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accepta cet amendement. Puis, plus radical que Gaudin, il demanda (tout comme Lagrèvol, mais d'un autre ton) la suppression des congrégations hospitalières ellesmêmes « Pourquoi, dit-il, ne pas dissoudre, une fois pour toutes, jusqu'à la dernière de ces corporations, incompatibles avec une Constitution libre? Faisons disparaître, il en est temps, tout ce qui nous en reste, de quelque utilité qu'elles soient dans l'empire; mais consolons-les par nos regrets, et qu'en supprimant les dernières le Corps législatif fasse connaître à la nation tout ce qu'il lui en a coûté de se résoudre à ce sacrifice. »

Le Comité n'a pas été assez net sur la question du costume ecclésiastique. Torné veut qu'on l'interdise absolument, non seulement aux ex-congréganistes, mais aux ecclésiastiques séculiers, qui ne pourront revêtir le leur que dans l'intérieur du temple. Déjà, dans son propre diocèse, ses vicaires généraux ont donné l'exemple de se vêtir en citoyens. La robe des moines, la soutane des prêtres sont des costumes inciviques: Torné y voit les signes factieux d'une religion dominante.

L'Assemblée applaudit beaucoup à ces paroles; elle vota à la presque unanimité le préambule proposé par Torné.

Puis on discuta l'article sur les costumes, ainsi conçu : << Les costumes ecclésiastiques, religieux et des congrégations séculières, sont abolis et prohibés pour l'un et l'autre sexe; cependant les ministres de tous les cultes pourront conserver le leur pendant l'exercice de leurs fonctions, dans l'arrondissement où ils exercent. » En vain Becquey objecta qu'on allait accuser l'Assemblée de vouloir détruire la religion; en vain le général Aubert Du

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bayet proposa qu'on permît aux religieuses de garder leur costume dans l'intérieur du couvent (on a vu que les couvents ne furent supprimés que le 4 août 1792). L'abbé Mulot répondit à Becquey que le costume ecclésiastique était devenu « l'uniforme contre-révolutionnaire », et à Aubert Dubayet : « Il n'établit sa sensibilité et son raisonnement que sur l'erreur des religieuses. Le meilleur moyen, selon moi, c'est d'ôter le voile qui leur couvre les yeux. (On rit et on applaudit.) » L'article prohibant les costumes ecclésiastiques fut adopté à la presque unanimité aussitôt l'évêque Fauchet mit sa calotte dans sa poche, et l'évêque Gay-Vernon déposa sa croix d'or sur le bureau.

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Le 28 avril, Torné demanda qu'on profitât de l'occasion pour décréter, plus solennellement que ne l'avait fait la Constituante, l'abolition de la corporation générale du clergé. Tardiveau, Lemontey, Couthon s'opposèrent à ce qu'on remît ainsi en question des destructions depuis longtemps faites. Alors Torné combattit l'amendement qui supprimait les pénitents et les pénitentes. Ducos, au contraire, soutint l'amendement, qui fut voté, ainsi que tout l'article premier. La discussion se prolongea, sur les autres articles, jusqu'après la chute du roi, et c'est seulement le 18 août 1792 que l'ensemble du décret fut voté.

Ce décret, dans une énumération trop instructive pour que nous ne la reproduisions pas, déclarait éteintes et supprimées à dater de ce jour « les corporations connues en France sous le nom de congrégations séculières ecclésiastiques telles que celles des prêtres de l'Oratoire de Jésus, de la Doctrine chrétienne, de la Mission de France

ou de Saint-Lazare, des Eudistes, de Saint-Joseph, de Saint-Sulpice, de Saint-Nicolas du Chardonnet, du Saint-Esprit, des Missions du clergé, des Mulotins du Saint-Sacrement, des Bonics, des Trouillardistes, la congrégation de Provence, les Sociétés de Sorbonne et de Navarre; les congrégations laïques, telles que celles des Frères des Ecoles chrétiennes, des Ermites du Mont-Valérien, des Ermites de Sénard, des Ermites de Saint-JeanBaptiste, de tous les autres frères ermites isolés ou réunis en congrégations, des Frères tailleurs, des Frères cordonniers; les congrégations de Filles, telles que celles de la Sagesse, des Ecoles chrétiennes; des Vathelottes, de l'Union chrétienne, de la Providence, des Filles de la Croix, les Sœurs de Saint-Charles, les Millepoises, les Filles du Bon-Pasteur, les Filles de la Propagation de la Foi, celles de Notre-Dame de la Garde, les Dames Noires, celles de Fourquevaux, et généralement toutes les corporations religieuses et congrégations séculières d'hommes. et de femmes, ecclésiastiques ou laïques, même celles uniquement vouées au service des hôpitaux et au soulagement des malades sous quelque dénomination qu'elles existent en France, soit qu'elles ne comprennent qu'une seule maison, soit qu'elles en comprennent plusieurs, ensemble les familiarités, confréries, les pénitents de toutes couleurs, les pèlerins, et toutes autres associations de piété et de charité ». Cependant il fut décidé que les cidevant religieuses seraient employées dans les hôpitaux, à titre individuel. De même tous les membres des congrégations employés alors dans l'enseignement furent invités à y continuer provisoirement leurs services. Les traitements et pensions accordés aux individus furent fixés

dans le même décret, mais par des règles trop compliquées pour qu'il soit possible d'en donner en quelques mots une analyse claire (1).

VI

Application des décrets de suppression

C'est ainsi que l'Assemblée législative supprima toutes les congrégations, les régulières par le décret du 4 août 1792, les séculières par le décret du 18 août de la même année, en accordant aux individus qui les composaient des pensions viagères.

Il ne semble pas que cette suppression ait causé de troubles. Nous ne voyons point, dans les journaux du temps, qu'il y ait eu aucun tumulte, aucune sédition à l'occasion de l'expulsion des religieux ou des religieuses, à l'occasion de la fermeture des couvents. Nous savons seu

(1) L'Assemblée avait décrété, le 14 août 1792, que toute personne pensionnée par l'Etat serait censée avoir irrévocablement renoncé à sa pension, si elle ne prêtait ce serment: « Je jure d'être fidèle à la nation, et de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir en la défendant. »> Comme beaucoup de prêtres, de moines et de. membres de congrégations religieuses se refusèrent à prêter ce serment, le nombre des pensions ecclésiastiques à payer ne fut pas très considérable pendant la Révolution. Mais, quand le premier Consul eut arrêté (3 prairial an X) que tous les insermentés toucheraient leur pension, pourvu qu'ils se soumissent au Concordat, le chiffre des pensions ecclésiastiques s'éleva à tel point que dans le budget de 1813, par exemple, il figura pour 31 millions.

lement que, dans le Doubs, il fallut employer la force pour disperser quelques-uns des solitaires des Fontenelles, qui refusaient de sortir de leur maison (octobre 1792); mais cet incident, dont la trace ne subsiste que dans un journal local et dans les archives locales (1), ne fit point de bruit et ne causa, semble-t-il, aucune émotion. L'application des décrets des 4 et 18 août 1792 se fit dans toute la France, en quelques mois; les congrégations et associations religieuses de toute sorte, même laïques, se trouvèrent toutes supprimées en fait comme en droit, et, jusqu'au Consulat, on n'en vit reparaître aucune.

(1) M. Sauzay a donné l'article de ce journal, la Vedette, et un récit détaillé avec documents d'archives. (Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, t. III, p. 98.)

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