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XLVIII

Travail du roi avec ses conseils.

Il communique par lettres avec sa famille. Invention de Cléry pour que les prisonniers puissent communiquer entre eux. Souvenirs du roi. - Anniversaire de la naissance de sa fille.. Les rasoirs. Reconnaissance affectueuse du roi pour ses défenseurs. - Belle réponse de Malesherbes. Louis achève son testament. Testament de

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Louis XVI. Appréciation critique de certaines phrases du testament. - Raison d'État, salut de l'État. — Étrange situation des rois en face de leurs peuples.

Du 14 au 26 décembre, le roi vit ses conseils et put librement travailler avec eux. Quand le travail était ordinaire, ils venaient à cinq heures du soir et se retiraient à neuf. En outre, tous les matins, M. de Malesherbes apportait au roi les papiers-nouvelles, et les opinions imprimées des députés relatives à son procès.

Dans cette première séance, il restait d'habitude une heure ou deux avec le roi.

Cependant, le reste de la famille royale, séparée, la reine de son mari, madame Élisabeth de son frère, les deux enfants de leur père, était dans la désolation. Par bonheur, un jour, Cléry rencontra un serviteur des princesses nommé Turgy et put de cette façon faire passer à la famille royale des nouvelles du cher prisonnier. Le lendemain, Turgy, à son tour, prévint Cléry que madame Élisabeth, en lui rendant sa serviette après le diner, lui avait glissé dans la main un petit papier écrit avec la pointe d'une épingle.

Par cette lettre, elle priait le roi de lui écrire à son tour un mot. Le roi, qui, depuis son procès, avait plumes, papier et encre, écrivit à l'instant même, et, remettant la lettre toute décachetée à Cléry :

Lisez, dit-il; je ne crois pas que, quand même ce papier serait trouvé, il pût vous compromettre.

Cléry refnsa respectueusement de lire le billet du roi et le remit à Turgy.

De son côté, Turgy, en passant devant la chambre de son compère, fit rouler un peloton de fil sous son lit; ce peloton de fil contenait la réponse de madame Elisabeth. Le roi alors adopta le même moyen: Cléry pelotonnait du coton autour du papier écrit, mettait ce peloton dans l'armoire où étaient les assiettes, Turgy l'y prenait, et l'on retrouvait la réponse au même endroit.

Seulement, de temps en temps, le roi, en secouant la tête, disait :

-

Prenez garde, mes amis ! c'est trop vous exposer. Aussi Cléry chercha-t-il et trouva-t-il un autre moyen. La bougie avec laquelle s'éclairait le roi était remise par les commissaires à Cléry, en paquets ficelés. Cléry gardait les ficelles, et, lorsqu'il en eut une suffisante quantité, il annonça au roi qu'il avait un moyen de rendre sa correspondance plus active, en faisant passer cette ficelle à madame Élisabeth, laquelle, logeant au-dessus de lui, et ayant une fenêtre qui correspondait perpendiculairement à celle d'un petit corridor qui communiquait avec la chambre de Cléry, pouvait, pendant la nuit, suspendre sa correspondance à cette ficelle et la descendre jusqu'à sa fenêtre à

lui. L'abat-jour retourné qui masquait chaque fenêtre, ne permettait pas de craindre que les lettres pussent tomber dans le jardin. En outre, on pouvait attacher à cette ficelle papier, plume et encre, ce qui donnerait aux princesses, obligées d'écrire. en piquant le papier avec une épingle, une grande économie de fatigue et de temps.

Le roi écouta Cléry avec attention, et, souriant:

- Bon! dit-il, si le premier moyen nous manque, nous recourrons à celui-ci.

sit.

Effectivement, plus tard, ce moyen fut employé et réus

Le mercredi 19, on apporta le déjeuner au roi, comme d'habitude, sans songer aux Quatre-Temps, Cléry le présenta au roi; mais le dévot élève de M. de la Vauguyon n'oubliait pas une pareille solennité.

