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Au moins, demanda le roi, mon fils passera la nuit chez moi, son lit et ses effets étant ici?

Le silence fut le même cette fois que les autres; et, voyant qu'il n'y avait plus d'espoir de réunion, Cléry donna ce qui était nécessaire pour coucher le jeune prince. Pendant que Cléry déshabillait le roi :

Ah! Cléry, lui dit-il, j'étais bien loin de m'attendre à toutes les questions qu'ils m'ont faites.

Puis il se coucha, et dormit ou parut dormir avec beaucoup de tranquillité.

Il n'en fut pas de même chez les autres prisonniers. Cette rigueur extrême de la séparation dont on usait envers le roi, ressemblait fort à ce secret auquel on mettait les hommes condamnés ou prêts à l'être. Le dauphin n'avait pas de lit: la reine lui donna le sien, et demeura toute la nuit debout à son chevet, regardant dormir l'enfant royal avec une douleur si morne, que madame Élisabeth et madame Royale ne la voulaient point quitter.

Mais les municipaux intervinrent et forcèrent les deux femmes à se coucher.

Le lendemain, la reine renouvela ses instances; elle demandait deux choses: continuer à voir le roi et recevoir les journaux pour être tenue au courant du procès.

Cette demande fut portée au conseil général, lequel refusa les journaux et autorisa le dauphin et madame Royale à voir leur père; mais, dans ce cas, ils devaient opter et ne plus revoir la reine.

C'était au roi de décider; on lui fit part de cet arrêté du conseil.

C'est bien, dit-il avec sa résignation accoutumée; quelque plaisir que j'aie à voir mes enfants, la grande affaire que j'ai à cette heure m'occupe trop pour que je puisse leur consacrer le temps dont ils ont besoin. Ils resteront près de leur mère.

Effectivement, on fit monter le lit du dauphin dans la chambre de la reine, qui ne quitta à son tour ses enfants que le jour où elle alla se faire condamner devant le tribunal révolutionnaire, comme le roi allait se faire condamner devant la Convention.

XLVI

L'armoire de fer. Sa découverte. Récit de Gamain. - Il part

pour Versailles.

Son malaise général. Il tombe sur la route.
Gamain se croit empoisonné. Il est

L'Anglais bizarre.

"

sauvé par l'élixir de l'Anglais. Il revient à Versailles. - Les médecins. · La brioche. - Il reste perclus de tous ses membres. - Dénonciation à Roland. La Convention s'empare des paMirabeau dévoilé. Le buste et l'écriteau de rue bri

piers. sés.

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- Le corps de Mirabeau chassé du Panthéon et remplace par celui du Marat. Le fossoyeur de Sainte-Catherine. — Clamart. Contenance du roi devant l'Assemblée,

-

Vingt-deux ans pour répondre à l'appel. - Situation de Louis XVI vis-à-vis de ses frères.

« J'étais bien loin de m'attendre à toutes les questions qu'ils m'ont faites, › avait dit le roi.

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En effet, la plupart des pièces présentées au roi, et que le roi avait niées, quoiqu'elles fussent de son écriture, la lettre de ses frères, les mémoires de Laporte et de Talon,

la lettre de Bouillé rendant compte de l'emploi des fonds, toutes ces pièces se trouvaient dans l'armoire de fer que Louis ignorait avoir été découverte, et dont il nia avoir connaissance, lorsque cette découverte lui fut signalée.

Maintenant, comment cette armoire de fer, si bien cachée, si bien scellée, avait-elle été découverte?

Par un de ces mystères sombres, qui planent sur les trônes croulants.

Nous avons vu comment Gamain était venu aux Tuileries; nous avons vu, il nous l'a raconté lui-même, comment il avait été introduit près du roi; nous avons vu comment il avait travaillé à achever la fameuse armoire; nous avons vu comment la reine, au moment où cette cachette importante venait d'être achevée, avait paru, portant sur un plateau du vin et une brioche; comment Gamain avait bu le vin et mis la brioche dans son mouchoir; nous avons vu, enfin, comment il était sorti des Tuileries à la nuit close.

