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CHAPITRE SECOND

SUPPRESSION DES CONGREGATIONS SÉCULIÈRES

I

Rapport de Massieu à l'Assemblée constituante

[Ce rapport est sans date. Nous n'en connaissons l'existence que par l'imprimé d'après lequel nous le reproduisons (Bibl. nat. Le 27/10, in-8°), et qui est intitulé: Rapport et projet de décret sur les congrégations séculières d'hommes, présenté à l'Assemblée nationale, au nom du Comité ecclésiastique, par J.-B. Massieu, évêque du département de l'Oise, député de celui de Seine-et-Oise (1). A quelle occasion et à quelle époque l'Assemblée avait-elle chargé son Comité ecclésiastique de lui faire un rapport sur les congrégations séculières? Quand en entendit-elle la lecture? Ni le procès-verbal, ni les journaux, ni les papiers du Comité ecclésiastique ne répondent à ces questions. En tout cas, ce rapport

(1) C'est une de ces erreurs comme il s'en glisse souvent jusque dans les documents officiels, à cette époque où l'on n'a pas encore perdu toutes les habitudes de négligence de l'ancien régime. Aucun constituant n'était député d'un département. Massieu avait été député aux États généraux par le clergé du bailliage de Senlis. Mais il était curé de Cergy, et cette commune fit et fait partie du département de Seine-et-Oise.

ne peut être antérieur au mois de février 1790, puisque Massieu y prend le titre d'évêque et que c'est en février 1791 qu'il fut élu à ces fonctions. Il est probable que ce rapport date des derniers temps de l'Assemblée constituante, c'est-à-dire de juillet, d'août ou de septembre 1791. Le fait que l'Assemblée ne le discuta pas est une des raisons qui justifient cette hypothèse.]

Je viens, messieurs, au nom du Comité ecclésiastique, vous proposer les mesures qu'il croit convenable de prendre relativement aux Congrégations séculières.

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des

On désigne sous cette dénomination des associations de citoyens ecclésiastiques ou laïcs, librement réunis sous un régime commun et une règle particulière. Ces citoyens, sans être astreints à des vœux solennels ou perpétuels, ont des supérieurs et des chefs auxquels ils sont soumis dans leur conduite personnelle et dans l'exercice des fonctions qui leur sont confiées des conventions ou institutions, en partie civiles et en partie religieuses, lient les membres entre eux et avec le corps, soit par motifs de conscience, soit par des considérations de justice, d'honneur et de confiance. Toutes ces associations, excepté peut-être celles des ermites, qui vivent du travail de leurs mains dans la solitude, sont appelées par leurs statuts aux fonctions les plus intéressantes de la société, l'instruction de la jeunesse, l'enseignement de la religion, l'éducation des ministres, le soin des malades. indigents. Mais, pour remplir des fonctions aussi touchantes et aussi essentielles au bien public, est-il nécessaire de tenir à une corporation quelconque? Ne voyonsnous pas ces fonctions également bien remplies dans les gouvernements qui ne connaissent point ces sortes d'éta

blissements? Quand on est assez modéré dans ses désirs pour se contenter de la nourriture et dù vêtement, en se rendant utile aux autres, a-t-on besoin de tenir à une riche société dont les biens ne sont la propriété de personne, ou deviennent quelquefois le patrimoine de quelques chefs moins sages ou moins scrupuleux? Pour enseigner la jeunesse, a-t-on besoin d'autre chose que de mœurs et de talents? Pour enseigner la religion et former ses ministres, faut-il un autre esprit que celui de l'Évangile? Pour se consacrer aux soins qui sont dus à l'humanité souffrante, faut-il d'autres motifs que ceux de la charité?

