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aucuns établissements humains ne survivraient dès lors à vos décrets.

Non, messieurs, ce n'est pas un pareil principe qui dirigera la conduite des législateurs de la nation française; ils adopteront une autre marche bien plus digne de leur sagesse; ils se diront que l'on ne doit pas abattre un arbre qui a porté, qui porte encore, et peut porter longtemps d'excellents fruits; ils ne feront pas à leur siècle l'injure d'adopter un système de destruction, système qui annonce toujours la disette de moyens, de préférence à celui d'une réforme salutaire et bien combinée, qui est le fruit du génie.

Votre Comité, en réduisant, pour l'avenir, les religieux à des voeux simples, sur lesquels nul gouvernement humain ne peut avoir d'influence ni d'action, ne veut accorder encore qu'aux établissements qui se rendent utiles à la société, par le soin des malades, l'éducation publique ou la culture des lettres de se perpétuer en recevant des novices. J'avoue qu'un décret qui semblerait proscrire toute société d'hommes consacrés à la prière et à la pratique sublime des conseils évangéliques me paraîtrait bien contraire aux principes de notre religion, comme si, d'après le cri d'une philosophie antichrétienne, l'on était véritablement inutile, quand on se consume en vœux et en supplications pour la prospérité de l'État, et pour attirer sur ceux qui le gouvernent les grâces du ciel; comme si, en imitant la vie cachée du rédempteur des hommes, et s'unissant à lui, pour obtenir par lui tout ce qui est utile à la République, on ne remplissait pas sa tâche de la manière la plus intéressante, pour le bien public; comme si, en se rendant digne des complaisances du

ciel, on devait être en horreur aux habitants de la

terre.

:

Je blâmerai, sans doute, et je détesterai toujours, autant et plus qu'un autre, l'inertie réelle des religieux qui s'y livreraient mais je n'appellerai jamais inertie, ni oisiveté, l'habitude édifiante et sainte de la méditation et de la prière; je regarderais même, à travers tous les préjugés du siècle et tous les sarcasmes qu'une pareille opinion peut attirer, ce genre de vie, comme le plus propre à procurer le vrai bien de l'État, parce qu'il faut ou renoncer à la foi catholique, ou reconnaître la vertu et l'efficacité des prières pour le bien public: c'est un des articles de notre croyance.

Enfin, messieurs, j'ai pensé qu'on pouvait se prêter à la sortie des religieux qui gémissent sous le joug de la discipline monastique, mais uniquement par le motif de conserver et de perpétuer, dans la plus grande régularité, les ordres religieux, en détruisant le plus grand des obstacles à cette heureuse régénération, c'est-à-dire en ôtant le funeste levain de corruption que les sujets sans principe y perpétueraient; mais, je l'ai déjà dit, je ne croirai jamais qu'il soit permis de les autoriser à cette démarche, que de concert avec la puissance spirituelle.

Je sais, messieurs, que l'on m'a imputé un avis dont j'ai toujours été très éloigné, et j'ai un grand intérêt à rétablir, en ma faveur, une opinion tout à fait opposée à celle qu'on a essayé de répandre sur ma façon de penser.

L'on a dit que j'avais manifesté le désir de voir les fidèles et respectables religieux, qui resteraient dans leur état, réduits à la médiocre dotation qui vous a été pro

posée. Je déclare, messieurs, que j'ai pensé, au contraire, que je pense encore et penserai toujours que le sort qu'on vous a proposé de fixer pour eux est absolument insuffisant; qu'il doit répugner à votre cœur, ainsi qu'à votre justice, de traiter ainsi au moins ceux qui ont des droits plus particuliers dont vous avez déclaré avoir la disposition. Je dis que l'on ne doit à ceux qui sortiront de leurs cloîtres que la subsistance la plus étroite, et qu'il est du plus grand intérêt de les forcer à chercher les moyens de se rendre utiles, parce que c'est le seul de les rendre bons. Je dis que la fixation de huit cents livres me paraît absolument insuffisante pour les premiers; je ne me permets pas de prononcer sur [le] sort des autres. Je dis que l'on doit considérer, d'une manière particulière, l'âge, les infirmités et le genre de travaux dans toutes les sociétés qui seront conservées, et toujours supposer qu'il y aura des besoins plus pressants sous ces différents rapports. Je dis, enfin, qu'il faut de quoi fournir, avec décence, au culte, et qu'il est impossible qu'avec la somme déterminée l'on puisse remplir cet objet.

