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grande considération, et que, depuis l'habitant de la cité jusqu'à l'habitant du désert, vous entendez que tous soient ou témoins ou participants de la régénération de cet empire.

Convaincu comme vous, messieurs, des besoins actuels de l'Etat, je voudrais pouvoir être admis à faire, comme tant de généreux citoyens, un don volontaire à la nation; je le rendrais, messieurs, digne de votre attente, en le laissant régler par les sentiments patriotiques dont je suis animé, et je sens que je ne pourrais être satisfait qu'en offrant tout, et en donnant tout sans réserve je n'ai jamais été dans d'autres dispositions; mais dirigé aujourd'hui et gouverné par vos décrets du mois dernier, relatifs aux biens du clergé, je ne puis, messieurs, vous montrer mon zèle autrement qu'en adhérant pleinement, sincèrement, d'esprit et de cœur à la sagesse de vos arrêtés, vous déclarant que je suis prêt à en suivre toutes les dispositions.

Je puis, messieurs, dès à présent satisfaire à celle qui concerne l'argenterie. Après avoir laissé dans l'église de la Chartreuse que je préside tout ce qui est nécessaire pour la décence du culte, j'ai à présenter et à délivrer à la nation 150 marcs d'argent en différentes pièces dont je fournis l'état, et qui arriveront incessamment à l'hôtel des monnaies.

Pour ce qui tient à l'exécution du décret qui regarde la déclaration des biens mobiliers et immobiliers, je supplie l'auguste Assemblée de m'accorder un délai suffisant pour y satisfaire d'une manière convenable.

Qu'il me soit aussi permis, messieurs, de vous observer, en ce moment, que vos décrets du mois dernier ont

occasionné les plus vives inquiétudes, dans la plupart de nos maisons, aux religieux qui ne les conçoivent pas assez bien. Ils n'y aperçoivent que la perte de leurs biens, de leurs maisons, de leur état; ils s'agitent d'une manière étrange, parce qu'ils ne voient rien de réglé ni pour leur sort futur, ni pour leur subsistance.

Quelques-uns, différemment affectés, inquiets sous d'autres rapports et ennuyés de leur condition, qu'ils regardent comme un état de captivité, s'affligent et s'irritent de la lenteur qu'on met à opérer leur délivrance. Peu soucieux de la tranquillité de leurs confrères, ils soufflent le feu de la discorde, et entretiennent dans les esprits une fermentation qui scandalise et fait cesser l'harmonie qui doit régner dans une société religieuse.

Il est peut-être, messieurs, de votre sagesse et d'une heureuse prévoyance de rassurer ceux qui aiment leur état, et que votre plan pourrait avoir alarmés, et de ne pas trop éloigner les espérances de ceux que le dégoût a surpris.

Il vous serait facile, messieurs, sans rien changer à vos décrets, de procurer aux deux partis le soulagement qui convient à leur mal; il suffirait de décréter qu'en attendant que l'Assemblée nationale puisse s'occuper en définitif de la conservation ou de la suppression ou réduction des ordres réguliers de l'un et de l'autre sexe, les religieux qui se plaisent dans leur état demeureront, avec toute assurance de protection, dans les maisons où ils sont actuellement, ou celles qui leur seront désignées, pour y vivre selon leur règle, soit avec la pension honnête qui serait assignée à chacun d'eux, soit avec les biens dont on leur laisserait la jouissance.

A l'égard de ceux qui, par faiblesse de tempérament, dégoût ou autre cause, ne voudront plus ou ne pourront suivre leur règle et vivre en commun, leur permettre de s'adresser à la puissance ecclésiastique pour se faire séculariser, le tout aux frais de leurs maisons de profession, ainsi que la pension qui serait fixée et déterminée par l'Assemblée.

Et pour que les choses se fassent avec plus de décence et moins d'irrégularité, arrêter que ceux qui seront dans cette intention, la manifesteront dans le mois aux supérieurs majeurs, qui leur assigneront une ou plusieurs maisons, selon le nombre, où ils seront tenus de se rendre pour attendre le bref de leur sécularisation.

