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le commettre sur une assemblée frappée de stupeur, et confondre au milieu du tumulte, avec ces Feuillans cette Gironde et ses amis, qui déplaisoient tant aux tribuns; quand je me rappelle que, pour légitimer, ses forfaits, à cette époque mêine, on dénonçoit d'un côté ces députés de la Gironde comme des traîtres, que de F'autre on expédioit des mandats d'arrêt contre eux ; quand je me rappelle qu'il étoit si facile de leur supposer des lettres, d'altérer le sens de celles qu'on auroit pris. s chez eux, et de justifier le quiproquo, puisqu'on faise t tuer impunément par quiproquo des innocens (1) ; quand je me rappelle qu'on enveloppoit dans la même proscription un ministre dont les principes et le caractère inflexible gênoient les triumvirs et déconcertoient leurs projets; qu'une émeute avoit été préparée et exécutée contre lui; que son mandat d'arrêt devoit être suivi d'autres contre ses collègues, à l'exception d'un seul; quand je me rappelle la motion préméditée de sonner le tocsin et de Lermer les portes, sous prétexte d'enrôler les citoyens ;

(1) J'en vais citer un trait effrayant, mais vrai. A l'hôtel de la Force, où l'on expédioit les prisonniers avec une apparence de forme, avec un juré de comédie, et en présence d'officiers municipaux, un prisonnier, accusé de fabriquer de faux assignats se recommande d'un citoyen de la rue Saint-Autoine. On l'envoie chercher; il étoit occupé à faire des comptes avec un locataire; il arrive et à la vue des piles de cadavres, des massues ensanglantées et de ces jugesbourreaux, il perd la tête, répond de travers, on l'assomme, Le caporal qui l'avoit amené se rappelle alors qu'il l'a trouvé avec un homme qui chiffroit, et supposant que ces chiffres pouvoient bien être des faux assignats, qu'il pouvoit être complice, il va le chercher, l'amène, et on l'exécute aussi. Eh bien ! cet homme étoit un bon père de famille, bon citoyen, électeur de 1791, électeur nommé la veille par sa section!

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motion faite par les amis des triumvirs; le signal du massacre donné par ce tocsin, signal inexplicable, s'il n'eût pas été concerté ; l'organisation de ce cours d'assassinats ; les froides plaisanteries de ceux qui étoient dans le secret, sur cette exécution; son apologie faite au sein même de l'assemblée; l'impuissance du maire de Paris, soigneusement paralysé, prudemment décrié d'avance; l'inutilité de ses requisitions ; l'inertie volontaire du commandant général; l'inertie forcée de la garde nationale, qui attendoit des ordres et n'en recevoit point; la stupeur préconisée des citoyens; la nullité prévue et arrangée de l'assemblée nationale, réduite, par le concert des autorités actives de Paris, à passer à l'ordre du jour sur ces atrocités; quand, dis-je, je me rappelle toutes ces circonstances, je ne puis m'empêcher de croire que cette tragédie étoit divisée en deux actes bien différens; que le massacre des prisonniers n'étoit qu'un accessoire du grand plan; qu'il couvroit et devoit amener l'exécution d'une conspiration formée contre l'assemblée nationale, le ministère et les défenseurs les plus intrépides de la liberté ; qu'il n'a manqué à ses auteurs que da courage pour l'exécuter, et monter au tribunat sur les cadavres des Roland, des Guadet, Vergniaud, Gensonné, etc. et sur le mien.... tribunat qui convenoit aussi aux Prussiens, maîtres de Verdun ce jour-là même.

Telle est la clef la plus naturelle de cette inexplicable atrocité. L'homme le plus féroce ne l'est point sans un but. La haine contre les conspirateurs prisonniers ne peut seule expliquer leur massacre : les bandits soudoyés pouvoient nevoir que leursalaire dans le sang qu'ils versoient; mais les ordonnateurs du massacre y voyoient le pouvoir suprême, ou ils étoient les plus imbécilles des brigands.

Quoi qu'il en soit, et pour revenir à ce qui me concerne, ces circonstances, que je suivois pas à pas, que mille faits, déposés chaque jour à la commission, rendoient plus alarmantes, ne m'effrayoient point personnel

lement. On m'avertissoit de tous côtés; mes amis me conjuroient de ne sortir qu'armé, de ne pas coucher chez moi. Je résistai à tous ces avis, non que je crusse au respect de mes ennemis pour mon inviolabilité; non que je ne crusse pas à leur profonde scélératesse; mais je les croyois encore plus lâches que scélérats; mais je croyois à la force d'une providence qui, sans doute, ne nous a pas délivrés de la royauté, pour nous mettre sous le joug des tribuns; mais je crois au bon-sens de ce peuple. qui connoîtra tôt ou tard ces charlatans, et je vois déja la roche tarpéienne qui les attend....

Je ne sais quel sentiment intime, supérieur à tous les évènemens, m'a toujours soutenu calme et serein, au milieu des dangers innombrables que j'ai courus pendant la révolution, au milieu des ennemis qui ne cessent de me promettre la mort..... Sans doute il est possible de m'assassiner; mais, avec une bonne conscience, on n'est jamais surpris par la mort; mais un patriote se console. si facilement, en pensant que sa mort sera utile à son pays! mais en donnant des larmes à ma femme et à mes enfans, j'emporterois au tombeau le doux espoir de leur laisser un sûr appui dans les amis qui me chérissent, des titres à la reconnoissance d'une patrie que j'ai servie avec un zèle infatigable.

