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de la patrie, l'acte de leur renonciation à tous II. Ep. les priviléges qui pouvaient leur être particu- 1789. liers, et demander que toute distinction dont ils avaient pu jouir, vînt se confondre, dans le titre commun, à tous, de citoyens français. On décréta une médaille avec cette inscription: A l'abolition de tous les priviléges, et à la parfaite réunion de toutes les provinces et de tous les citoyens. On décerna au roi le titre de Restaurateur de la liberté, comme Louis XII avait reçu celui de père du peuple, dans les états-généraux; enfin, l'archevêque de Paris vota un Te Deum dans son église métropolitaine, et la séance finit à trois heures de la nuit, parmi les applaudissements et les acclamations.

Le lendemain, des esprits sages, et pendant la séance même, des esprits trop prévoyants, tout en se félicitant d'une secousse qui abrégeait le terme d'une constitution libre, qui en avait nivelé d'un coup tous les obstacles, ne purent s'empêcher de réfléchir sur les dangers de la chose publique, commise à une assemblée unique que l'on pouvait enlever et mener, en une nuit, fort au-delà du but qu'elle s'était proposé en commençant sa séance; des hommes plus habiles apprirent qu'en exaltant une assemblée nombreuse, on est presque sûr de la conduire; ils profitèrent souvent de cette leçon. Il eût été à desirer que l'assemblée eût mis à délibérer

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II. Ep. sur tant de bienfaits publics, le temps seulement qu'elle mit à en faire la rédaction : cette rédaction dura plusieurs jours; et, loin de modifier, elle ajouta ce qui avait été omis, et compléta ce qui était resté imparfait on avait exprimé, par des tournures, la suppression de la féodalité; on disputait sur les droits honorifiques : la rédaction trancha, et dit le régime féodal est aboli; et cet acte public d'humanité, de raison et de saine politique, était au dessus de toute formalité: la nation assemblée le voulut, et elle avait incontestablement le droit de le vouloir. Tous les autres articles ne furent plus qu'une conséquence de ce premier; l'affaire des dîmes ecclésiastiques fut celle qui fut plus débattue. A Daisonner politique et finance, il était certain qu'après toutes les mutations, depuis les premiers siécles de son établissement, aucun des propriétaires actuels n'avait acquis la possession de la dîme; qu'ainsi on lui rendait ce qu'il n'avait pas acheté il est sûr même que le peuple, cette portion la plus nombreuse du peuple, travaillant sur la propriété d'autrui, n'est pas celle qui en profita, puisque la dîme continua d'être payée au propriétaire par l'exploitant; mais il n'en faut pas moins convenir que cette grande masse, renvoyée dans la circulation générale, y produisit un surcroît de valeur réelle, et que, sous ce rapport, la chose publique y gagna. Parmi

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les orateurs qui se présentèrent pour la défendre, 11.o Ep. et la maintenir rachetable, on vit avec quelque surprise paraître Sieyes: il aborda la question franchement, nettement, et déploya une logique ferme et pressante ; il montra au moins un grand désintéressement de popularité et un courage au dessus des applaudissements: pour le système et l'esprit de liberté publique, il fut, dans la révolution, ce que la pensée est à l'action, souvent aussi comme la pensée inexplicable à son origine; impatient de toute contradiction qui ne lui paraissait qu'une révolte contre l'évidence; méconnu, craint, estimé et recherché de tous les partis ; Lafayette et lui en opposition de caractère et de moyens, ne purent jamais s'entendre et se réunir; et cependant ils se fussent été réciproquement utiles, car la nature avait précisément donné à chacun d'eux ce qui manquait à l'autre. La dîme ecclésiastique, d'abord déclarée rachetable, fut, par la rédaction, abolie.

Tant de changements dans l'Etat se firent sans aucune résistance, même de discussion; nulle protestation, nulle opposition n'en arrêta la marche; et plusieurs causes concoururent à cette facilité d'exécution; la maturité des choses, qui montra politiquement comme juste ce qui était devenu nécessaire, le peu d'accord des parties intéressées, et aussi l'état du moment dans toute la France: la terreur

11. Ep. planait, le fer et la torche à la main ; tel donnait sa voix dans l'assemblée, qui, en votant, pensait

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à sa famille et à son patrimoine. Il arriva ce qui arrive toujours dans les grands mouvements inorganisés ; ils entraînent ceux-mêmes qui les ont donnés plus loin qu'ils n'eussent voulu aller, et toute retraite, même personnelle, leur est fermée; s'ils tentaient d'arrêter la foule qu'ils commandent,et qui les suit, ils seraient renversés et écrasés par sa masse. Leurs adversaires mêmes, qui n'ont plus que cet espoir de vengeance ou de réprésailles, sont les premiers à précipiter la masse révolutionnaire, dans l'espérance d'entraîner les chefs dans sa chute.

Paris qui, quelques jours avant cette nuit constitutive, commençait à se plaindre des lenteurs de l'assemblée et à se fatiguer des longueurs de la discussion sur la déclaration des droits de l'homme, Paris qui, sans avoir une idée bien nette de ce qu'était une constitution, était pressé d'en jouir, comme d'une nouveauté qu'il venait de conquérir; Paris commença à prendre une attitude plus réfléchie, après la nuit du 4 août, et, redoutant le voisinage d'une assemblée qui pouvait tout, songea à se l'approprier', pour disposer de sa toute-puissance. Ce plan ne réussit pas; mais c'est de cette époque qu'il faut dater le système suivi dans les assemblées de la commune: il se développa dans la suite et se tourna

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contre elle-même ; mais dans ce premier moment II. Ep. le résultat des réflexions fut de transférer l'assemblée nationale, et de l'établir dans Paris. Ce plan avait, dans l'assemblée même, des partisans qui suppléaient au nombre par l'activité Mirabeau connaissait tous les ressorts de la machine politique et populaire, et possédait parfaitement l'art de les mettre en jeu : il en avait fait l'essai à Marseille, au temps de son élection, lorsque, rejeté imprudemment par l'ordre de la noblesse, il sut se faire élire par le tiers-état; et longtemps après lui, les relations de cette ville qui exercèrent une si terrible influencé sur la capitale, ne furent qu'une suite de l'esprit et des moyens qu'il y laissa.

La discussion sur les droits de l'homme fut remise à l'ordre du jour, après que l'on eut digéré à loisir tous les décrets, suite des abolitions de la nuit du 4 août. On avait d'abord beaucoup discuté si, ou non, une déclaration des droits précéderait la constitution; on craignait l'effet d'idées métaphysiques, nécessairement exprimées sans développement, et dont on abandonnait les conséquences au jugement de tous et de chacun en particulier. Sous ce rapport et surtout dans un moment d'effervescence, une telle déclaration pouvait être dangereuse; mais, sous le grand rapport de l'intérêt de l'humanité et de toutes les nations, une déclaration des

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