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f. 2. En continuation.

Les érudits veulent tout expliquer. Les fanatiques qui s'irritent de tout sans savoir pourquoi, ne veulent recevoir aucune explication : les tyrans qui craignent qu'un homme les regarde et lise dans leurs cœurs, vous défendent, au nom de Dieu, de vous servir de la raison qu'il ne vous a donnée que pour en faire un libre usage. Il en est encore qui sont assez lâches pour s'écrier: "Que d'autres » prennent soin de lever le bandeau de la fable, pour "nous introduire dans le sanctuaire de la divinité; ce

dessein est trop hasardeux en des mains profanes,, ! O Bacon, intelligence céleste, ce sont les tyrans qui ont fait boire à Socrate la cigue, et qui ont dévoré dans les flammes les plus sincères amis de la vérité, qui t'ont fait écrire encore ces autres lignes, indignes d'un homme :

"Un chrétien pourroit bien entrevoir dans la fable de » Promethée, des allusions aux mystères de sa créance ; " mais c'est porter une lumière profane à l'autel du Dieu " de sainteté !

Que d'excès à éviter dans un ouvrage analytique sur les religions!

Cependant les obstacles que j'avois déjà surmontés entretenoient ma force et mon zèlè; mille espérances d'un succès éloigné, mais certain, réchauffoient mon cœur que l'ingratitude si froide, si amère ne pouvoit dessécher par ses poisons!

Que de veilles perdues! - perdues seulement dans l'espérance de quelques momens de loisir pour composer et publier un ouvrage utile que j'aurois volontiers écrit de tout mon sang!

Je ne me laissai point abattre. Je poursuivois en tout et par-tout mes recherches analytiques, pour saisir quelque part l'Esprit des Religions.

Des observations, à chaque instant confirmées, par une décomposition continuelle des mots primitifs, me

conduisirent à des réflexions qui me parurent d'abord fort étranges, mais ne les trouvant jamais démenties, je cherchai sérieusement à les approfondir. Souvent je rencontrai, dans une autre langue, le sens précis d'un mot ou d'une allégorie inintelligible pour moi, dans plusieurs idiomes. Comme le naturaliste qui s'efforce de remonter par l'échelle des êtres, au principe de toute existence, je composois une échelle de mots primitifs, pour arriver au principe des opinions.

La route que j'avois prise menoit à des résultats conformes à la raison, à la justice, à la nature des choses; la vérité devoit être là. Pour augmenter encore mon. zèle, je formai dès-lors l'engagement solemnel de donner un essai sur l'Esprit des Religions (1).

Je trouvois dans les ténèbres de tous les cultes de l'ancien monde, dans les annales symboliques, consacrées par les fanatiques et les tyrans, tout ce qui étoit nécessaire, à une main prudente, pour préparer la naissance de la lumière, accomplir les prophéties des sages, et consommer ainsi, en présence de tout le monde, et à l'insçu du fanatisme et des tyrans, la ruine de la tyrannie!

Les anciens systêmes des premiers cultes, partiellement ou universellement établis, et la connoissance des tems et des lieux où. ces cultes avoient commencé, éternelles et seules recherches de nos érudits, m'interessoient à peine, à cause de leurs enveloppes systématiques où il entroit nécessairement de l'invention et de l'arbitraire : toutefois les érudits ne me paroissoient pas en avoir tiré le seul parti qui s'offroit naturellement aux philosophes pour enseigner à l'homme du peuple à exerser ses regards, à ne rien croire sans examen

et pour

(1) Vid. tom. I, de l'hist. de l'Europe moderue, plan de louvrage.

allumer dans tous les cœurs des haines vigoureuses contre les oppresseurs du genre-humain.

Propter peccata terræ reges eorum. Bibl.

Pour les puuir, je leur donnai des rois.

Mais avec quelle ivresse délicieuse je sentois chaque jour se dérouler insensiblement le sens caché des anciennes écritures: mon cœur attendri s'ouvroit à l'espérance, de voir s'accomplir un jour sur la terre les promesses de l'éternelle sagesse! Le jubilé des nations, quelle bonnenouvelle, le culte de la loi, le pacte fedératif des Amis de la Vérité. Je rencontrois par-tout les traces d'une sagesse profonde, inouie, insoupçonnée; les principes évidens de la création sociale, les miracles de la parole, les espérances de l'homme intègre, la théorie des insurrections, LES MYSTERES DE LA LIBERTÉ!