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C'est à ces sentimens que j'ai dû ma sécurité, lorsque, le 3 septembre au matin, les satellites des inquisiteurs tombèrent dans mon cabinet! Je les en atteste; surprirent ils chez moi la moindre altération ?

C'est à ces sentimens encore que j'ai dû ma sécurité lors de la saint-Barthelemi du Champ-de Mars, en 1791: cette sécurité dont mes ennemis me font un crime aujourd'hui, ils l'expliquent, en supposant que j'étois de concert avec les Lameth et Lafayette. . . .

Et dans mes feuilles d'alors, je poursuivois Lafayette et les Lameth avec une persévérance infatigable! Et quoique Paris fût frappé de consternation, quoique les décrets

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de prise de-corps se multipliassent autour de moi, quoique les prisons se remplissent de victimes, je dénonçois à toute la France les coalitionnaires triomphans, comme des traîtres vendus à la cour, comme des ennemis de la liberté ! Et les déserteurs de la cause populaire veulent aujourd'hui me travestir en traître, pour couvrir leur lâcheté ! Tous ces fanfarons avoient fui, se cachoient dans des caves, ou ne se montroient que la nuit, cuirassés et armés jusqu'aux dents. Et parce que je n'ai pas partagé leur lâcheté, parce que je me suis promené tranquillement au milieu des baïonnettes des Pisistrates modernes, ils calomnient ma sécurité, qui fera éternellement leur procès ? Ils m'outragent, moi qui, seul avec Gorsas, résistant au torrent, osois les défendre ! Rien, écrivois-je le 10 août 1791, rien ne ressemble mieux au régime des trente tyrans d'Athènes, que le régime actuel... C'en est fait de la liberté, ajoutois-je, si l'on est sans courage, si les SCELERATS parviennent à intimider les > honnêtes gens, si ceux-ci ne se réunissent pas pour faire tete aux INFAMES moyens qu'emploient les BRIGANDS politiques. Il faut le dire, j'ai trop appris, dans cette rude épreuve, à connoître, et les fanfarons en liberté, toujours prêts à s'agenouiller devant l'idole du jour, et les faux amis qui vous étouffent de leurs caresses dans voue prospérité, et vous délaissent au péril; mais aussi j'ai senti la prodigieuse supériorité de l'homme de bien sur les SCELERATS ET SUR LEURS VALETS, j'ai vu plæs d'un de ces BRIGANDS déconcenté par mes regards (1)». --Est-ce donc ainsi qu'on traite des hommes avec lesquels on est de concert?

Eh!où étoit alors ce Robespierre, qui ne cesse de vanter son courage? Il étoit, comme au 20 juin, comme au 10 août, caché dans une retraite ignorée. N'osant se montrer, tout inviolable qu'il étoit, ni en public, ni à

(1) Réponse de J. P. Brissot à tous les libellistes, pag. 33.

l'assemblée nationale, ni même devant les juges qui l'avoient cité, comme moi, au tribunal desquels j'avois comparu, il proposoit sccrètement à Pétion de s'enfuir à Marseille !

Et Danton lui-même, Danton, qui a signé la proscription d'un homme qu'il est forcé d'estimer, et l'éloge d'hommes qu'il méprise; Danton n'a bravé que de Londres la fureur de ses ennemis! et malgré la promesse solemnelle qu'il a faite de dévoiler les forfaits de ces intrigans, qu'il avoit connus intimément, il est encore à rompre le silence! Sans doute il pouvoit craindre la scélératesse de ces Lameth, qui n'avoient de Catilina que les fureurs, l'intrigue et l'immoralité, à qui un 2 septembre n'auroit pas coûté, qui doivent regretter aujourd'hui de ne l'avoir pas anticipé. Mais un patriote doit calculer autrement. Mon parti étoit pris; j'allois en prison, si le décret de prisede corps eût été lancé contre moi; mes ennemis péris- soient également par ma mort ou par mon triomphe. Dans un régime libre, la probité l'emporte toujours, et sur l'intrigue, et sur les calomnies.

C'est avec la ferme conviction de ces principes, que je planerai toujours au-dessus de mes calomniateurs, que je rirai de leurs efforts pour ameuter les citoyens de Paris contre moi, en me prêtant une doctrine contraire au bien du peuple. Je le sais, ils n'ont pas d'autre but, quand ils m'accusent de vouloir la république fédérative, quand ils font retentir cette calomnie par-tout.

Citoyens, le croirez-vous ?... Alors même que les Cordeliers se confédéroient contre les républicains ; alors que Robespierre se défendoit fort gauchement, à l'assemblée nationale, du soupçon, faux, à là vérité, d'être républicain (1), car il ne l'étoit pas, il ne se doutoit pas. mème des bases de républicanisme; alors que Desmoulins

(1) Voyez son discours à l'assemblée constituante, du 14 juillet 1791.

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