D'après ce que je viens d'avoir l'honneur de vous observer, messieurs, j'ai celui de vous proposer de déclarer et de décréter de la manière suivante :

ARTICLE PREMIER. L'Assemblée nationale déclare que, lorsqu'elle s'occupera du sort des individus qui composent les ordres réguliers de l'un et l'autre sexe, elle assurera à chacun d'eux une existence honnête, en raison de leur état actuel; qu'il sera désigné un nombre suffisant de maisons de chaque ordre à ceux qui voudront vivre en commun, suivant leur règle, avec une pension déterminée d'après leurs revenus, et en outre la jouissance de la maison, jardin et espace convenable pour un clos.

2. Décrète en outre que ceux qui ne voudront plus suivre la règle qu'ils ont embrassée sont dès à présent autorisés à s'adresser à la puissance ecclésiastique pour se faire séculariser et vivre dans la société, au moyen d'une pension qui sera réglée par l'Assemblée, payable par les maisons professes, tant qu'elles jouiront de

leurs biens, et par la nation, quand elles n'en jouiront plus;

3. Que ceux qui voudront rentrer dans la société manifesteront dans un mois, à compter du jour de la notification, leur intention aux supérieurs majeurs, et seront tenus de se rendre dans la maison qui, par eux, leur sera indiquée, pour y attendre le bref de leur sécularisation.

RÉPONSE DE M. LE PRÉSIDENT

L'Assemblée reconnaît, dans les offres que vous lui présentez, les sentiments généreux d'un ordre qui a toujours pratiqué avec tant de ferveur les vertus de son état et qui a appris, dans la méditation des vérités éternelles, que la plus saine philosophie est celle qui se concilie avec la morale patriotique que prêche la religion de l'empire.

[Voici comment le procès-verbal de la séance du 12 décembre 1792 au soir rend compte du débat qui suivit la motion de dom Gerle :]

Il a été observé que l'Assemblée avait décrété de ne jamais délibérer définitivement, le soir, sur des objets d'intérêt général.

Un autre membre a remarqué que l'objet était instant même pour les religieux, et a proposé de renvoyer l'affaire au Comité ecclésiastique.

On a observé que ce Comité était prêt à faire un rapport, et on a demandé que l'Assemblée assignât un jour fixe pour l'entendre. Il a été décidé qu'on attendrait que le Comité demandât lui-même la parole.

IV

Rapport de Treilhard, au nom du Comité ecclésiastique, sur les ordres religieux

Assemblée nationale constituante, séance du 17 décembre 1789.

[Par décrets des 12, 13 et 20 août 1789, l'Assemblée constituante avait formé un Comité « pour préparer le travail des affaires du clergé » ou « Comité ecclésiastique », composé de 15 membres, à savoir : Lanjuinais, d'Ormesson, abbé Grandin, Martineau, abbé de La Lande, prince de Robecq, Sallé de Chou, Treilhard, Le Grand, abbé Vaneau, Durand de Maillane, de Bonal (évêque de Clermont), Despatys de Courteille, de Mercy (évêque de Luçon), marquis de Bouthillier (1). Ce Comité examina la question des ordres religieux et fit son rapport sur cet objet, par l'organe de Treilhard, dans la séance du 17 décembre 1789. L'Assemblée ordonna l'impression de ce rapport, et c'est d'après cet imprimé officiel (Bibl. nat., Le 29/387, in-8°, et Arch. nat., AD XVIIIc 35) que nous le reproduisons.]

Messieurs,

La régénération que vous êtes appelés à consommer, doit embrasser toutes les parties de ce vaste empire, parce qu'il n'en est aucune qui se soit préservée du relâchement

(1) Par décret du 7 février 1790, la Constituante ajouta au Comité ecclésiastique 15 autres membres, à savoir: le chartreux dom Gerle, Dionis du Séjour, abbé de Montesquiou, Guillaume, marquis de la Coste, Dupont (de Nemours), abbé Massieu, abbé Expilly, Chasset, abbé Gassendi, Boislandry, Defermon, le bénédictin dom Le Breton, Lapoule, abbé Thibault.

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