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qu'avec l'éducation on peut tromper son ame de manière à lui faire goûter tous ces plaisirs. Alors il eut mis dans les mains de l'homme et son bonheur et les moyens de l'avoir. Mais qu'a-t-il gagné, en voulant nous avilir? en nous dégradant, en éteignant dans une grande ame ce feu qui la dévore, ce feu, signe certain à ses yeux qu'elle n'est pas de ce monde, qu'elle est au-dessus, qu'elle appartient à une région bien supérieure? Quel homme un peu sensible n'en a pas senti les prodigieux effets? Quel homme en contemplant, par exemple dans une belle nuit ce ciel parsemé d'étoiles brillantes, éclairé par le globe majestueux de la lune, ne s'élève pas, malgré lui à la connoissance de son auteur ne jouit pas délicieusement de ce spectacle du bienfait de son maître, de lui-même, de sa jouissance même. Peut-on décrire ces momens qui passent avec tant de rapidité ? On est heureux on est grand; on est hors de soi. Voilà ce qu'on sent, ce qu'on sait. Le reste est intraductible. Il n'y a pas de langue capable de vous faire entendre.

Je lis; je dévore le morceau si touchant d'Eliza Draper dans l'histoire de l'abbé Raynal. Il me semble que je m'élève, que je m'indigne avec Helvétius quand je le vois décrire les effets affreux du despotisme. Mon Tacite à la main, lisant la scène attendrissante de la mort de Seneque ou celle de Thrasea, je crois le voir, il me semble appercevoir ce philosophe cynique dissertant avec force sur l'immortalité, Thrasea l'écoutant avec intérêt, le jeune Rusticus, la larme à l'œil, le feu dans l'ame, voulant arrêter ce grand homme prêt de verser tout son sang, je le vois qui coule, Thrasea d'un œil fixe, inébranlable, semble défier la mort ou plutôt l'embrasser avec joie car la vie est un supplice sous un tyran et la mort est un bienfait. . . . Je pleure, je m'embrase, un plaisir secrèt m'attache à cette scène sanglante, elle me déchire, et je ne puis la quitter. O Helvétius, philosophe dont le génie subtil étoit si

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propre à dévoiler le mystère de grandeur, réponds moi; y a-t-il

l'ame et à sentir sa dans cet intéret que

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je prends, rien de mortel, rien de grossier? Me sentirois. je si content de moi-même, si constamment bien si les sens y étoient pour quelque chose ? Hélas, tu le sais; les plaisirs qu'ils donnent sont d'un moment et jamais purs. L'œil ose à peine s'y reposer, il se ferme, et l'on n'a pas assez d'yeux pour contempler une grande

ame.

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Vois ce missionnaire, ce Xavier étendu, mourant dans une cabane, sur les bords des mers du Japon. Il lance encore des regards enflammés du côté de la Chine. Il ne se plaint, en finissant ses jours, que de n'avoir pu porter la prédication dans cette contrée, de n'avoir pu la teindre de son sang. Voilà son desir, son regret. Ne discutons point la vérité de ses opinions voyons le fait. Xavier croit ces peuples dans l'erreur il les voit sur les bords de l'abyme et pour les ca tirer, il sacrifie fortune, plaisirs, estime, gloire, sa vie même ; encore une fois les sens, ont-ils quelque part à cet héroïsme? Non. Je reconnois là le sceau d'un être bien supérieur ; d'un être qui peut s'égarer; mais dont la nature n'en est pas moins sublime.

Eh! Vaudroit il la peine, je ne dis pas de travailler de sacrifier ses veilles, son repos, sa santé, mais la peine de vivre, si le plaisir des sens étoit notre unique but à tous en dernière analyse.

,

Ce n'est pas sans doute un bonheur d'exister mais ce seroit un très-grand malheur si l'homme en étoit réduit à ce point. - Eh! qui dédommagera donc l'amant malheureux qui perd tout ce qu'il aime, si son image ne lui reste pas pour alimenter sa douleur ? qui dédom magera le talent oublié dans l'indigence, si la gloire n'est que le prête-nom du plaisir qui le fuit ? qui dédommagera le génie persécuté, l'homme vertueux, calomnié, si la conscience de son mérite et de sa vertu n'est qu'une

illusion,

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illusion, ou plutôt une abstraction de plaisir grossier qu'il a toujours dédaignés ? Esclaves des sens, comme votre sphère est bornée; comme vos facultés sont bientôt épuisées, comme votre néant est visible! Pour moi, la nature parle toujours, tous les objets ont un langage, je les entends tous et ne suis jamais las de les entendre. - Obscurité de la nuit si triste pour un œil ordinaire, que tu es belle à mes yeux ! comme ton silence est éloquent! Cette cloche dont les sons aigus l'interrompent m'avertit de la rapidité du tems et du bonheur de penser. Eh! cette lampe dont la foible lueur rend à peine visible l'obscurité Ses reflets languissans conviennent si bien à l'état de mon ame. Un trop vif éclat de lumière l'arrachent à cette méditation douce où elle est plongée. Voilà comme l'ame attentive sur ellemême jouit de tout à chaque instant, chaque minute, chaque seconde, les sens se reposent, l'ame ne connoît pas de repos, et l'on voudroit faire des sens l'unique source de nos plaisirs moraux, intellectuels? Ne sommesnous donc pas assez misérables, sans calomnier encore la partie la plus pure et la plus belle de notre inexplicable existence?

