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tait, de sorte que l'enfant, buvant ses larmes, demeurait parfois des heures entières dans l'immobilité de l'idiotisme. Rien ne pouvait le soustraire aux brutalités de cet homme, ni son âge, ni sa bonté, ni sa figure d'ange. Simon en avait fait son domestique, et le forçait de le servir à table. Un jour, mécontent du service, il lui donna à travers le visage un tel coup de serviette, qu'il faillit lui arracher l'œil. Une autre fois, dans un accès de colère, après l'avoir battu sans pitié, voyant que l'enfant en était arrivé à recevoir les coups sans crier, il leva un chenet sur sa tête pour l'assommer, l'enfant ne se dérangea point, n'essaya point de fuir, et Simon jeta son chenet loin de lui. Le même jour arriva la nouvelle d'une victoire remportée par les Vendéens.

- Que ferais-tu, Capet, dit Simon, si les chouans te délivraient?

L'enfant jeta sur lui ses beaux yeux bleus, tout resplendissants d'une bonté angélique.

- Je vous pardonnerais, monsieur, répondit-il.

LV

On annonce à la reine son procès.

On l'emmène à deux heures

du matin.

. Rien ne me fait plus mal. » Gardée à vue à la Conciergerie. Objets saisis et scellés. La prison et le ca

chot.

Histoire de la Conciergerie.

gardien Richard.

du municipal.

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Aspect du cachot. - Le Sympathie pour la reine. La maîtresse

De Rougeville. Le bouquet et le billet. Anecdote sur le chevalier de Maison-Rouge.

La reine en était là de son martyre, quand, le 2 août, on vint l'éveiller pour lui lire le décret de la Convention qui ordonnait que, sur la réquisition du procureur de la Commune, elle serait conduite à la Conciergerie, afin qu'on lui fit son procès.

Cette fois, comme elle n'avait plus qu'elle-même à défendre, elle demeura immobile, impassible, écoutant le décret d'un bout à l'autre sans se plaindre, sans même avoir l'air de s'étouner. Madame Élisabeth et madame Royale demandèrent aussitôt à suivre leur sœur et leur mère; mais elles n'eurent pas même un instant cet espoir la grâce leur fut refusée à la minute même. L'ordre était positif et devait être exécuté sans retard. Or, il était deux heures du matin, et la reine était couchée. Elle pria donc les municipaux de la laisser seule, afin qu'elle pût se lever. Mais ils refusèrent, et elle fut forcée de sortir du lit et de s'habiller devant eux.

Ils lui demandèrent ses poches, les fouillèrent, prirent tout ce qu'il y avait dedans, quoiqu'il n'y eût aucun objet d'importance. Après quoi, ils firent un paquet du tout, disant qu'ils allaient envoyer ce paquet au tribunal révolutionnaire, où il serait ouvert devant elle. De tout ce qu'elle désirait emporter, ils ne lui laissèrent qu'un mouchoir pour essuyer ses larmes, et un flacon pour le cas où elle se trouverait mal.

L'heure de la séparation arriva. La reine embrassa tendrement madame Royale, et, de cet accent désespéré, si douloureux surtout lorsqu'il recommande l'espoir, elle lui ordonna d'avoir bien soin de sa tante et de lui obéir comme à une seconde mère. Puis, à son tour, elle se jeta dans les bras de madame Élisabeth et lui recommanda ses enfants.

Madame Royale ne répondit rien, tant elle était atterrée de voir sa mère pour la dernière fois. Madame Élisabeth lui dit quelques mots tout bas. Alors, sans jeter davantage les yeux sur elles, de peur sans doute que sa fermeté ne l'abandonnât, la reine sortit.

Au pied de la tour, elle s'arrêta un instant pour que les municipaux eussent le temps d'écrire le procès-verbal, qui déchargeait le concierge de sa personne.

En sortant, elle oublia de baisser la tête et se heurta violemment au guichet; et, comme le sang vint à la blessure, on lui demanda s'il elle s'était fait mal.

Non, dit-elle, rien ne me fait plus mal maintenant. Elle monta en voiture avec un municipal et deux gendarmes; arrivée à la Conciergerie, on la plaça dans la

chambre la plus humide et la plus malsaine de toute la prison. Là, elle fut gardée à vue par un gendarme qui ne la quitta ni jour ni nuit.

Les objets qui avaient été enlevés à la reine, et qui avaient été empaquetés et scellés pour être ouverts, comme on lui avait dit, devant le tribunal, étaient un portefeuille, un miroir de poche, une bague en or enlacée de cheveux, un papier sur lequel étaient gravés deux cœurs en or avec des initiales, un portrait de la princesse de Lamballe, deux autres portraits de femme qui lui rappelaient deux amies d'enfance de Vienne, et quelque signe symbolique, pieuse superstition de madame Elisabeth, qui, en faveur de sa sœur, s'était défaite de ce talisman, précieux préservatif contre l'infortune.

Hélas! les pauvres femmes, voyant la Providence impuissante, en avaient appelé à la superstition.

Le Temple était sombre, mais la Conciergerie était bien autrement sombre encore. Le Temple, c'était une prison; la Conciergerie, c'était un cachot.

Vous connaissez cette construction massive qui s'élève à l'angle du quai de l'Horloge et de la rue de la Barillerie; c'est la Conciergerie, c'est-à-dire le bâtiment qui servait de logement au concierge du Palais. La tour carrée est la même dont relevaient autrefois tous les fiefs du royaume; mais, l'antique demeure des rois ayant été abandonnée à cette autre reine éternelle qu'on appelle la justice, la Conciergerie devint une prison dont il est question pour la première fois, le 23 décembre 1392, à propos de quelques habitants de Nevers qui y furent enfermés à cause

de rébellion envers leur évêque. Plusieurs actes du xive et du xve siècle, constataient l'insalubrité de cette prison, quand, au mois d'août 1548, une espèce de typhus décima les prisonniers et amena un ordre donné par le parlement de faire assainir les cachots,

La Conciergerie est la prison historique par excellence; Gabriel de Lorges, comte de Montgomery, y fut enfermé en 1574: Catherine de Médicis vengeait ainsi le meurtre du roi Henri II; Ravaillac à son tour vint y prendre place; puis Cartouche, puis Damiens; étranges prédécesseurs de Marie-Antoinette, qui précédait elle-même madame Élisabeth, Bailly, Malesherbes, madame Roland, Camille Desmoulins, Danton, André Chénier, Fabre d'Églantine, les girondins, Bories et les sergents de la Rochelle, Louvel, Fieschi, Alibaud et Meunier.

Autrefois, à cet endroit où s'élève la Conciergerie, le sol était de dix pieds plus bas qu'il n'est aujourd'hui; la terre, appelée à décomposer toute matière, monte ensevelissant les monuments, comme elle ensevelit les hommes. Ce qui était autrefois hors de terre est donc aujourd'hui sous terre; ces voûtes sombres formeut des guichets, des portes, des antichambres; de longs corridors s'ouvrent d'un côté par des arcades sur des cours sombres, de l'autre, en descendant quelques marches, sur des cellules humides et noires. Le quai, cette chaussée que le temps a élevée, sépare la Conciergerie de la Seine, qui, par son suintement, brillante les murailles des corridors et des cachots, tachés de temps en temps par des moisissures blanches ou des mousses verdâtres.

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