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un fruit particulier de nos relations avec les Indiens. Depuis 126 ans que les relations sont établies entre la France et ces contrées, plus d'un milliard de numéraire a été exporté, et le produit de la vente des marchandises manufacturées par des mains indiennes, a presque doublé

cette somme.

Si l'on veut réfléchir sur l'effet qu'auroit eu sur l'aisance individuelle des François, la conservation d'un milliard et la production de quinze cents millions, au moins, de marchandises, que le besoin de tous auroit excité; car à la place de l'indienne, du nankin ou du mouchoir de Masulipatan, nous eussions consommé nos toiles peintes, nos batistes; etc. si l'on calcule l'action réciproque des artisans et des consommateurs, et l'effet vivifiant d'une masse enorme de signe numéraire qui seroit demeurée au milieu de nous qu'on fasse entrer dans cette combinaison les grands moyens que la nature a prodigués aux François, on conviendra que tant d'élémens de prospérités sont regrétables, et que leur influence sur la fortune publique, dans un si long espace de tems, est incalculable.

Mais, si l'esprit n'en peut saisir toutes les conséquences, il sent au moins avec force quelles auroient toutes dû être en faveur de la fortune du pauvre, et ce résultat est si frappant de vérité, que je croirois faire injure au lecteur d'insister davantage sur ce point.

Je ne suis point le premier qui ait considéré, sous ce rapport, nos relations commerçantes avec l'Asie; mais, telle est la nature de l'esprit humain, que les notions les plus claires, les vérités les plus palpables, sont long-tems proposées avant de devenir l'opinion commune, lorsqu'elles ont sur-tout à renverser des préjugés que l'intérêt d'un certain nombre d'hommes soutient.

A la paix de 1783, je présentai quelques idées au ministre sur ce sujet si le gouvernement avoit pu s'élever à cette vérité, il eût vraisemblablement prolongé sa durée, car les iles de France et les établissemens de l'Inde ont coûté

depuis ce moment, plus de cent millions au trésor public, et le commerce de l'Asie, par ses versemens de marchandises de fabrique indienne, dont la valeur capitale a passé régulièrement, tous les ans, en Angleterre, (car c'est sur les fonds de cette nation que notre négoce a fait, durant le commerce libre, la plus grande partie de ses opérations) a dû coûter, d'une autre part, plus de deux cents millions à notre industrie.

Aussi, la somme du travail, cette base unique de la ri chesse des nations, diminuant d'une part, tandis que la population s'accroissoit de l'autre, le mal-aise du peuple est devenu général et insupportable ; et n'en pouvant trouver la cause que dans les vices du gouvernement, il l'a renversé. Voulez-vous donc affermir le nouvel ordre des choses, montrez-vous sages et habiles pour assurer du travail au peuple, et pensez que c'est en ce point que réside tout le secret de l'art de gouverner les grandes na

tions.

M. Arnoul, dans sa balance du commerce, montre une réexportation annuelle de six millions sur les recours du commerce de l'Inde, mais je ne vois nulle part l'importation immense que les Anglois ont su faire des retours de ce même commerce. Cependant, cette importation est certaine, et l'on peut consulter, pour s'en convaincre, les douanes d'Angleterre et les négocians de cette nation.

L'exportation de France a été dirigée vers la Suisse et l'Italie, mais on doit observer que les toiles de coton ou les mousselines nous sont rapportées, en partie, peintes ou brodées par ce peuple industrieux, et les compensations qu'on calculeroit sur la réexportation que présente un premier apperçu, ne sont qu'illusoires; c'est, je le répète, au poids aggravant de ce commerce, que nous devons notre misère et notre épouvantable mendicité.

Voulez-vous donc sérieusement ranimer votre industrie, améliorer vos finances, encourager votre agriculture, supprimez le commerce de l'inde, proscrivez l'usage des pro

duits de cette terre éloignée, offrez, pour premiers se-cours, aux dix millions de pauvres qui vous en demandent, la suppression d'un commerce qui n'est profitable qu'à ses agens.

Tout se tient en économie publique, et j'ose dire que les mœurs même, et l'affermissement de la liberté seront une conséquence de cette grande résolution.

Mais, voyons s'il est possible de forcer les François à renoncer à ce commerce; si ce n'est pas gêner leur industrie; enfin, s'il est des moyens praticables d'effectuer la prohibition que je réclame, d'empêcher l'usage des séduisantes marchandises des fabriques de l'Asie; s'il n'est pas insensé d'espérer de guérir nos femmes de leurs fan. taisies de préférence pour ces bagatelles?

