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et des abus que le temps amène toujours à sa suite. Les ecclésiastiques en ont éprouvé la fatale influence comme les autres citoyens.

La répartition vicieuse de leurs revenus, l'organisation non moins vicieuse de plusieurs établissements, la négligence malheureusement si commune dans le choix des titulaires, les prétentions excessives de quelques ministres du culte, ont depuis longtemps excité de justes réclamations, et la nation attend avec impatience l'heureux instant où le mérite sera le seul titre pour parvenir, où les salaires se trouveront en proportion avec le service, où des règlements sages élèveront des bornes immuables entre les deux juridictions et préviendront pour toujours ces débats scandaleux qui, tant de fois, ont fait gémir la raison et désolé notre patrie.

Votre Comité se propose de nous présenter successivement ses réflexions et ses vues sur ces importants objets; mais il a cru entrer dans vos intentions en fixant vos premiers regards sur l'état actuel de cette partie nombreuse du clergé qui se glorifie de devoir sa première existence à l'amour de la perfection, dont les annales présentent tant de personnages illustres et vertueux, et qui compte de si grands services rendus à la religion, à l'agriculture et aux lettres je parle du clergé régulier.

Tel est le sort de toutes les institutions humaines, qu'elles portent toujours avec elles le germe de leur destruction.

Les campagnes, fécondées par de laborieux solitaires, ont vu s'élever dans leur sein de vastes cités dont le

commerce a insensiblement altéré l'esprit de leurs fondateurs.

L'humilité et le détachement des choses terrestres ont presque partout dégénéré en une habitude de paresse et d'oisiveté qui rendent actuellement onéreux des établissements fort édifiants dans leur principe.

Partout a pénétré l'esprit de tiédeur et de relâchement, qui finit par tout corrompre; la vénération des peuples pour ses institutions s'est donc convertie, pour ne rien dire de plus, en un sentiment de froideur et d'indifférence; l'opinion publique, fortement prononcée, a produit le dégoût dans le cloître, et les soupirs de pieux cénobites, embrasés de l'amour divin, n'y sont que très souvent étouffés par les gémissements de religieux qui regrettent une liberté dont aucune jouissance ne compense aujourd'hui la perte.

Le moment de la réforme est donc arrivé, car il doit toujours suivre celui où des établissements cessent d'être utiles.

Mais en cessant de protéger des liens qui blessent plusieurs individus, doit-on rompre la chaîne de tous ? En venant au secours du religieux fatigué de son état, ne devez-vous pas protéger celui qui désire d'y vivre encore ?

Votre Comité a pensé, messieurs, que vous donnerez un grand exemple de sagesse et de justice, lorsque, dans le même instant où vous vous abstiendrez d'employer l'autorité civile pour maintenir l'effet extérieur des vœux, vous conserverez cependant les asiles du cloître aux religieux jaloux de mourir sous leur règle.

C'est pour remplir ce double objet que nous vous proposerons de laisser à tous les religieux une liberté entière de quitter leur cloître ou de s'y ensevelir.

En leur permettant de rentrer dans le monde, vous n'aurez encore rien fait pour eux, si vous ne leur assuriez pas en même temps le moyen d'y subsister: morts à la société, les religieux n'ont plus de propriétés, plus de succession à réclamer ou à attendre; vous ne pourriez leur donner une seconde vie sans porter l'alarme et le trouble dans toutes les familles ; ils ne peuvent donc subsister que par vos secours. Votre Comité vous proposera à cet égard les mesures qui lui ont paru les plus sages.

Vous sentez, messieurs, que les circonstance fâcheuses qui nous environnent ne permettent d'assurer aux religieux qui sortiront du cloître que le simple nécessaire; le vœu dont ils sont liés ne leur permet pas d'exiger davantage; mais le nécessaire est le même pour tous, et nous avons cru en conséquence ne devoir faire aucune distinction entre les religieux de différents ordres ; ils ont tous un droit égal à leur subsistance. La différence de l'âge a dû seule nous frapper, parce qu'elle en peut entraîner une dans les besoins.

