Page images
PDF
EPUB

90 maisons et de 600 prêtres qu'elle comptait à la fin du dix-septième siècle (1). Mais surtout depuis l'expulsion des Jésuites, depuis que l'Oratoire avait accepté la direction de six de leurs ex-collèges: Lyon, Tournon, Arras, Béthune, Tours, Agen, le nombre des « confrères laïques >> s'était accru, au point qu'en 1790 il y en avait 394. Un esprit laïque s'était introduit dans l'enseignement, si goûté, des Oratoriens. Parmi les confrères, il y avait les futurs conventionnels Fouché et Billaud-Varenne. Parmi les prêtres, il y avait les futurs conventionnels Joseph Le Bon, Daunou, Ichon, Ysabeau. Il semblait que l'Oratoire fût un des foyers de la Révolution.

En 1790, cette apparence d'unité « patriotique » se dissipa brusquement, et l'on vit se former dans l'Oratoire une gauche et une droite. Les confrères laïques et quelques prêtres, parmi lesquels Daunou, voulurent faire élire par tout l'Ordre, c'est-à-dire aussi bien par les laïques que par les prêtres, un comité de quinze membres, qui négocierait avec l'Assemblée nationale le maintien et la réforme de l'Oratoire. Le Régime, ou Conseil supérieur, s'y opposa. Les élections eurent lieu quand même, et ce Comité fut nommé, Daunou en tête. La scission s'aggrava à propos de la Constitution civile et du serment. Sur 36 Oratoriens prêtres qui formaient les trois maisons de l'Oratoire à Paris, trois seulement prêtèrent le serment. On se dit que ce n'était plus là cet Oratoire si patriote. Voilà les Oratoriens dépopularisés, et avec eux ces congrégations séculières qui, à l'instar des régulières, se divisèrent sur la question du serment et parurent prendre

(1) Voir l'Oratoire et la Révolution, par A. M. P. Ingold, 1883, in-8.

partie, en majorité, contre la constitution civile du clergé, et, indirectement, contre la Révolution.

Nous ne savons pas au juste à quelle occasion l'Assemblée constituante se décida à charger son Comité ecclésiastique de lui faire un rapport sur les congrégations séculières. Ce rapport, qui est sans date, mais qui ne peut pas être antérieur à l'année 1791, fut fait par l'évêque constitutionnel Massieu. Il y définit les congrégations séculières « des associations de citoyens ecclésiastiques ou laïques, librement réunis sous un régime commun et une règle particulière », sans vœux solennels ou perpétuels, liés entre eux et avec le corps par des conventions ou institutions en partie civiles et en partie religieuses, qui reposent soit sur des motifs de conscience, soit sur des considérations de justice, d'honneur et de confiance. Sauf les ermites, ces associations sont vouées à l'instruction de la jeunesse, à l'enseignement de la religion, à l'éducation des ministres du culte, au soin des malades indigents. Fonctions touchantes, essentielles au bien public! Mais, dit le rapporteur, est-il nécessaire, pour les remplir, de tenir à une corporation quelconque ? Dans plusieurs de ces corporations, l'esprit de corps a été plus puissant que l'esprit public. Si le plus grand nombre des individus y sont restés patriotes, les chefs, les corps euxmêmes se sont tournés contre la Révolution, ont pactisé avec nos ennemis : En abolissant toutes ces congrégations, on rendra la liberté aux bons citoyens qui s'y trouvent en foule et qui formeront le personnel des « nouveaux établissements d'éducation nationale ».

En conséquence Massieu proposa de supprimer toutes les congrégations séculières d'hommes, y compris celles

des Frères des Écoles chrétiennes, et de réserver la question des congrégations de femmes. Selon leur âge, les membres des congrégations supprimées recevraient, soit une gratification, soit une pension viagère.

L'Assemblée constituante vota l'impression de ce rapport, et elle se sépara sans avoir discuté, mais après avoir décrété (26 septembre 1791) que « tous les corps et établissements d'instruction et d'éducation publiques, existant à présent dans le royaume, continueraient provisoirement d'exister sous leur régime actuel, et suivant les mêmes lois, statuts et règlements qui les gouvernent ».