Je conclus donc, messieurs, et voici le décret que je propose:

L'Assemblée nationale a décrété et décrète: 1o qu'il n'y aura aucun ordre religieux de supprimé, à moins qu'il ne s'en trouve qui soient tellement réduits par le nombre, qu'ils ne puissent plus former une conventualité régulière; mais que, dans la vue de rendre à ces corps la considération et le respect dont ils sont si dignes par leur institution et par leur objet, ainsi que par les vertus d'un grand nombre de leurs membres, il sera permis à tous ceux qui éprouvent dans ce saint état un dégoût

qu'ils ne croient pas pouvoir surmonter, et qui nuirait essentiellement à la tranquillité, à la régularité et au bonheur des autres, de le quitter, mais seulement aux conditions qui seront énoncées dans les articles suivants.

2o Les religieux qui voudront quitter leur cloître. seront tenus de déclarer leur dessein par devant les officiers municipaux ou les juges des lieux où se trouvent situés leurs monastères, ou de la ville la plus voisine; mais ils ne pourront profiter de la permission qu'après y avoir été autorisés par la puissance spirituelle, et l'Assemblée nationale la protégera à cet effet.

3o Outre ce qui est prescrit par l'article ci-dessus, lesdits religieux feront inscrire leurs noms et surnoms et exhiberont leurs lettres d'ordre, s'ils y ont été promus, au secrétariat des évêchés, des diocèses où ils voudront se retirer, et ils déclareront dans quelle paroisse ils se proposent de résider. Ces conditions remplies, ils pourront y vivre en habit ecclésiastique séculier, sous la juridiction des évêques, et ils seront soumis à la discipline du diocèse.

4o Ils pourront être employés dans les fonctions du ministère ecclésiastique, même en qualité de vicaires, lorsqu'ils en seront jugés dignes et capables, et ils seront de plus susceptibles de bénéfices séculiers, avec ou sans charge d'âmes.

5o Il leur sera fixé une pension convenable pour pourvoir à leurs besoins, dès qu'il aura été possible de combiner les moyens dont l'Assemblée nationale aura la disposition. Dans le cas où ils seront employés comme vicaires, ils la conserveront en entier; quand ils seront pourvus d'un bénéfice-cure, ou d'un autre dont le

revenu ne surpassera pas 1.200 livres, ils en conserveront la moitié.

6o Les religieux fidèles à leur vocation, qui voudront continuer de vivre sous leur règle, seront sous la protection spéciale de la nation, et ils auront toute liberté de remplir les devoirs auxquels ils se sont voués.

7o Les communautés de différents ordres qui subsisteront seront au moins composées de quinze religieux, sans y comprendre le supérieur, et elles continueront à être gouvernées par le régime qui leur est respectivement propre et particulier; elles auront des maisons de noviciat, comme par le passé, et il sera permis d'y prononcer des vœux solennels, qui auront les mêmes effets qu'ils ont eus jusqu'ici, après les épreuves prescrites.

8° La mendicité sera interdite à tous les religieux; et il sera pourvu à la dotation convenable des monastères qui y ont été assujettis jusqu'à ce jour.

9° Quant aux monastères qui ont des revenus, il sera pris des moyens pour que chacune des maisons qui subsisteront soient dotées de manière à ce qu'il y règne une honnête aisance; et, pour cet effet, on prendra sur celles qui auront du superflu pour donner le suffisant aux autres, et, tant pour celles-ci que pour celles mentionnées en l'article 7 ci-dessus, on observera que chacune ait de quoi remplir, avec décence et dignité, ce qui a rapport au culte divin.

(Une partie de la salle demande l'impression de ce discours; une autre s'y oppose) (1).

(1) Nous reprenons ici le compte rendu du Moniteur.

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