Ce n'est pas qu'en beaucoup de circonstances, et à des époques dont le souvenir n'est pas encore effacé, plusieurs congrégations n'aient dû à l'esprit de corps dont elles étaient animées une juste célébrité, que faisaient jaillir sur elles quelques hommes supérieurs, et un assez grand nombre de gens à talent qu'elles renfermaient dans leur sein. Ce n'est pas que les mœurs, la religion, les sciences, les arts et les lettres n'aient les plus grandes obligations à la plupart de ces corps estimables en plus d'un sens; mais les grands hommes qui les ont honorés n'eussent été ni moins estimables eux-mêmes, ni moins utiles à la société dans les postes isolés de fonctionnaires publics. Perfectionnons ou plutôt établissons l'éducation nationale, multiplions les occasions de se distinguer et les motifs d'émulation, et soyons sûrs que la France ne manquera jamais de talents et de vertus.

Mais si l'esprit de corps les a quelquefois fait naître parmi nous, on ne peut se dissimuler qu'il n'ait été trop souvent le germe des dissensions, des disputes, des que

relles et des scandales dans l'Église et dans l'État. Il n'est plus permis de douter aujourd'hui que la paix et la religion n'aient beaucoup plus perdu que gagné à la diversité d'opinions, ou politiques ou religieuses, qu'a produites dans tous les temps la trop nombreuse multiplicité des corporations. L'expérience du présent se joint à celle du passé pour confirmer ce que nous avançons à cet égard. Des différentes congrégations séculières sur lesquelles vous avez à prendre un parti en ce moment, quelques-unes ont montré que l'esprit public déterminait leurs opinions plus que l'esprit de corps, et ce ne sont pas les moins méritantes aux yeux de la religion et aux yeux de la patrie; d'autres, dirigées par des suggestions et des vues particulières, se sont coalisées avec les ennemis du nouvel ordre de choses, et n'ont rien épargné pour opposer, s'il leur avait été possible, une grande résistance à l'établissement des lois. De simples femmes ont oublié qu'elles ne pouvaient obtenir des bénédictions et des respects de la société qu'en se renfermant dans les fonctions touchantes qu'elles doivent remplir auprès de la jeunesse et des malades.

Hâtons-nous, pourtant, de rendre justice au plus grand nombre des individus, membres de ces sociétés, séparés jusqu'ici de la grande société. Reconnaissons que ces coalitions coupables n'ont été que le fruit des menaces ou des conseils de quelques chefs mal intentionnés ; que la majorité de chaque congrégation est composée de citoyens patriotes, et que vous les trouverez presque tous disposés à continuer comme particuliers, à remplir dans les maisons d'éducation les services qu'ils y ont rendus jusqu'à ce jour, au nom de leurs corporations. Beaucoup, en effet, n'attendent que le moment où vous les ferez

jouir de tous les droits de citoyens pour en afficher hautement les louables sentiments, et en remplir avec fidélité tous les devoirs.

Vous allez trouver une foule d'hommes vertueux et savants, jaloux de se distinguer dans les nouveaux établissements d'éducation nationale.

Mais tous avaient un sort assuré, et rien ne pouvait les en priver qu'une conduite notoirement coupable ou criminelle. Chacun d'eux, il est vrai, pouvait renoncer à cette existence et occuper hors de sa congrégation un poste où il ne dépendit que de son travail et des devoirs de sa place; et vos Comités vous proposeront de compenser les justes prétentions qu'ils ont sur les biens qu'ils vous rendent avec la primitive destination de la plupart de ces biens consacrés à l'utilité publique. Beaucoup de membres des congrégations sont encore dans la vigueur de l'âge et en état de remplir des fonctions publiques; d'autres aussi ont vieilli en servant l'humanité, et ont mérité par de longs et pénibles travaux la retraite de

vétérans.

Il convient donc, en changeant le genre de vie des uns et des autres, de faire en sorte que le passage ne soit pénible pour aucun d'eux, en procurant aux vieillards et aux infirmes une existence au-dessus du besoin; aux autres une récompense des services passés, qui ne soit toutefois qu'un encouragement pour l'avenir.

Quant aux congrégations séculières de femmes, toutes destinées à l'éducation des enfants de leur sexe, et aux soins plus touchants encore des malades indigents, vos Comités ont pensé que ces filles malheureuses, au milieu de la société, ces filles à qui la philosophie de l'Evangile

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