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Quelle leçon pour les rois prévaricateurs! Les enfans de Catherine de Médicis, comme frappés de la malédiction des peuples, descendirent tous au tombeau avant le tems, et sans lignée. La mort moissonna dans leur jeune âge, et Charles IX, et Henri III, et les ducs d'Alençon et d'Anjou, et toute cette race de mauvais et d'indignes princes, qui n'eurent d'activité que pour le mal. La nation se regarda bientôt comme délivrée d'un fléau qui préparoit sa ruine entière. Tout retentissoit de cris d'alégresse; c'étoit peut-être le moment, pendant cet interregne, de rétablir les droits de la nation. Elle étoit remise à elle-même; elle ne connoissoit pas alors les vertus héroïques de Henri IV, qui étoit pour elle dans le plus grand éloignement. On avoit détesté la maison de Valois; on n'aimoit guère plus la maison de Bourbon; on la regardoit, disent tous les historiens, comme une branche égarée, perdue et bâtarde.

Tous les vœux étoient pour les Guises qui étoient populaires et montroient du génie. Henri IV n'étoit aux yeux du peuple qu'un protestant qui renchériroit bientôt sur les attentats d'un roi catholique, et qui de plus détruiroit la messe dans Paris. Le sang des Guises existoit encore; on le faisoit remonter jusqu'à Charlemagne, et ce sang versé sous ses yeux et pour sa cause sembloit devoir lui devenir encore plus cher. Mayenne avoit à venger ses deux frères tués à Blois. Seul reste de ce cette maison formidable, il ne figura point pour un chef de parti d'une ma

elle fut si générale, si profonde, que celui qui lit l'histoire ne peut s'empêcher de dire: Le peuple regardoit ces deux frères comme le soutien de ses droits et de sa liberté, et l'on crioit tout haut: Dieu éteigne la race des Valois ! Jamais peuple ne jetta un cri plus unanime. Ce régicide fut regardé, BOR-Beulement en France, mais encore en Italie, comme une action vertueuse; et l'on compara le parricide, les uns à Judith et à Eleazar, les autres aux plus grands hommes de l'antiquité.

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nière ferme et décidée. En vain sa mère lui redemandoit ses fils massacrés; en vain la veuve du duc et sa sœur crioient vengeance; en vain la nation cessoit d'être royaliste: calme, irrésolu, modéré, il sembloit redouter d'être élu roi. N'ayant rien de commun avec le sang bouillant de ses frères, il n'étoit pas né pour se trouver dans cette grande crise de l'état.

Mayenne, avec plus de fermeté et d'audace, auroit pu mettre la couronne sur sa tête. Les ducs, les comtes, etc. la noblesse enfin étoit toute prête à se vendre. En donnant des gouvernemens, en prodiguarit les places les plus éminentes aux plus ambitieux, en poussant le roi de Navarre à toute outrance, il est probable qu'il auroit réussi. Le jeune duc de Guise, son neveu, enfermé pour lors, n'auroit pas nui à ses desseins; mais Mayenne, d'ailleurs habile capitaine, n'avoit point d'activité, et il ne cɔnnut pas le prix des momens.

La nation dans cette forte épreuve, pleine du sentiment de ses maux et douée du plus grand ressort, égara son courage, et ne sut point établir ni même proposer une forme de gouvernement qui éloignât les désastres passés, dont le peuple avoit fait une si longue et si cruelle experience; elle ne songea point à opposer une juste résistance à ce pouvoir énorme qui depuis Louis XII avoit foulé et avili l'état. Déplorable aveuglement du siècle! fatale erreur! La France ayant à choisir, à nommer son monarque, ne conçut aucune idée politique. Armée forte, vigoureuse, couverte d'acier, elle se jetta dans le dédale épineux des disputes théologiques ; et s'enfonçant dans ces routes tortueuses, elle oublia le fer qu'elle tenoit, et l'époque la plus heureure et la plus rare pour dresser un contrat social.

Henri IV tira l'épée pour régner. Mais ce qui le justifie, c'est que la force alors répondoit à la force, et qu'il opposoit le glaive au glaive. Le succès du prétendant étoit. plus que douteux. Ses droits, quoique légitimes, pou

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voient être annullés par la volonté des peuples, par leur opiniâtre résistance, ou par le cours des évènemens, l'ascendant terrible de la religion, les anathêmes multipliés, et qui invitoient les poignards du fanatisme, pouvoient encore à leur défaut l'éloigner à jamais du trône. Il eût alors accepté bien volontiers toutes les conditions qu'on lui eût imposées. Il avoit de l'héroïsme ; il eût commandé avec joie à une nation libre: elle pouvoit, en lui mettant la couronne sur la tête, lui dicter un contrat généreux, qu'il eût signé avec noblesse. Mais que lui enjoignit-on? Ce qui étoit le plus indifférent pour le gouvernement d'un état, de se faire catholique et d'entendre tous les jours la messe. Ce fut l'unique condition qu'on lui imposa; et l'on crut alors avoir gagné un point de législation. important, un gage éternel de la félicité publique. (1) Les grands, plus habiles et plus lâches, vendirent à beaux deniers comptans leur servile obéissance, et ne songèrent qu'à dresser des traités particuliers. Henri IV promit tout ce qu'on voulut, (2) s'engagea à payer les sommes les plus fortes; et chaque homme en place dans cette anarchie tumultueuse, ne suivant que des intérêts petits et sordides, parut méconnoître ou plutôt mépriser l'intérêt général.

