entendre, en droits civils, puisque l'inégalité inévitable des propriétés est la premiere base du code social qui les garantit; on ne pouvait donc entendre que l'égalité politique, celle qui rend égaux, devant la loi, les hommes que la nature et la société avaient rendus inégaux. En ce sens, cette vérité étoit si claire, qu'elle n'avait pas besoin de développement; et cependant, par égard pour la faiblesse humaine, ou pour éviter le danger des interprétations de la malveillance, ces mots, droits politiques, eussent été desirés, parce qu'en fait de législation, rien ne va sans dire. Cette discussion sur la déclaration des droits avait été interrompre par les besoins urgents des finances: le premier emprunt de 30 millions, accordé, mais avec des modi-9 août fications, avait manqué par les modifications mêmes il avait fallu recourir à de nouveaux moyens. Un second mémoire du premier ministre des finances, demandait un second emprunt de 80 millions; il fallut l'accorder et sans modi'fications. Mirabeau, en cette circonstance, eut un de ces mouvements décisifs d'éloquence, digne des Catilinaires, qu'il cita heureusement en repoussant l'application de Catilina, qui lui 'avait été faite quelques jours auparavant, et peut

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H. Ep. être avec connaissance de cause: c'était une 1789. invitation assez franche qu'il faisait au Gouvernement on ne l'accueillit pas, et son amourpropre blessé, autant que son intérêt, l'appelèrent au parti opposé; il s'y livra.

Dès-lors commençaient à se former dans l'assemblée deux partis distingués par le nom de côté droit et de côté gauche, selon qu'ils siégeaient, par rapport à la place ou siégeait le président; et, dans le côté gauche, se formait une coalition plus spécialement révolutionnaire: ils prétendaient au titre de chefs du parti populaire et ils en exercèrent souvent l'influence: ayant soin de précéder toujours le vœu de l'assemblée, ils semblèrent souvent le décider; habiles à la devancer dans le chemin qu'elle voulait prendre, ils semblèrent le lui indiquer et l'y conduire affectant de marcher toujours les premiers, on les crut souvent à la tête; et cette apparence devenant habitude, devint enfin une réalité. Ce parti, ou, pour s'exprimer avec plus de justesse, cette partie liée ayant un plan de conduite et sachant organiser ses moyens secondaires, fut tour à tour le guide et l'instrument du parti dominant. Trois jeunes hommes fondèrent cette association Duport, membre du parlement de Paris; il s'était déja fait connaître dans le parti opposé à la cour: homme d'une fermeté d'esprit et de caractère prématurée, ayant de

l'élévation dans l'ame et dans la pensée, systé- 11. Epi matique et exalté, il eût voulu, deux siécles 1789. plutôt être chef de secte religieuse. Lameth, doué d'une politique fine et déliée, qui presque toujours, dans un temps de trouble, rend nécessaires les moyens de l'adresse active et entreprenante; et Barnave, plus jeune encore, qui s'était déja fait remarquer dans les troubles du Dauphiné, par un vrai talent d'orateur : il était la parole du conseil, confiant, audacieux à la tribune. Les rôles étaient partagés : Duport pensait ce qu'il fallait faire, Barnave le disait, et Lameth le faisait. Il serait difficile de dire s'ils voulaient d'abord autre chose que de l'éclat; mais ils mais ils y réussirent d'autant plus aisément, que ce triumvirat n'inspira d'abord qu'un intérêt de jeunesse sans défiance; on commença même par rire de ses prétentions, on finit par leur céder, il fut, surtout au commencement et presque jusqu'à la fin de cette session, le premier moteur de la société des jacobins ; il fit, défit et refit à peu près ce qu'il voulut; personne ne convenait de son influence, mais elle existait : il eut l'adresse de mettre la popularité à la mode, de donner un grand lustre aux succès de la tribune, et un grand prix aux applaudissements des tribunes; il fut créateur de cette tactique assez savante qui intéressa les spectateurs à l'action, et les appela sur la scène; on s'accoutuma bien

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II. Ep. tôt, dans l'assemblée, à prendre la voix des tribunes pour la voix du peuple, et cela fait, il ne s'agit plus que de s'assurer un parti assez déterminé, dans les tribunes, pour entraîner le mouvement des indifférents; il fit tout le bien qui se serait fait sans lui, et souvent plus de mal qu'il ne croyait en faire; on crut longtemps que Duport était un agent secret des grands corps auxquels il· avait appartenu. Duport était assez exalté pour être instrument sans le savoir, mais il avait l'ame assez haute pour n'y pas consentir : Lameth voulait ce qui mène à la fortune, les places, les ministères, les grands emplois : Barnave voulait de la gloire ou plutôt de la célébrité ; il l'obtint et la paya ensuite de sa tête, au temps où toutes les dettes contractées s'acquittèrent ainsi. Le grand art fut de se rendre nécessaire et de suivre les évenements pour le devenir.

Là, se ralliaient, sans le savoir, et par la nature des choses, tous ceux que leur opinion, leurs talents, leur caractère ou leurs vues personnelles de ressentiment, d'intérêt ou d'ambition, distinguaient dans le côté gauche; le frère de Lameth, Charles, par élan,par ardeur de faire; d'Aiguillon, Menou, que l'amitié retenait dans le même chemin, Victor Broglie qui eût cru manquer à un nom célèbre en n'y ajoutant pas la célébrité du moment; un jeune Montmorenci, à peine de l'âge requis par la loi, il s'unit un instant au parti,

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