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11. Ep. de s'armer contre eux: l'effervescence générale; 1789. et quelques avis répandus d'avance, suffirent

pour déterminer une démarche à laquelle les esprits étaient déja disposés ; en moins de huit jours, l'assemblée apprit qu'elle avait une armée de plusieurs centaines de milliers d'hommes qui lui demandaient des ordres, et il devint prudent de leur en donner, de peur qu'ils ne vinssent à en prendre d'eux-mêmes; ainsi se formèrent ces gardes nationales, qui furent d'abord l'armée de la révolution au dedans, et, quelques années après, le salut de la France contre les ennemis du dehors. Cette grande commotion ne put cependant pas s'opérer sans donner un ébranlement à toute la machine politique les premières résistances du clergé et de la noblesse avaient laissé, dans le peuple, des impressions dont les agitateurs surent profiter; on exerça des violences coupables aux yeux de la raison et de l'humanité; on incendia dans plu→ sieurs provinces, les châteaux; on détruisit les possessions: la Bretagne surtout fut le théâtre des excès les plus condamnables; partout, sous prétexte de recherches d'armes, on exerçait une inquisition à main armée; les haines de famille ou de parti, les vengeances personnelles, se couvrirent souvent du prétexte de la chose publi que; on imagina alors le mot aristocrate, pour désigner ceux que l'on youlait signaler comme

:

ennemis

ennemis de la chose publique; cette dénomi- II. Ep.
nation, dans son acception véritable, signifiait 1789.
un mode du gouvernement républicain ; on en
fit un signe, ou plutôt une dénonciation. Je
veux, disait un des chefs populaires, homme
d'ailleurs sage et éclairé, je veux qu'un cocher,
en fouettant ses chevaux, les appelle aristo-
crates: il ne fut que trop obéi, tant l'esprit de
parti et l'esprit de système peuvent porter à
l'exagération, et l'exagération à l'injustice. Ce
n'était pas dans les châteaux de la noblesse ou
dans les retraites monastiques, qu'était alors l'es-
prit d'opposition; il fallait plus d'astuce et de
savoir faire que n'en comportaient ces demeures:
la cour, la capitale, les grandes corporations
judiciaires ou municipales, voyaient s'échapper
de leurs mains l'autorité accoutumée, et, plus
habiles, savaient, pour frapper, se couvrir des
armes du patriotisme; l'assemblée ne fut jamais
combattue avec succès que par ceux qui surent se
revêtir de ses armes pour la combattre. Enfin, les
ministres se rendirent en corps dans l'assemblée,
et vinrent, au nom du roi, par une démarche
solennelle, y dénoncer les désordres publics, et
demander des moyens de répression qu'ils re-
connaissaient n'être plus en leur pouvoir. Ces
ministres réunis, ce nouveau conseil, nommé
et choisi par la révolution, fit une impression
marquée c'était le garde des sceaux,
:
l'arche-
Tome I.

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1

11. Ep. vêque de Bordeaux, Cicé, membre de l'assem1789. blée, alors connu par un civisme éclairé dans

l'administration des assemblées provinciales,
homme d'un esprit sage, qui, des premiers,
s'était mis à la tête de la portion de la cham-
bre du clergé, lors de sa réunion aux communes.
Le maréchal de Beauvau, membre de plusieurs
sociétés savantes, connu par cette franchise et
cette loyauté, ancien attribut de la chevalerie
française; Montmorin, l'ami particulier du roi,
et dont les conseils ne furent pas toujours sui-
vis; la Luzerne, seul resté des anciens minis-
tres; Saint-Priest; l'archevêque de Vienne, pré-
sident de l'assemblée, peu de jours auparavant;
la Tour-du-Pin, membre de l'assemblée, et choisi
par
la minorité de la noblesse pour
la présider
au temps de ses réunions privées, ancien mili-
taire, qui s'était montré avantageusement dans
les dernières affaires des états de Dauphiné. Il
était imposant de voir ces mêmes hommes qui,
tous, avaient plus ou moins contribué à la ré-
volution, venir demander des secours pour ar-
rêter les désordres qui l'accompagnaient. Le
garde des sceaux porta la parole, et fit une
peinture vraie et effrayante de la situation du
royaume : « On envoie, dit-il, la terreur et les
<< alarmes partout où l'on ne peut envoyer
les
déprédateurs; la licence est sans frein, les
«<lois sans force, les tribunaux sans activité: la

«

« désolation couvre une partie de la France, II. Ep. «<et l'effroi l'a saisi toute entière. »

Necker fit ensuite le tableau de la situation des finances tous les canaux des revenus publics obstrués ou détruits, les perceptions arrêtées, les dépenses angmentées; il avait, à son retour, trouvé 400,000 l. au trésor public; il finissait par demander un emprunt de 30 millions.

1789.

Ce message eut lieu trois jours après la fameuse séance de la nuit du 4 août; cette nuit 4 août mémorable où la constitution se fit comme la révolution s'était faite au 14 juillet, et où tous les abus furent enlevés d'assaut, comme l'avait été la Bastille: on était déja préparé, et l'on était même à peu près convenu de plusieurs sacrifices que les temps et les circonstances avaient rendus justes et nécessaires; tels que la suppression des justices seigneuriales, celle de toute espèce de main-morte et tout ce qui pouvait y tenir, les dîmes rendues rachetables, tous les emplois civils ou militaires rendus à tous indistinctement: on s'était ajourné au soir, pour délibérer sur un arrêté pris relativement au mode de paiement des redevances féodales. Parmi les députés était un cadet de la maison de Noailles, homme jeune et ambitieux d'être et de paraître; il avait servi avec ardeur et avec distinction la cause de la liberté en Amérique ; il voulait être émule de gloire et d'éclat avec Lafayette, son

1789.

pour

II. Ep. beau-frère; et, soit de son propre mouvement, soit qu'il eût été flatté de se voir recherché être l'auteur d'une motion brillante, il prit la parole dès l'ouverture de la séance; et, motivant son opinion sur les troubles du moment, qui ne pouvaient être appaisés que par des sacrifices, il proposa l'abolition des droits féodaux personnels, et le rachat de tous droits féodaux portant sur les terres : cette étincelle électrisa à l'instant toute l'assemblée, et, chacun se levant à l'envi, proposa l'abolition d'un abus ; le défaut d'opposition servit de décret, l'enthousiasme fut général, l'exaltation des cœurs et des esprits fut portée à son comble, et l'ivresse du bien public tenant lieu d'examen et de discussion, tout ce qui fut offert fut reçu; mais, dans ce tumulte patriotique, tout paraissant être mis en commun, comme à Sparte, un évêque offrit le droit de chasse; un homme de loi, les justices seigneuriales; un noble, la vénalité des offices de judicature en moins d'une heure fut décrétée l'abolition des droits casuels des curés, des droits seigneuriaux du clergé, des jurandes, des dîmes seigneuriales, des colombiers, de toutes mainmortes, des pensions non motivées. Après les sacrifices personnels, se présentèrent, avec plus de calme et de dignité, les représentants de toutes les provinces privilégiées, qui vinrent successivement déposer sur le bureau, devenu l'autel

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