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pendant ce roulement, laissant une immense problème à résoudre à l'avenir, voilà tout.

Le matin, la reine avait demandé à descendre comme il était convenu; mais on sait l'ordre qu'avait donné le roi, celui-là fut ponctuellement exécuté.

Alors, la pauvre reine déjà à moitié veuve écouta; elle entendit tout, vociférations du peuple, roulements des tambours, départ de la voiture; elle recommanda à ses enfants, à qui Dieu enlevait leur père, et qui se pressaient contre elle, qui devait bientôt leur être enlevée, d'imiter le courage de leur père et de ne point tirer vengeance de sa mort Elle ne déjeuna point; mais, la faiblesse triomphant, elle fut obligée de prendre quelque nourriture à une heure.

Dans la journée, elle apprit le supplice avec tous ses détails; elle écouta tristement, dignement, et, quand le récit fut fini, elle demanda des habits de deuil pour elle et ses enfants.

La Commune daigna les leur accorder.

On se rappelle que le roi avait donné un cachet pour être remis à son fils; ce cachet avait paru suspect à la Commune, et, en effet, sa forme était peu ordinaire; il était visible qu'il contenait trois parties; chaque partie offrait une face particulière: l'une, son chiffre; l'autre, la tête d'un enfant casqué; la troisième, celle à laquelle Louis attachait sans doute le plus d'importance, l'écu de France, c'est-à-dire le symbole de la royauté.

La Commune confisqua ce cachet.

Louis fut bien malheureux au Temple, en proie qu'il

était à cette incessante torture de la Commune; mais, en récompense, Dieu lui fit une grande grâce: dans Marie-Antoinette, la reine orgueilleuse certainement, l'épouse égarée peut-être, il retrouva la femme et la mère; tous ces grands événements, en courbánt la tête de la fille de Marie-Thérèse, avaient sans doute refoulé les bons sentiments vers le cœur. Le roi comprit au Temple, entre l'amour de ses enfants qui ne l'avait jamais quitté, et l'amour de sa femme qui lui était rendu, quelques-unes de ces joies particulières qui si rarement desserrent le cœur des rois.

Sans doute, il aura beaucoup été remis à la pauvre femme qui, s'étant éloignée de son mari dans le bonheur, s'en rapprocha ainsi dans l'adversité.

Et ce retour de la reine s'explique, quoique les choses de sentiment n'aient pas besoin d'être expliquées. Sur le trône, au pouvoir, dans la prospérité, que voyait la reine en regardant le roi? Un homme de visage et de tournure vulgaires, adonné à des amusements grossiers à son point de vue, faisant de la serrurerie, de la mécanique, de la géographie, rognant sur ses mois, discutant sur ses plaisirs, ne s'emportant jamais, grognant presque toujours; mais, de grandes vues politiques, de ces vues à la MarieThérèse ou à la Louis XIV, point. Tout cela était bien peu de chose pour la reine jeune et romanesque, qui voyait, comme disait M. de Brissac, deux cent mille amoureux autour d'elle, et, parmi ces amoureux, des hommes comme Dillon, comme Coigny, comme Vaudreuil, comme Fersen! Mais, au temps du malheur, tout changea. Sous le jour

påle de la captivité, resserré dans les murs du Temple, réduit à un seul serviteur pour tout courtisan, à sa seule famille pour toute affection, Louis XVI lui apparut tel qu'il était, c'est-à-dire, bon homme, bon père, bon mari, ne demandant qu'à aimer et à être aimé; alors, sa sécheresse disparut, son cœur s'amollit; ce que n'avait pu faire l'auréole du roi fut fait par l'auréole du martyr.

Pour la première fois au Temple, sur le point de le quitter pour toujours, Marie-Antoinette aima le roi.

Ge fut là cette grande consolation que la Providence donna au prisonnier, et que la Commune comprit si bien, que, sans nécessité aucune, et pour ajouter seulement une torture aux autres tortures, elle les sépara.

Puis, vers la fin, de l'amour, la reine passa presque à l'admiration.

Au voyage de Varennes, au 10 août, elle avait vu, elle avait cru même, le roi sans courage.

C'est que, pour cette femme jeune et belle, élevée au milieu des chevaliers du saint-empire allemand, le courage consistait dans l'épée tirée au combat, dans le regard brillant au milieu du feu, dans le coursier poussé par son maître à travers les bataillons et les mêlées, et que Louis XVI était le dernier des hommes chez lequel il fallait chercher cette espèce de courage.

Mais, au Temple, en face d'un danger bien autrement réel que celui dont nous venons de parler, en face d'une mort bien autrement sombre et douloureuse que la mort affrontée par le héros, elle vit cet homme vulgaire se poétiser peu à peu par sa bonté, sa patience, sa résignation;

puis, quand les jours véritablement sombres arrivèrent, quand les heures qui menaient à la séparrtion éternelle sonnèrent, elle vit tout à coup le chrétien dépouiller l'enveloppe de l'homme, se transfigurer dans sa passion, et calme monter, à travers les éclairs et la foudre, au Golgotha politique qui lui était réservé.

C'est ce qui fit qu'à la dernière entrevue, c'était cette reine courageuse qui pleurait, ce fut ce roi faible qui la consola.

Puis, Dieu lui faisant encore une grâce, elle aussi devait avoir son expiation sanglante; elle aussi, rejetant les habits mondains de la femme et les orgueilleux vêtements de la reine, devait être ensevelie dans le linceul immaculé des martyrs.

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- Chaque seconde est une douleur. La reine demande Cléry.

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Turgy dénoncé. Visites - Maladie du jeune prince.

Le médecin des prisons Thierry.-La femme Tison devient folle. Le bouillon. Séparation violente de la reine et de son fils. Il est remis à Simon. - Cruautés de cet homme. Noble réponse du dauphin.

Suivons donc la famille royale jusqu'à la mort de MarieAntoinette, de madame Élisabeth et du dauphin, jusqu'à la mise en liberté de madame Royale. C'est un des privi

léges des hautes infortunes, d'attirer à elles les regards de l'historien, de les absorber dans la contemplation de leur douleur, au détriment des douleurs privées. Sans doute une vie qui s'éteint est toujours aussi précieuse à celui qui la perd, et à ceux qui la pleurent, soit que cette vie s'éteigne sous la pourpre, soit qu'elle s'éteigne sous le chaume; mais il en est de ceci comme d'une torche qui meurt sur la terre ou d'une étoile qui file au ciel; les regards sont pour l'étoile, la curiosité, la sympathie, la pitié même sont pour ce qui tombe de haut.

Revenons donc sur cette journée terrible, et disons comment l'avait passée la reine.

La veille, en revenant de chez le roi, elle avait eu à peine la force de se déshabiller, et de coucher le dauphin; quant à elle, elle s'était jetée toute vêtue sur son lit, où madame Élisabeth et madame Royale l'entendirent toute la nuit trembler de douleur.

A six heures un quart, la porte des prisonnières s'ouvrit; elles s'attendaient à voir le roi, et crurent qu'on les venait chercher : on venait seulement demander un livre de prières pour dire la messe.

La porte se referma sans que la reine sût qu'elle ne reverrait plus son mari; madame Élisabeth, son frère, et les deux enfants, leur père. Ils attendirent ainsi jusqu'à huit heures, tremblant d'espérance à chaque bruit. Enfin huit heures sonnèrent nous avons dit ce qui s'était passé.

Pour le condamné, la douleur ne fut que d'une seconde; pour cette femme, pour cette sœur et pour ces enfants, ~ qui ne savaient pas à quelle heure avait lieu l'exécution,

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