CHRONIQUE D U MOIS OU LES CAHIERS PATRIOTIQUES DE E. CLAVIERE, C. CONDORCET, L. MERCIER, M. E. GUADET, J. OSWALD, N. Bonneville, J. BIDERMANN A. BROUSSONET A. GUY-KERSAINT, J. P. BRISSOT, J. PH. GARRAN J. DUSSAULX Th. PAINE et F. LANTHENAS. ( Octobre. ) A PARIS, De l'Imprimerie du CERCLE SOCIAL, rue du Théâtre - François, no. (1792.) L'AN PREMIER DE LA RÉPUBLIQUE. LA CHRONIQUE DU MOIS, OU LES CAHIERS PATRIOTIQUES. AVIS. Nicolas Bonneville, rédacteur de ses cahiers, est chargé d'une mission importante à Rouen : pour la seconde fois, depuis la révolution, il rend la tranquillité à cette ville importante. En son absence nous donnons ces fragmens extraits de son Esprit des Religions, édition 2o. ; et d'abord à son retour, dans le cours du mois, nous ferons une seconde livraison gratuite qui contiendra le tableau des décrets jusqu'à la séparation de l'assemblée législative. Les Directeurs de l'Imprimerie du Cercle Social. J'ALLOIS vous parler de la vengeance de l'inconnu, lors qu'une fièvre dévorante et d'affreuses douleurs m'obligèrent de quitter la plume. Aujourd'hui que j'essaye, très-foible encore, à la reprendre, après de longues méditations, je ne puis parler à des amis et à des frères, que de tolérance, que d'amitié et de toutes les ressources d'un cœur bienfaisant pour enlever à l'homme du peuple la cataracte qui l'empêche de A & voir, sans lui arracher les yeux ; car enfin pour faire dire à d'autres, comme Montaigne, non pour diriger, mais à ma suite, ce que je ne puis si bien exprimer par foiblesse de mon langage, ou pour employer à créer des idées nouvelles un tems qui seroit perdu à refaire ce qui est déja fait et bien fait, il faut avouer que si les esprits lians sont d'un commerce dangereux par l'artifice qui passe du fond du cœur dans les manières, les sublimes talens sont souvent ternis par une rudesse vraiment cruelle. Pourquoi les hommes d'une trempe.vigoureuse et mâle n'ont-ils pas toujours cette urbanité de mœurs qui prévient et qui attire? Seroient-ils toujours en garde contre la séduction? Verroientils par-tout, et même dans leur propre cœur, que le meilleur citoyen armé d'un pouvoir arbitraire, est un tyran qui opprime sans presque s'en appercevoir ? Età cette occasion, un exemple qui frappera l'ami de la liberté, me revient en la pensée. Vous êtes jeune encore, me disoit un jour Dalembert, prenez bien garde que l'amour ardent de la justice et de la liberté qui vous embrâse, ne devienne insensiblement chez vous un sentiment personnel; plus il vous en aura coûté pour en saisir l'ombre, plus vous en serez avare. De la liberté pour vous et pour vos amis, de la gloire pour vous et pour vos amis; tout pour vous et pour vos amis ! Le monde alors vous paroîtra marcher en ordre, être à sa place. Le cœur est un sophiste adroit: l'esclavage où vous réduirez les autres ne vous paroîtra qu'une protection de bienfaisance, nécessaire. Le reste des hommes n'aura plus besoin de s'enquérir, de voir, d'examiner; vous serez leur flambeau, leur unique flambeau, et malheur à un rival! Si vous désirez établir la liberté sur la terre, dites bien aux hommes qu'ils ne doivent jamais confier un pouvoir arbitraire au plus sage, au plus vertueux. Ne vous en ficz pas à vous-même. Si dans notre siècle, tout esclave, quelques hommes ont montré une haine bien sincère, bien prononcée contre tous les genres de tyrannie: c'est assurément Dalembert et ***; eh bien, ajouta le philosophe, croiriez-vous que dans je ne sais quel voyage que nous fîmes ensemble dans une voiture royale, nous exerçâmes le plus étrange despotisme, en faisant crier à toute autre voiture bourgeoise ou villageoise: Rangez-vous. Cédez la grand-route. Postillon du roi. Que cette anecdote vous serve, comme à moi, d'éternel exemple, si vous prenez la plume pour ins truire les nations! O vous, jacobins et feuillans, illuminés, cagliostriens, mesmeristes, administrateurs, représentans, rois ou ministres, ne dites pas si légèrement que je m'écarte de mon objet. Je n'en crois rien et je continue. Hommes libres, soyez en garde contre la tyrannie, à toutes les heures, et dans tous les tems, et contre tous les individus, et contre vous-mêmes. N'allez pas sur tout affecter l'indomptable fierté de la vertu, c'est attenter sur le cœur et sur l'indépendance d'un autre citoyen que vos mœurs cependant ne s'adoucissent qu'avec la liberté générale; jusques-là nous y perdrions trop souvent cette énergie austère d'un cœur franc qu'il faut blesser et déchirer, comme ces plantes aromatiques, pour en extraire les plus doux parfums! Ayez votre aiguillon toujours prêt pour la défense; mais lorsque vous croirez avoir une injure à venger, ne frappez jamais comme l'abeille, à l'ins tant même ! Dalembert, malade. Amis de la vérité, tolérance perpétuelle, universelle ! car, prenons-y garde, on se fâche rarement contre les opinions, sans se fâcher bientôt après contre les personnes, et même contre les amis et les ouvrages de leurs amis, où ces mêmes opinions qui vous exaspèrent, sont généreusement combattues. Je ne me rappelle point, sans émotion, comment un |