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r. Partie. 2. Partie.

3. Partie.

§ I V.

Les Francs-Cosmopolites.

PAR N. BONNEVILLE.

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Le Réveil de Jean Racine.

La Fête du vaisseau des Anciens Francs,
Les Trois grands jours.

(Les deux premières parties ont été imprimées dans la Chronique du Mois (juin) pages 73 et 79. Quand nous aurons publié successivement les divers essais de ce petit poëme fédératif, nous donnerons de plus amples déve

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loppemens à la note insérée dans la livraison de juin page 73

Du caractère des personnages qui ont préparé et consommé les trois grands jours de l'année 1789.

On a voulu peindre dans l'histoire des immortels travaux des 12, 13 et 14 juillet, ces hommes généreux qui leurs veilles et leur entier dévouement, ont concouru par à préparer la plus belle révolution de nos tems modernes : on a voulu peindre ces ardens propagateurs de la déclaration des droits de l'homme, dont tant de milliers d'individus sont intimément persuadés qu'ils ont eu la plus grande part à l'établissement de la liberté publique : ce qui prouve seulement qu'ils se sont tous également dévoués, sans réserve, corps et biens, et qu'ils ont dit tous comme le Tribun du Peuple, qui a tenu parole:

Certes, je ne fléchirai point avec ceux qui fléchissent; je ne serai point vaincu par ceux qui veulent être vaincus. Je ferai, j'oserai, je supporterai tout; je ne cesserai jamais de repousser de nos murs la tyrannie. Si la fortune fait son devoir, nous serons tous dans la joie. J'aurai dumoins rempli le mien, et j'aurai encore à me réjouir. Pouvois-je mieux employer toutes mes forces, tout mon courage et toute ma vie, qu'à chercher tous les moyens, en mon pouvoir, de rendre à ma patrie la liberté (1) ».

(1) Voyez lettre 7 du Tribun du Peuple à Necker. Il est bien vrai que Mirabeau vendit chez lui à Versailles la première édition du Tribun du Peuple, mais il est vrai aussi qu'il n'a pas écrit une ligne de ce Tribun du Peuple qui proposa long-tems avant lui de licentier l'armée. et d'autres idées utiles qu'on prend un singulier plaisir à attribuer à Mirabeau parce qu'il est mort sans doute. Pour moi j'aime à dire ici que le véritable auteur de sa belle adresse pour le renvoi des troupes, N. Dumont est aujourd'hui en Angleterre, précepteur des enfans de N. Stanhope, et que l'évêque Lamourette, aujourd'hui député, est l'auteur de son discours sur le clergé ouvrages où Mirabeau n'a pas changé une virgule!

Du costume des Francs-Cosmopolites.

Des hommes éclairés, chargés de l'instruction de la jeunesse, ou qui savent rougir du costume secret de certaines sociétés, encore fraternelles, malgré les cordons-bleus, et les autels, et les poignards que des hypocrites ont trouvé l'art jésuitique d'y introduire, pourroient, ce nous semble, à la faveur de ces essais patriotiques, commencer peu à peu à rétablir une partie de la simplicité du costume des Hommes-Libres, et même en former un nouveau; chose très-importante pour la santé, pour la liberté, pour la propagation et l'entretien des bons principes; car on sait avec quelle avidité tous les peuples imitent les modes qui leur viennent de France: mettez-donc le civisme, la franchise, LE CULTE DE LA LOI, et des vêtemens sains à la mode. Cette mode là vaudra bien les perruques larges, les grands paniers de la cour, ces cravates prodigieusement ridicules, et ces énormes boucles en aîles d'oison qui font le tour de la tête de vos damoiseaux !

Des engagemens sévères, que j'ai contractés en consultant beaucoup plus mon zèle que mes forces, m'empêchent de me livrer en ce moment à des réflexions que je crois utiles. Je reviendrai un jour, je l'espère, sur cet objet d'un grand intérêt. Passons rapidement à la troisième partie des Francs-Cosmopolites.

Les trois grands Jours.

§. 1. LE DOUZE.

Tous les hommes vénérables d'entre les Francs-Cosmopolites sont assemblés le 12, vers le minuit, dans la Maison-Sociale. Ils avoient à célébrer, par d'augustes initiations, ou commencemens révolutionnaires, la fête à jamais mémorable des anciens Francs : un de leurs amis arrive l'œil en feu. Cet homme vénérable s'écrie:

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