Qu'arriva-t-il? le despotisme de Richelieu, contre la nature éternelle des choses, sortit du sein de ces guerres civiles; il en sortit pour punir ce même peuple qui avoit

(1) Paris vaut bien uue messe, dit-il; et cette messe luż rendit un trone. Ainsi Louis XV I, en acceptant et en baisant la cocarde tricolore le 17 juillet 1789, chaugea, en une minute, la disposition générale des esprits. Bon peuple! tu devois étre égorgé ce jour-là même! Bon peuple! un rien l'appaise.

(1) Les négociations entreprises à Rome pour obtenir du pape l'absolution de Henri, sont vraiment incroyables; et l'on a peine à imaginer l'inflexibilité du pape et la nécessité où se trouvoit un roi de France de cette absolution.

eu le courage de s'armer, de mourir, et qui en combattant valeureusement pour des opinions stériles, n'avoit pas su composer un raisonnement utile. (1) Vingt-deux années après, Richelieu devoit régner; ce Richelieu qui brisa la tête de ces mêmes grands qui s'étoient vendus, eux et leur postérité. Ce cardinal, avec l'audace d'un prêtre qui n'a ni patrie ni enfans, osa détruire tous les poids intermédiaires; et Louis XIV, dont il applanit la trop superbe route, entra ensuite en bottes et le fouet à la main au milieu des dépositaires, des organes et des gardiens de nos loix (qui en l'absence des états généraux les suppléoient nécessairement). Il leur défendit jusqu'à des remontrances; et depuis, quand ces corps de magistrature, vains simulacres de nos antiques libertés, et frappés du mépris royal, vinrent représenter humblement aux genoux du monarque ses vexations, ses injustices, ses erreurs, ses profusions, etc. le monarque répondit théologiquement, en les chassant de son palais: Je ne dois aucun compte à la nation, je ne tiens ma couronne que de Dieu.

Arrêtons-nous; et considérons présentement dans le peuple qui souffrit tant et qui ne gagna rien, examinons la force des préjugés de ce siècle, la lenteur des vraies connoissances, et ce qu'occasionne l'abâtardissement des esprits; combien il est nécessaire qu'ils soient éclairés par les lumières de la bienfaisante philosophie qui s'oppose de tout son pouvoir aux servitudes nationales. Tandis que, privé d'une utile clarté, ce peuple faisoit des prodiges de valeur qu'il auroit pu mieux employer, le cardinal Gran

(1) Richelieu ne sut que sacrifier. Henri IV ou un autre grand homme auroit fait subsister ensemble les deux religions, en permettant à une troisième et à plusieurs de s'établir. Mais Richelieu calcula quelle moitié de l'état il écraseroit, pour la subordonner à l'autre; et l'ascendant de son cruel caractère fut pris pour du génie : génie funeste, qui ne sut qu'opter entre des attentats.

velle,

velle, appuya de ce Philippe II, ennemi farouche de toute liberté civile, politique et religieuse, vouloit le surcharger encore du fardeau de l'inquisition, et il y tendoit les mains, souffrant de la famine et plongé dans les horreurs de la guerre. Et à quoi se bornoient les réclamations de ce peuple vaillant, à ce cri général et incon cevable, comment recevoir un hérétique dans le trône de saint Louis?

Quelle étoit donc cette horreur invincible pour le protestantisme? Le catholicisme avoit-ik jamais établi les moindres libertés de ce peuple? Au contraire, c'étoit ún nouveau joug ultramontain et honteux, ajouté à tant d'autres. Le peuple ne songea ni au pacte social, ni à ses privilèges, ni à ses franchises. Pour être roi de France, disoit-on alors, il est plus nécessaire d'être catholique que d'être homme. Tous les adhérens de Henri étoient traités de criminels de lese-majesté divint et humaine; termes devenus depuis si familiers aux fanatiques de toutes les sectes.

Henri monta sur le trône après s'être battu en vrai soldat. Paris lui ouvrit ses portes, renonçant tout-à-coup à son ardente opiniâtreté et satisfait d'avoir défendu courageusement la transsubstantiation. La France devint sa conquête; il on achetta des parties démembrées par la cupidité des grands qui les retinrent quelques années, et qui ne rougirent pas ensuite de les lui vendre, pour ainsi dire, une seconde fois. On ne voit pas sans surprise que leurs descendans aient, osé appeller fidélité, amour, ce qui n'étoit alors qu'une avarice déguisée sous les dehors les moins trompeurs. Voyez les Mémoires du tems. Le bon Henri se trouva dans l'impuissanse d'acquitter ses promesses, tant on lui avoit imposé de conditions pécuniaires et onéreuses. Il avoit déjà payé trente-deux millions à cette noblesse vénale et intéressée, qui lui avoit fait achetter sa respec

tueuse soumission.

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Henri eut besoin, sans doute, des qualités d'un négociateur pour concilier les François, les Allemands, les An

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