La révolution arrive.

Si

pergama dextrâ

Defendi possent, etiam hâc defensa fuissent.

§. 3. En continuation.

Dans mes premiers essais sur l'Esprit des Religions, je n'ai traité à fonds que les objets qui avoient un rapport immédiat aux mystères de la liberté, et à la déclaration des droits des hommes et des nations.

Dans les appendices que j'ai promis, je tâcherai de mettre les Amis de la Vérité à portée d'examiner avec quelque intérêt les nombreux systêmes des érudits, sur les origines des premiers cultes de l'ancien monde, dont les Hypocrites font encore parmi nous un usage entièrement contraire à la raison et aux droits de l'homme libre.

Les résultats qui s'offriront nécessairement dans ce examen des opinions religieuses ne sont pas d'une impor tance égale aux apperçus directs de mes premières recher ches; là un ami de la vérité avoit seulement besoin d'u cœur juste et honnête pour se diriger et se retrouver tou

jour

jours sur la voie, fidèle aux meilleurs principes d'un bon gouvernement.

Mais il est possible qu'une opinion, très-sage, très-raisonnable, ait été par hazard, celle d'un insensé, d'un fanatique, d'un tyran; d'un tyran; il est possible qu'une opinion, contraire à la vérité, ou aux loix actuellement connues de la nature, ait été l'opinion sincère d'un sage, d'un légis lateur,

Chez les Payens !

Dont on eût fait un Dien

Dût-il même, comme le Descartes du bon la Fontaine, céleste,

être un ange

Et qui tient le milieu

Entre l'homme et l'esprit, comme entre l'huitre et l'homme, Le tient tel de nos gens, franche bête de somme,

Où se rallier alors!

Se rallier à l'ami de la vérité! nullement. Il faut se rallier à sa raison; de cette manière, quelque étranges que soient mes résultats, on pourra trouver un trésor de réflexions dans le vague des opinions que j'aurois imprudemment adoptées.

Ces résultats, je l'avoue, quoiqu'au fonds de très-peu d'importance pour la bonne conduite du sage, que son cœur seul entraîne, seront d'une très-dure digestion pour les fanatiques et les hypocrites, qui pour ne jamais s'exposer à voir la vérité face à face, ont déïfié les ténèbres, écartant les mains profanes du voile qui la couvre.

Procul, ò Procul, este profani!

Je connois quelques objections qu'on pourra faire à mon entreprise, essayons d'abord d'y répondre :

§. 4. Objections et réponses.

Objections. Voudroit-on nous prouver que toutes les

B

religions viennent, des hommes, ou qu'elles ont porté la faulx dans le domaine du christianime?

Qu'est-ce donc que la superstition a de commun avec la vérité pour vouloir les confondre ainsi?

Reponses. Les fables, les allégories, les emblêmes, les hieroglyphes, les paraboles sont des tableaux mutilés, ou des monumens informes de cette première antiquité que le tems a comme ensevelis dans la nuit de l'oubli. C'est un voile tiré entre l'histoire perdue et celle qui nous reste, mais un voile transparent, qui laisse entrevoir la vérité. Car quelque soit l'abus de l'allégorie, il faut bien y avoir recours, quand le sens littéral ne présente qu'un monstre d'absurdité qui n'a jamais pu entrer dans l'esprit humain, encore moins en sortir avec ces traits bizarres et difformes qui l'auroient d'abord fait étouffer.

Les traditions orales ou symboliques) ont été défigurées par les rêves des enthousiastes, ou par le mépris des sectes ennemies.

Les philosophes, les chymistes, les théologiens même ont abusé de la licence que donne l'allégorie, et chacun a prétendu rencontrer ses dogmes et ses opinions dans la fable.

C'étoit la religion des anciens philosophes, et chaque peuple y trouve des traces de la sienne.

Les explications des interprêtes n'ont pas d'autre fondement que le texte du poëte, les uns et les autres puisent dans l'imagination; ne fut-ce qu'un amusement, qu'on nous le pardonne, s'il peut donner jour à des conjectures neuves, et à des réflexions solides. Tâchons de justifier une licence puérile, par un usage noble et digne d'un philosophe.

Les allégories et les fables servent de bandeau ou de flambeau à la vérité; qui nous empêche de découvrir la nature à la lueur de ce flambeau?

Les paraboles furent comme les premiers jeux de la raison, qui s'essayoit avec la vérité; on voulut plaire

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