Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

L'accusateur avait raison; les femmes nobles ne firent pas plus défaut à madame Élisabeth sur la place de la Révolution que les nobles hommes n'avaient fait défaut au roi Jean, à Poitiers, et à Philippe de Valois, à Crécy.

[ocr errors]

Aussi, madame Élisabeth ne se plaignait-elle pas; elle pardonnait à ses bourreaux et priait pour ses compagnes. Elle entendit donc son arrêt sans étonnement, sans douleur, le sourire sur les lèvres; seulement, sa tête 'abaissa tristement quand, ayant demandé un prêtre non assermenté, cette grâce lui fut refusée. On allait la reconduire à la Conciergerie; mais elle demanda à entrer, longtemps d'avance, dans cette salle commune qu'on eût dû appeler la salle de l'égalité, mais qu'on avait baptisée du nom plus signifiactif encore de salle des morts; là, au milieu des victimes courbées, les unes sous les regrets de la vie, autres sous la douleur d'une séparation éternelle, elle resta debout, allant de l'une à l'autre, pareille à ces anges qui descendaient dans le cirque pour encourager et soutenir les premiers chrétiens; son dernier acte fut sublime de pudeur. Une femme cherchait un mouchoir pour couvrir sa poitrine, madame 'Élisabeth déchira son fichu et lui en donna la moitié.

t

༢༠

les

Puis son tour vint, le bourreau lui coupa ses longs cheveux blonds, qui tombèrent autour d'elle comme une auréole de jeunesse, cédant la place à une auréole d'éternité. Aussitôt, ses compagnes se précipitèrent dessus et se les partagèrent; puis on lui lia les mains, tout cela sans qu'un nuage altérât la sérénité de son visage d'ange, sans qu'elle poussât un soupir, sans qu'elle laissât échapper

une plainte, On la fit monter la dernière sur le dernier banc de la charrette; yingt-deux têtes devaient tomber avant la sienne!

Les charrettes partirent.

Le peuple, ordinairement si bruyant et si insulteur sur le passage des condamnés, se tut cette fois; on se montrait la martyre de la main, et quelques femmes du peuple qui croyaient encore en Dieu, furent surprises faisant le signe de la croix.

[ocr errors]

C'est qu'aussi, toutes ces dilapidations de la reine, tous ces désordres de la cour, tous ces mensonges politiques du roi, rien de tout cela n'avait souillé la noble princesse. Pandant tout le temps que Louis XVI avait été riche, puissant, roi enfin, elle avait disparu, elle, et, excepté ceux qu'elle secourait obscurément, nul ne soupçonnait son existence. Ce ne fut qu'au moment des troubles, ce ne fut qu'aux 5 et 6 octobre, ce ne fut qu'au 20 juin, ce ne fut qu'au 10 août qu'on la vit paraître, mais, toujours belle et chaste comme Minerve, pour faire au roi et à la reine un bouclier de son innocence. Au 20 juin, on la prenait pour sa belle-sœur; des assassins la menaçaient, M. de Saint Pardoux se jeta entre elle et les couteaux levés sur elle en s'écriant:

– Mais vous vous trompez, malheureux ! ce n'est pas la reine, c'est la sœur du roi.

- Pourquoi donc les détromper, monsieur? dit madame Élisabeth avec sa voix angélique. Vous leur eussiez peutêtre épargné un plus grand crime!

Au 10 août, quand personne ne songeait à elle, quand

1

elle eût pu quitter les Tuileries, Paris, la France, elle n'y songeait même pas; elle suivit son frère à l'Assemblée, le suivit dans la loge des journalistes, le suivit au Temple; elle l'eût suivi à l'échafaud avec la même abnégation, sans même demander: «Où me conduisez-vous?»tant il lui semblait naturel de partager la fortune de son frère, dans la vie et dans la mort; mais, là, on l'arrêta.

- Où allez-vous? lui demanda le bourreau.

A la mort!

Ce n'est pas encore votre tour.

Et elle attendit, ange de consolation pour la reine, jusqu'au moment où l'on vint chercher la reine, et où, cette fois encore, elle voulut mourir avec elle.

Mais alors ce fut la reine qui lui dit:

Demeurez encore sur cette terre, ma sœur, et soyez la mère de mes enfants.