C'est aujourd'hui jour de jeûne, dit-il.

Et Cléry reporta le déjeuner dans la salle.

Le roi dîna, et, en dînant comme toujours devant trois ou quatre municipaux :

- Cléry, dit-il, il y a quatorze ans que vous avez été plus matinal qu'aujourd'hui.

- Quatorze ans, sire? demanda Cléry.

– Oui; il y a aujourd'hui quatorze ans que ma fille est née; aujourd'hui 19 est son jour de naissance... Et être privé de la voir, mon Dieu!

Et Louis XVI leva au ciel deux yeux où roulaient de grosses larmes.

C'était le 26 que le roi devait, pour la seconde fois, paraître à la barre de la Convention. Il avait la barbe laide,

blondasse, mal plantée; il comprenait ce que cette défectuosité pouvait faire de fort à son visage. Il demanda ses rasoirs, qui lui furent rendus, à la condition qu'il ne s'en servirait qu'en présence des municipaux.

Le 23, le 24 et le 25, le roi écrivit plus encore qu'à l'ordinaire: il n'ignorait point qu'on avait l'intention - cette disposition fut changée depuis de le faire rester aux Feuillants un jour ou deux, pour le juger sans désemparer, et il se mettait en mesure de passer du tribunal de ce monde au tribunal de Dieu.

Le 25, le travail des conseils du roi fut complétement achevé; alors, se trouvant seul avec Malesherbes, Louis tomba dans une profonde rêverie; c'était si peu l'habitude du roi de s'abandonner à ces sentiments de mélancolie, que Malesherbes, s'approchant de lui, lui demanda les motifs de ce morne silence.

Louis releva la tête.

Vous me demandez à quoi je pense? dit-il. Aux grandes obligations que j'ai à MM. Tronchet et Desèze; je voudrais les reconnaître; mais vous voyez l'état où je suis, vous savez le dénûment où l'on m'a mis; donnezmoi un avis, dites-moi ce que je puis faire pour leur témoigner ma reconnaissance?

Sire, répondit Malesherbes, je crois qu'ils seront bien contents si Votre Majesté daigne leur dire qu'elle est reconnaissante des soins qu'ils ont pris pour elle.

Comme Malesherbes achevait, Desèze et Tronchet entrèrent. On sait la timidité de Louis XVI; à la vue de ces hommes auxquels, un instant auparavant, il voulait té

moigner sa reconnaissance, sa reconnaissance demeura la même, s'accrut peut-être, mais reflua vers le cœur.

M. de Malesherbes vit cet embarras, et, s'approchant du

roi :

-Sire, dit-il, voici MM. Desèze et Tronchet; Votre Majesté m'a dit tout à l'heure qu'elle désirait leur témoigner sa reconnaissance.

Alors, Louis XVI fit mieux qu'un discours; il se laissa aller tout sanglotant dans les bras de ces deux hommes. Il n'était point si dénué qu'il le disait, le prisonnier royal, puisqu'il lui restait la reconnaissance, et que, par cette reconnaissance, les nobles cœurs qui se dévouaient à lui se regardaient comme largement payés.

Ce fut ce jour-là que, Malesherbes appelant le roi Votre Majesté, Treilhard s'approcha de lui.

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Qui vous donne, demanda-t-il, la dangereuse audace de prononcer ici des titres proscrits par la nation?

Le mépris de la vie, répondit Malesherbes.

Et il continua la conversation.

Après cette scène qui l'avait profondément ému, le roi désira demeurer seul; il croyait sa mort prochaine et youlait se préparer à mourir.

Ses défenseurs s'éloignèrent, et Louis XVI se mit à son testament; il fut terminé vers onze heures du soir.

Quoique cette pièce soit connue, comme elle pourra, de notre part, donner lieu à quelques réflexions sur le roi et sur la royauté, nous la consignons ici.

« Au nom de la très-sainte Trinité, du Père, du Fils et du

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