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vocat ergoteur quand il eût dû être entraînant, logique quand il eût dû être poétique.

Un trône ne se défend pas comme un mur mitoyen, avec des titres, des pièces, des certificats d'arpenteur. Il se défend par de grands appels aux grands sentiments; il se défend par la foi, par l'enthousiasme, par la religion. Certes la royauté n'est pas une déesse, mais c'est une idole, et certains peuples se font écraser par le char qui traîne leur idole.

C'était cependant une belle cause à défendre que celle de ce roi amené à répondre devant son peuple, non-seulement de ses crimes à lui, mais de tous ceux de sa race, des prodigalités de Louis XV, des faiblesses de Louis XIV, des hésitations de Louis XIII; il y avait un beau cortége d'ancêtres à lui faire, à ce roi traîné à la barre nationale, et ses vrais défenseurs étaient Henri IV et saint Louis.

Certes, dans une pareille défense, l'histoire eût été faussée plus d'une fois, plus d'une fois le sophisme eût pris la place du raisonnement; mais quels étaient, à cette époquelà, les hommes assez forts en philosophie historique pour nier ou démentir?

En somme, Desèze s'adressa aux esprits, il fallait attaquer les cœurs; son seul élan un peu élevé, sa seule aspiration supérieure fut celle-ci :

« Je cherche parmi vous des juges et ne trouve que des accusateurs.

» Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, continua Desèze, et c'est vous qui l'accusez.

>> Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vous avez déjà émis votre vœu.

» Vous voulez prononcer sur le sort de Louis, et vos opinions parcourent l'Europe.

>> Louis sera donc le seul Français pour lequel il n'existera aucune loi, ni aucune forme.

» On est allé jusqu'à lui faire un crime d'avoir placé des troupes dans son château; mais fallait-il donc qu'il se laissât forcer par la multitude? le pouvoir qu'il tenait de la Constitution n'était-il pas dans ses mains? Citoyens, si dans ce moment on vous disait qu'une multitude abusée et armée marche vers vous; que, sans respect pour votre caractère sacré de législateurs, elle veut vous arracher de ce sanctuaire, que feriez-vous?...

>> On a imputé à Louis des desseins d'agression funeste; et qui donc ignore aujourd'hui que, longtemps avant la journée du 10 août, l'on préparait cette journée, qu'on la méditait, qu'on la nourrissait en silence, qu'on avait cru sentir la nécessité d'une insurrection contre Louis, que cette insurrection avait ses agents, ses moteurs, son cabinet, son directoire?

>> Qui est-ce qui ignore qu'il a été combiné des plans, formé des ligues, signé des traités?

>>> Qui est-ce qui ignore que tout a été conduit, arrangé, exécuté pour l'accomplissement d'un grand dessein quidevait amener pour la France les destinées dont elle jouit?

» Ce ne sont point là, législateurs, des faits que l'on puisse désavouer; ils sont publics, ils ont retenti dans la

France entière, ils se sont passés au milieu de vous; dans cette salle même où je parle, on s'est disputé la gloire de la journée du 10 août. Je ne viens point contester cette gloire à ceux qui se la sont décernée; je dis seulement que, puisque l'insurrection a existé bien antérieurement au 10 août, qu'elle est certaine, qu'elle est avouée, il est démontré que Louis n'est pas l'agresseur.

» Vous l'accusez pourtant.

» Vous lui reprochez le sang répandu.

» Vous voulez que ce sang crie vengeance contre lui. » Contre lui, qui, à cette époque-là, n'était venu se confier à l'Assemblée nationale que pour empêcher qu'il n'en fût versé.

» Contre lui, qui, de sa vie, n'a donné un ordre sanguinaire.

» Contre lui, qui, à Varennes, a préféré revenir captif, plutôt que de s'exposer à occasionner la mort d'un seul homme.

» Contre lui, qui, le 20 juin, refusa tous les secours qui lui étaient offerts, et voulut rester seul au milieu du peuple.

» Et vous lui imputez le sang répandu, et c'est lui que

vous accusez...

» Entendez d'avance l'histoire qui redira à la renommée: >> Louis était monté sur le trône à vingt ans, il donna sur le trône l'exemple des mœurs, il n'y porta aucune faiblesse coupable, ni aucune passion corruptrice; il fut économe, juste, sévère; il s'y montra l'ami constant du peuple; le peuple désirait la destruction d'un impôt désas

treux qui pesait sur lui, il le détruisit; le peuple demandait l'abolition de la servitude, il commença par l'abolir lui-même dans ses domaines; le peuple sollicitait des réformes dans la juridiction criminelle pour l'adoucissement du sort des accusés, il fit ces réformes; le peuple voulait que des milliers de Français que la rigueur de nos usages avaient privés jusqu'alors des droits qui appartiennent aux citoyens, acquissent ces droits, ou les recouvrassent, il les en fit jouir par ses lois, il vint même au-devant de lui par ses sacrifices.

» Et cependant, c'est au nom de ce même peuple qu'on demande aujourd'hui... Citoyens, je n'achève pas, je m'arrête devant l'histoire; songez qu'elle jugera votre jugement et que le sien sera celui des siècles. »>

Telle fut la péroraison, un peu faible à notre avis, d'un discours qui soulevait une des plus grandes questions humaines qui aient jamais été agitées.

Desèze se tut, Louis XVI se leva.

Peut-être cet homme qui va défendre l'humanité, peutêtre cet être de Dieu qui va défendre le droit divin aurat-il au moins quelque éloquente parole.

Écoutez ce que dit Louis XVI:

« On vient de vous exposer mes moyens de défense, je ne vous les renouvellerai point en vous parlant peut-êtr pour la dernière fois; je vous déclare que ma conscience ne me reproche rien, et que mes défenseurs ne vous ont dit que la vérité.

» Je n'ai jamais craint que ma conscience fût examinée publiquement, mais mon cœur est déchiré de trouver dans

l'acte d'accusation l'imputation d'avoir voulu faire répandre le sang du peuple, et surtout que les malheurs du 10 août me soient attribués.

» J'avoue que les preuves multipliées que j'avais données dans tous les temps de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m'étais conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m'exposer pour épargner son sang et éloigner à jamais de moi une pareille imputation. »

Et Louis cessa de parler.

Oh! pauvre royauté, qui n'avait pas, sinon de meilleures, du moins de plus grandes choses à dire!

Alors, le président s'adressa à Louis:

La Convention nationale a décrété que cette note vous serait présentée.

Un secrétaire présente une note au roi.

Cette note, c'est l'inscription mise de sa main sur l'enveloppe des clefs trouvées chez Cléry, son valet de chambre. Connaissez-vous cette note?

- Pas du tout, répondit Louis.

La Convention a décrété aussi, continua le président, que ces clefs vous seraient représentées. Les reconnaissez

vous?

Je me ressouviens, répondit le roi, d'avoir remis des clefs, aux Feuillants, à Cléry, parce que tout était sorti de cbez moi, et que je n'en avais plus besoin.

fer

Reconnaissez-vous celle-ci?

Et le président présenta au roi la clef de l'armoire de

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