Dans d'autres tems, on a mis de grandes entraves à quelques parties de nos consommations, et lors qu'on usoit de la force sans ménagement, on étoit parvenu à anéantir celle des indiennes ; mais il faut d'autres moyens à cette heure les François sont des hommes et des citoyens, et vous agirez, dans cette occurrence, avec les égards qu'inspire ce double caractère; l'ami de la liberté ne proposera rien qui ne s'accorde avec ces principes.

Les droits de l'homme en société ne lui permettent que de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui; ainsi, partant de plus haut que la constitution, même de la déclaration des droits, j'y trouve un appui suffisant, et si j'ai démontré que le commerce de l'Inde est destructif de l'industrie nationale, la sentence est prononcée; le législateur ne peut s'empêcher de la proclamer; mais l'exécution? Hé bien! l'exécution, pourrez-vous vous en mettre en peine? Elle dépend de deux choses: de l'instruction que le législateur répandra sur cette matière, et de l'intérêt du peuple; il saura, n'en doutez pas, maintenir une loi qui fonde. sa fortune; tous les amis de la constitution s'empresseront d'y concourir.

On voit dans la chambre haute du parlement d'Angle

terre,

terre, des ballots de laine. Ce signe toujours parlant du principe de la richesse d'un peuple industrieux et sage, m'inspire l'idée de placer dans l'assemblée nationale, dans un autre sens, mais, pour produire le même effet, des balles de marchandises de l'Inde, lesquelles rappelleroient éternellement aux François le décret mémorable qui les auroit affranchis de l'onéreux tribut payé si long-tems par leurs pères, à l'industrie asiatique sur ces balles seroit gravé ce décret que 20 millions de bras reconnoissans fe

roient exécuter,

Ceux qui veulent des chiffres en trouveront dans l'ouvrage de l'abbé Raynal, et dans la balance du commerce de M. Arnoul, excellent ouvrage que les hommes qui se destinent à de grandes places, doivent lire et consulter, l'identité des mes idées et de celles de cet excellent esprit, m'ont donné la confiance de présenter ces observations: j'ai pensé qu'elles exciteroient l'attention publique sur un des points les plus importans de nos intérêts extérieurs, et pourroient peut-être balancer les prétentions dangereuses des amis du commerce de l'Inde, et prévenir le danger de leurs sollicitations, pour attirer l'intérêt et l'attention de l'assemblée nationale, vers les établissemens languissans qui nous restent au-delà du cap de Bonne-Espérance.

Citoyens désintéressés, je viens d'écrire sous la dictée de la conviction et dans le dessein d'être utile à mon pays; si je me suis trompé, prouvez-le moi et je me rétracte: l'honnête homme ne rougit point d'avouer son erreur. Si vous reconnoissez que j'aie raison, unissez vous à moi; appuyez avec courage ma demande, et faites triompher la vérité. C'est votre devoir, et l'intérêt de notre commune partie doit l'emporter sur toute autre considération

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Comme aucune ligue n'est comparable aux confédérations qui se formèrent dans les troubles du royaume contre le vil Henri III, et contre Henri IV, dont les qualités n'étoient pas encore connues depuis 1576, jusqu'en 1593; on nomme particulièrement la ligue, les combats qui résultèrent de la sainte union, qui, sous le prétexte de la religion ne fût au fond qu'une lutte entre la tyrannie et la liberté. Ce qui le prouve, c'est qu'un article de l'acte de la confédération qu'on signoit en entrant dans la ligue, étoit et faisoit espérer à tous les ordres du royaume, de voir rétablir les libertés, franchises et privilèges dont les provinces et la noblesse jouissoient sous le règne de Clovis. Portons un jour nouveau sur cette intéressante partie de notre histoire. Je n'en connois point de plus propre à nous. éclairer sur ce qui se passe aujourd'hui ; c'est le même peuple, c'est son même génie, c'est sur-tout son même courage, et les faits offrent d'ailleurs des rapprochemens

curieux.

Cet amour de la liberté, qui agitoit nos ancêtres, fut gâté par la Théologie; les argumens de la Sorbonne émoussèrent les piques du patriotisme. Profitons des fautes de ceux qui nous ont précédé ; ne nous abusons point par des mots, et n'oublions pas sur-tout que les rois ne deviennent jamais plus puissans qu'après que la nation a été agitée par des dissentions domestiques et violentes: on verra quelles furent les suites funestes des préjugés de nos braves ancêtres. Préservons-nous de tomber dans le même précipice en prenant des termes fantastiques pour des réalités.

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