Voyons maintenant ce qui s'était passé après cette sortie, ou plutôt déroulons l'infamie à l'aide de laquelle ce misérable espéra pallier la trahison qui dressa, entre tous les faits reprochés au prisonnier, l'échafaud de son ancien maître.

C'est lui-même qui racontera; il racontera dans sa déposition, il racontera dans la pétition où il demande un secours, il racontera dans les rues et dans les cafés de Versailles, où il traîne sous la main de Dieu, sous la punition du ciel, un corps paralysé, tordu, décrépit.

Écoutons :

« J'avais tant de hâte d'arriver à Versailles, je sentais une si vive impatience d'embrasser ma femme et mes enfants, je me pénétrais tellement de leurs inquiétudes croissant avec la nuit, que je n'eus pas le courage d'entrer dans un café ou chez un traiteur pour y prendre un peu de nourriture, quoique j'en eusse grand besoin. Je me figurais que le vin que je devais à une inexplicable prévenance de la reine me soutiendrait pendant une marche de quatre lieues. Je m'acheminais donc d'un bon pas à travers les Champs-Élysées en longeant la chaussée du bord de l'eau, où ne passaient ni voitures ni piétons; car, depuis que le roi avait quitté le château de Versailles pour celui des Tuileries, et que l'émigration avait éclairci toutes les familles de la cour, on eût dit que Paris et Versailles étaient à une distance considérable l'un de l'autre. Les communications entre ces deux villes devenaient de plus en plus rares. Je faisais tout bas la remarque, en me retournant, de la solitude qui régnait, à cette heure du soir peu avancée, sur une route naguère si fréquentée et si bruyante de carrosses. Les lanternes n'étaient pas même allumées, comme si elles ne fussent d'aucune utilité dans ce lieu désert.

>> Tout à coup, je fus saisi d'un malaise général qui ne m'empêcha pas de poursuivre mon chemin; mais ces vagues symptômes d'une indisposition subite se prononcérent davantage par des déchirements d'estomac, par des spasmes nerveux, par des brûlements d'intestins. J'ignorais encore ce que pouvait être une maladie dont les pré

liminaires s'aggravaient à chaque instant, jusqu'à ce que des souffrances inouïes me fissent tomber haletant au pied d'un arbre.

Je me crus perdu, et j'attribuais à une apoplexie le trouble extraordinaire de mes sens. Je ne voyais plus, j'entendais à peine, et j'éprouvais par tout le corps un sentiment de chaleur intolérable; d'atroces coliques, durant lesquelles je me tordais en pleurant et criant, se déclarérent avec une telle violence, que je n'eus pas la force de me relever. Je vis de loin passer quelques personnes, quelques voitures; mais j'eus beau les appeler d'une voix plaintive, on ne vint pas à mon secours, et je me traînai à plat ventre dans la boue pour m'approcher de la rivière; car j'avais une soif dévorante et un feu interne qui me consumait.

>> Les efforts que je fis pour sortir du bourbier où je m'étais engagé amenèrent peut-être une crise favorable. Je fus soulagé par des vomissements qui semblaient devoir causer ina mort, tant ils étaient accompagnés de nausées pénibles et de tortures intérieures. J'avais la crainte de rendre le sang à pleine bouche, et, pour apaiser cette prétendue hémorrhagie, je me faisais de mon mouchoir une espèce de bâillon que je rejetais bientôt avec un vomissement plus douloureux. Je souffrais d'une horrible manière, comme si l'on m'arrachait le cœur et les entrailles. Je poussais par intervalles des cris aigus, et, sans interruption, des gémissements étouffés. Une heure, qui me parut un siècle d'enfer, s'écoule dans coa angolsses,

» Enfin, je me regardais comme perdu, quand le bruit

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