L'Assemblée législative reprit cette question et en renvoya l'examen à son Comité d'instruction publique. Ce fut un ancien confrère laïque de l'Oratoire, l'abbé Gaudin, député de la Vendée, qui fit le rapport, auquel Carnot et Romme collaborèrent par des amendements (1). Ce rapport fut déposé le 10 février 1792.

Comme Massieu, Gaudin demanda la suppression des congrégations séculières, en proposant d'employer comme individus les membres de celles qui s'étaient distinguées dans l'enseignement, oratoriens, doctrinaires.

Quant aux congrégations chargées d'enseigner la théologie, Lazaristes, Sulpiciens, Eudistes, société de Sorbonne, elles sont « l'asile et le foyer du fanatisme ». « C'est là que les jeunes gens vont encore le puiser comme à sa source; ils prennent dans cet enseignement clandestin les directions nécessaires pour l'aller répandre ensuite dans toutes les classes de la société ».

(1) Voir J. Guillaume, le Comité d'instruction publique de l'Assemblée législative, passim.

Gaudin s'indigne contre les prêtres des missions, qui possèdent «< la manipulation du peuple et l'art de l'égarer ». Les missionnaires de Saint-Laurent l'ont bien montré en Vendée. « Plusieurs départements. sont encore occupés à éteindre les feux qu'ils ont allumés et qu'ils attisent sans cesse. » Sous leur direction, les Filles de la Sagesse « n'ont pas cessé de faire circuler le poison du fanatisme jusque dans les dernières ramifications de la société ». Éloge des Sœurs grises; mais le clergé rebelle les a fanatisées aussi : il faut les ramener à leurs fonctions de bienfaisance en les détachant de tous les autres biens. Éloge des Frères des Écoles chrétiennes : « mais cette association, fondée sous les auspices des Jésuites, en eut toujours le fanatisme et l'intolérance »>.

Le rapporteur concluait en disant que c'était une erreur, dont on avait trop abusé, de croire que les corps étaient nécessaires à l'enseignement. « Le despotisme, disait-il, a dû l'accréditer comme un moyen de circonscrire les idées du peuple dans un cercle étroit qu'il voulait tracer; mais elle répugne essentiellement à la constitution d'un peuple libre. Quel esprit public pourrait se former parmi ces institutions partielles qui ont, chacune à part, leurs maximes, et qui empreignent nécessairement de leurs préjugés toutes les idées qu'elles sont chargées de communiquer? Ce qui importe véritablement à la patrie, c'est que l'enseignement public soit en tout d'accord avec la loi, qu'il en inspire l'amour, et en même temps ce sentiment vif de la liberté, qui est tout à la fois le fruit le plus précieux de notre constitution, et l'arme la plus redoutable pour la défendre. »

Suivait un projet de loi, qui supprimait toutes les congrégations séculières, à l'exception des hospitalières. L'Assemblée législative commença à discuter ce projet dans sa séance du 6 avril 1792, après avoir décrété l'urgence. Le Coz, évêque d'Ille-et-Vilaine, demanda le maintien des congrégations enseignantes. Lagrévol s'éleva contre l'exception en faveur des hospitalières. Il dénonça en particulier les filles de Saint-Joseph, ces « charlatanes »; il ne fallait pas, selon lui, laisser « subsister dans les campagnes cette vermine qui les désole »; on devait supprimer << des établissements qui sont devenus le repaire et le refuge impur de tous les prêtres réfractaires ». Albitte demanda qu'en outre on supprimât les pénitents et les pénitentes. Alors Torné, évêque de la métropole du centre, prononça un grand et sensationnel discours, où, après avoir enguirlandé les congrégations séculières, il les sacrifia (1).

Le début du considérant du projet Gaudin était ainsi conçu « L'Assemblée nationale, considérant l'extrême décadence où sont tombées les études dans les congrégations séculières, leur cessation absolue dans quelques établissements, les réclamations de plusieurs villes pour les renouveler, l'impuissance où sont les corps enseignants de pouvoir les rétablir, par conséquence l'inutilité de ces corps, etc. » A ce considérant, l'évêque Torné substitua un préambule où il était dit que les corporations enseignantes avaient bien mérité de la patrie, et l'Assemblée

(1) Nous allons résumer ce discours d'après le compte rendu du Moniteur. Plus loin, dans la seconde partie, nous le donnons d'après le texte développé que Torné fit imprimer.

« PreviousContinue »