Cependant, les abbés réguliers ne pourraient-ils pas être distingués des simples religieux? Ils ont une administration, une juridiction, une prélature; et ces motifs déterminent votre Comité à vous proposer pour eux une pension un peu plus forte; ils ne sont pas en assez grand nombre pour que cette extension devienne jamais oné

reuse.

Quant aux religieux qui resteront dans le cloître, ils ne s'y déterminent que par un amour louable, un vif amour de la règle qu'ils ont embrassée : il est juste d'entrer dans leur esprit; et c'est pour favoriser leurs pieuses intentions que le Comité vous propose de les réunir en

nombre suffisant pour garantir une exacte observation de cette règle qu'ils chérissent, et de les fixer de préférence dans les campagnes ou dans les petites villes, afin de les rappeler, autant qu'il sera possible, à leur première institution.

Si des considérations d'un intérêt temporel pouvaient influer sur vos décrets, votre Comité vous observerait que ce nouvel ordre de choses sera utile sous un double rapport: la présence des religieux vivifiera les campagnes qu'ils habiteront, et vous acquerrez d'ailleurs la libre disposition de leurs terrains situés dans les capitales; ressource immense, ressource bien précieuse dans notre position critique.

Quand nous vous proposons de fixer de préférence les religieux à la campagne ou dans les petites villes, nous ne prétendons pas cependant les exclure absolument des villes plus considérables; les maisons qui offriraient de se vouer au soulagement des malades, celles que vous jugeriez dignes de présider à l'éducation publique, ou qui vous paraîtraient utiles au progrès des sciences, mériteront toujours de la faveur, surtout dans les lieux où on manque de pareils établissements.

Sans doute, messieurs, vous ne refuserez pas à ces maisons, ainsi conservées par des motifs d'utilité publique, le droit et le moyen de se régénérer; mais dans le moment où les regards se tournent vers la liberté, nous sommes loin de vous proposer d'admettre une perpétuité de vœux que l'inconstance des esprits et l'instabilité des choses ne sauraient comporter.

Vous croirez sans peine, Messieurs, qu'en nous occupant du sort des religieux, nous n'avons pas oublié

d'autres victimes que la faiblesse de leur sexe rend encore plus intéressantes. Elles sont dignes, en effet, de toute votre protection; et votre cœur qui, jusqu'à ce jour, a répondu à toutes les plaintes qu'on vous a adressées, ne sera pas froid et insensible pour elles seules; mais leurs besoins, leurs occupations, leurs goûts, leurs habitudes sont si différents des goûts, des besoins, des habitudes et des occupations de notre sexe, qu'elles méritent un règlement particulier, dont votre Comité s'occupe, et qui sera l'objet d'un autre rapport.

Il ne reste actuellement qu'à vous parler de la dotation des maisons qui seront conservées; votre Comité a pensé que le moment était venu d'attaquer la répartition trop inégale des revenus ecclésiastiques, et qu'il fallait fixer à chaque maison le même revenu, à raison d'une somme déterminée pour chaque religieux qui l'habitera. Ainsi disparaîtra ce révoltant contraste, qui offre quelques ordres environnés de tout le faste de l'opulence, et qui voue les autres à la honte de la mendicité que vous aurez la gloire de détruire.

Il a paru aussi à votre Comité également prudent et économique de charger chaque maison de tous les frais. relatifs au culte et des réparations de ses bâtiments. C'est en considération de cette double obligation que nous croyons devoir vous proposer d'assurer aux maisons conservées huit cents livres pour chaque religieux.

Mais comment leur fournirez-vous ce revenu? Leur assignerez-vous des fonds? Les paierez-vous en argent ? Cette question très importante se trouve intimement liée à celle de l'administration future de tous les biens du clergé

vous n'avez pas encore décidé, messieurs, si

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