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est-elle convaincue d'avoir coopéré à ces manœuvres et d'avoir entretenu ces intelligences?

» 30 Est-il constant qu'il a existé un complot et une conspiration tendante à allumer la guerre civile dans l'intérieur de la République?

» 4o Marie-Antoinette d'Autriche, veuve de Louis Capet, est-elle convaincue d'avoir participé au complot et à cette conspiration? »

Les jurés, après une heure de délibération, rentrèrent à l'audience et prononcèrent affirmativement sur toutes les questions.

Alors, le président, s'adressant à l'auditoire, prononça les paroles suivantes :

« Si les citoyens qui remplissent l'auditoire n'étaient pas des hommes libres, et, par cette raison, capables de sentir toute la dignité de leur être, je devrais peut-être leur rappeler qu'au moment où la justice nationale va prononcer, la loi, la raison, la moralité, leur commandent le plus grand calme; que la loi leur défend tout signe d'approbation, et qu'une personne, de quelque crime qu'elle soit couverte, une fois atteinte par la loi, n'appartient plus qu'au malheur et à l'humanité. »

Alors, la reine, qui avait été conduite hors de la salle, est introduite de nouveau pour entendre sa sentence, qui lui fut signifiée en ces termes :

« Le tribunal, d'après la déclaration unanime du jury, faisant droit sur le réquisitoire de l'accusateur public, d'après les lois par lui citées, condamne ladite Marie

Antoinette, dite Lorraine d'Autriche, veuve de Louis Capet, à la peine de mort; déclare, conformément à la loi du 10 mars dernier, ses biens, si aucuns elle a dans l'étendue du territoire français, acquis et confisqués au profit de la République; ordonne qu'à sa requête le présent décret sera exécuté sur la place de la Révolution, imprimé et affiché dans toute l'étendue de la République. »

Cette sentence, eile l'écouta calme, presque insensible, sans prononcer un seul mot, sans lever les yeux au ciel, sans les abaisser vers la terre.

Le président lui demanda si elle avait quelques observations à faire contre la peine de mort. Elle secoua la tête et fit quelques pas vers la porte, comme si elle était impatiente de l'échafaud.

En effet, entre elle et l'échafaud, il ne restait plus que cette courte halte que faisaient d'habitude les condamnés dans cette antichambre de la place de la Révolution qu'on appelait la salle des morts.

Le peuple applaudit furieusement à cette condamnation, qui mettait sous ses pieds une femme haïe, une reine détestée. Ces applaudissements poursuivirent la condamnée jusque dans la salle des morts.

Arrivée là, aux premières lueurs de son dernier jour qui commençaient à s'infiltrer à travers un épais brouillard d'octobre, elle écrivit la lettre suivante, qui ne parvint pas à son adresse, mais qui fut remise à FouquierTinville, lequel la remit à Couthon, dans les papiers de qui on la trouva, quand tous deux à leur tour furent allés rejoindre celle qu'ils avaient condamnée.

Ce 16 octobre, à quatre heures et demie du matin.

» C'est à vous, ma sœur, que j'écris pour la dernière fois. Je viens d'étre condamnée, non pas à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. J'espère montrer la même fermeté que lui. J'ai un profond regret d'abandonner mes pauvres enfants; vous savez que je n'existais que pour eux et pour vous. Vous avez, par votre amitié, tout sacrifié pour être avec nous; dans quelle position je vous laisse! J'ai appris, par le plaidoyer même du procès, que ma fille était séparée de vous. Hélas! la pauvre enfant, je n'ose pas lui écrire, elle ne recevrait pas ma lettre; je ne sais même pas si cette lettre vous parviendra. Recevez pour eux deux, ma bénédiction. J'espère qu'un jour, lorsqu'ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous et jouir en pleine liberté de vos tendres soins. Qu'ils pensent tous deux à ce que je n'ai cessé de leur inspirer, que leur amitié et leur confiance mutuelle fassent leur bonheur; que ma fille sente qu'à l'âge qu'elle a, elle doit toujours aider son frère de ses conseils, que l'expérience qu'elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer. Qu'ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union; qu'ils prennent exemple de nous. Combien dans nos malheurs notre amitié nous a donné de consolation! et, dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami; où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille? Que mon

fils n'oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément: Qu'il ne cherche jamais à venger

notre mort.

» J'ai à vous parler d'une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine. Pardonnez-lui, ma chère sœur; songez à l'âge qu'il a et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut et même ce qu'il ne comprend pas. Un jour viendra, j'espère, où il ne sentira que mieux le prix de toutes vos bontés et de votre tendresse pour tous deux. Il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J'aurais voulu les écrire dès le commencement du procès; mais, outre qu'on ne me laissait pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n'en aurais pas réellement eu le temps. Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes frères, dans celle où j'ai été élevée et que j'ai toujours professée; n'ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s'il existe encore des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposerait trop s'ils y entraient une fois, je demande pardon sincèrement à Dieu de toutes les fautes que j'ai pu commettre depuis que j'existe. J'espère qu'il voudra bien recevoir mon âme en sa miséricorde et sa bonté ; je pardonne à tous mes ennemis le mal qu'ils m'ont fait. Je demande pardon à tous ceux que je connais et à vous, ma sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j'aurais pu vous causer. Je dis adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J'avais des amis, l'idée d'en être séparée pour ja

mais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j'emporte en mourant; qu'ils sachent, du moins, que, jusqu'à mon dernier moment, j'ai pensé à eux. Adieu, ma bonne et tendre sœur; puisse cette lettre vous arriver! pensez toujours à moi. Je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants. Mon Dieu ! qu'il est déchirant de les quitter pour toujours! Adieu! adieu! Je ne dois plus m'occuper que de mes devoirs spirituels; comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m'amènera peut-être un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot et que je le traiterai comme un être absolument étranger. »

Bault était là, il attendait cette lettre; cette lettre achevée, la reine en baisa toutes les pages, la plia sans la cacheter et la lui remit.

Mais, comme nous l'avons dit, Bault fut obligé de la remettre lui-même à Fouquier-Tinville.

On voit que la reine avait pris d'avance la résolution de refuser tout prêtre assermenté qui se présenterait à elle.

L'archevêque de Paris, Gobel, lui en envoya successivement trois. L'un était le curé constitutionnel de SaintLandry, nommé Girard; le second, l'abbé Lambert, un des vicaires de l'archevêque de Paris; le troisième, un prêtre moitié allemand, moitié français, nommé Lothringer.

L'abbé Girard se présenta le premier, la reine l'accueillit plus que froidement.

Je vous remercie, lui dit elle, mais ma religion

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