Et elle fut leur mère jusqu'au moment où l'on vint la chercher à son tour; car son tour était enfin arrivé.

Aussi un remords secret mordait-il tous les cœurs au passage de cette femme; car chacun la voyait, s'oubliant elle-même, exhorter les autres au courage et à la résignation. Les femmes qui devaient mourir avec elles, fières de servir de cortège à cette martyre de la terre qui allait devenir un ange du ciel, les femmes passèrent une à une devant elle pour aller de la charrette à l'échafaud, s'inclinant au passage, recevant chacune à son tour une bénédiction et un baiser.

Et les exécuteurs, qui avaient refusé à Camille Desmoulins et á Danton cette suprème joie de s'embrasser au pied

de la guillotine, les exécuteurs, pleins de respect, pleins de tristesse, les laissaient faire.

Puis son tour vint. Tout ce qui avait été priant, pleurant et vivant autour d'elle était devenu muet, froid et, insensible. Pour arriver à la plate-forme sanglante, elle compta vingt-deux cadavres. Dans le panier où allait rouler sa tête, elle vit vingt-deux têtes.

Puis, la dernière, la plus pure, presque la plus belle, la sienne tomba.

Oh! ce fut un grand crime, celui-là, que la Liberté reprocha longtemps à la Révolution, sa sœur!

Marie-Philippine-Élisabeth-Hélène, sœur du roi Louis XVI, mourut ainsi le 10 mai 1794, à l'âge de trente ans. Modèle de dévouement, de pureté, de charité, depuis quinze ans, c'est-à-dire du jour où elle eût pu se donner aux hommes, et où elle s'était donnée à Dieu.

« Depuis 1790 que j'ai été plus en état de l'apprécier, écrivait dans l'exil cette autre martyre qu'on appelait madame Royale et qu'on appelle aujourd'hui madame la duchesse d'Angoulème, depuis 1790 que j'ai été plus en état de l'apprécier, je n'ai vu en elle que religion, qu'amour de Dieu, horreur du péché, douceur, piété, modestie et grand attachement à sa famille, pour qui elle a sacrifié sa vie, n'ayant jamais voulu quitter le roi et la reine. Enfin, ce fut une princesse digne du sang dont elle sortait. Je ne puis en dire assez de bien pour les bontés qu'elle a eues pour moi et qui n'ont fini qu'avec sa vie. Elle me regarda et me soigna comme sa fille, et, moi, je l'honorai comme une seconde mère. Je lui en ai voué tous les sentiments. On di

sait que nous nous ressemblions de figure. Je sens que j'ai de son caractère; puissé-jé avoir toutes ses vertus et l'aller rejoindre un jour, ainsi que mon père et ma mère, dans le sein de Dieu, où je ne doute pas qu'ils ne jouissent du prix d'une mort qui leur a été si méritoire. »

Le corps de madame Élisabeth fut porté à la Madeleine, confondu avec ceux des autres victimes.

Les registres ne font même pas mention d'une bière de sept francs.

Sans doute fut-elle jetée, sans distinction aucune, dans cette fournaise de chaux qui dévorait les cadavres.

[ocr errors]

LIX

[ocr errors]

Le dauphin livré à Simon. Celui-ci veut en faire un cordonnier. Le louveleau. Sa résistance à Simon. -On grise le dauphin pour le pervertir.-Basse cruauté de Simon. Dors-tu, Capet?»-Simon devient municipal.-Le dauphin abandonné à lui-même. Ses tortures. Son affaiblissement moral et physique. Lettre de madame Royale à ce sujet. Le 9 thermidor, on vout exiler le frère et la sœur.-Cambacérès s'y oppose. - Harmand (de la Meuse).-L'ancien valet de chambre. mon guillotiné. Description de la prison du dauphin. Longue et pénible visite. Le diner dy prince.

[blocks in formation]

-

. Si

Le chirurgien Maladie et dépérissement

Passons maintenant au jeune dauphin Louis-FrançoisJoseph-Xavier, qui était né le 27 mars 1785, et qui, à sa naissance, avait reçu le titre de duc de Normandie, que portait encore, il y a trois ou quatre ans, une espèce d'im

« PreviousContinue »