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vait pas douter non plus, objecte un orateur de droite, Cazalez, que la France était une monarchie, et cependant vous l'avez décrété: où serait l'impossibilité ou l'inconvénient de faire pour la religion ce qu'on a fait pour le gouvernement? » L'inconvénient, répliqua Charles de Lameth, est dans l'intention de l'évêque de Nancy, qui veut faire croire que les partisans de la suppression des ordres religieux sont des ennemis de la religion: «< Non! la religion n'a pas plus d'ennemis parmi nous que la royauté. Et quel instant pour rendre notre foi suspecte que celui où nous avons voté des actions de grâce à l'Etre suprême (1)! Ce n'est point par un décret injurieux à la religion elle-même qu'il nous faut déclarer la nôtre; mais demain, lorsqu'on verra tous les représentants de la nation tomber au pied des autels, la France et l'Europe verront assez que la religion catholique est la religion nationale. » Longs applaudissements. Garat reprend la parole et déclare « que, soumis à la religion de ses pères, c'est en elle surtout, c'est dans les lois sociales de l'Évangile qu'il avait puisé les maximes qu'il venait de proposer »>.

L'Assemblée passa à l'ordre du jour, et se refusa ainsi à décréter que la religion catholique était la religion de l'État, parce que c'était une vérité trop incontestable, parce que c'était paraître en douter que de la mettre en discussion pour la formuler en décret.

On reprit aussitôt le débat sur les ordres monastiques. L'abbé de Montesquiou, un des plus habiles orateurs de la droite, et qui savait se faire applaudir de la gauche par d'ap

(1) Voir plus loin, p. 108.

parentes concessions, essaya de reprendre le projet primitif du Comité, qui ne supprimait pas les ordres religieux. L'Assemblée donņa raison à Barnave et aux partisans de la suppression. Elle décréta (13 février 1790), comme articles constitutionnels (1), que la loi ne reconnaîtrait plus de vœux monastiques solennels de personnes de l'un ni de l'autre sexe; que les ordres et congrégations réguliers, dans lesquels on fait de pareils vœux, seraient et demeureraient supprimés en France, sans qu'il pût en être établi de semblables à l'avenir; que tous les individus de l'un et de l'autre sexe, existant dans les monastères et maisons religieuses, pourraient en sortir en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu, et qu'il serait pourvu à leur sort par une pension convenable; qu'il serait pareillement indiqué des maisons où seraient tenus de se retirer les religieux qui ne voudraient pas profiter de la disposition du présent décret. Au surplus, il ne serait rien changé, quant à présent, à l'égard des maisons chargées de l'éducation publique et des établissements de charité, et ce jusqu'à ce que l'Assemblée eût pris un parti sur cet objet. Enfin, adoptant un amendement de l'abbé de Montesquiou, l'Assemblée excepta formellement les religieuses de l'article qui obligeait les religieux de réunir plusieurs maisons dans une seule, et leur permit de rester dans les maisons « où elles sont aujourd'hui ».

La suppression des ordres religieux une fois décrétée ainsi, en principe, le Comité ecclésiastique prépara un

(1) Ces articles ne furent cependant pas insérés dans la Constitution de 1791, mais on y lit (préambule): << La loi ne reconnait plus ni vœux religieux, ni aucun autre engagement qui serait contraire aux droits naturels ou à la Constitution. >>

projet de décret sur la «< pension convenable » promise. Le 18 février, il proposa de décréter que le traitement serait le même pour les religieux rentés et pour les religieux non rentés. Le duc de La Rochefoucauld combattit cette proposition: « Vous devez, dit-il (d'après le Moniteur), faire une différence entre les religieux rentés et non rentés, parce qu'en ouvrant les cloîtres aux religieux, vous devez leur donner l'équivalent de ce qu'ils quittent. Il résulterait une véritable inégalité de l'égalité du traitement des religieux. Ceux qu'on appelle mendiants sont accoutumés à une vie plus active, à vicariser, à prêcher; ils auront plus de moyens d'améliorer leur sort. Ceux qui auront passé leur vie à des études tranquilles n'auront pas d'aussi faciles ressources. Les uns et les autres, en entrant dans le cloître, ont fait des sacrifices; mais, en général, les religieux rentés auraient eu un patrimoine plus considérable que les autres, s'ils n'eussent pas quitté le monde. Ils ont plus abandonné, on leur doit plus. Il faut donc accorder une différence pour qu'aucun ne regrette son ancien état. »

L'Assemblée se rangea à l'avis du duc de La Rochefoucauld, et décida que le traitement des religieux mendiants. serait différent de celui des religieux non-mendiants.

Le Comité proposa (19 février) un minimum de 700 livres pour les mendiants et de 900 livres pour les nonmendiants. Robespierre aurait voulu qu'on donnât un peu plus 800 livres à ceux-là, 1.000 livres à ceux-ci. Barnave parla à peu près comme Robespierre. Il fut aussi question des Jésuites. Lors de leur suppression, on ne leur avait accordé qu'une pension de 400 livres. Le constituant Lavie demanda qu'ils fussent compris dans les

pensions à décréter, et assimilés aux non-mendiants. L'abbé Grégoire appuya Lavie. L'abbé de Montesquiou dit : « Vous ne réfuserez pas cette justice à cette congrégation célèbre, dans laquelle plusieurs d'entre vous ont fait sans doute leurs premières études, à ces infortunės dont les torts ont peut-être été un problème, mais dont les malheurs n'en sont point un. » On demanda l'ajournement de l'amendement à huitaine. L'Assemblée repoussa l'ajournement. Barnave fut d'avis que le premier acte de la liberté naissante devait être de réparer les injustices du despotisme (1). Il aurait même ajouté d'après la Chronique de Paris : « Plus les Jésuites ont été persécutés, plus ils ont de droits à la justice, à l'humanité de l'Assemblée nationale. »>

Enfin, l'Assemblée décréta (19 février 1790) que chaque religieux mendiant recevrait, selon son âge, une pension annuelle de 700 à 1.000 livres; que chaque nonmendiant en recevrait une de 900 à 1.200 livres, et que <«<les ci-devant Jésuites, résidant en France, et qui ne possèdent pas, en bénéfices ou en pensions sur l'État, un revenu égal à celui qui est accordé aux autres religieux de la même classe, recevront le complément de ladite somme ». Le 20 février, il fut décrété que les frères lais ou convers et les frères « donnés » recevraient une pension de 300 à 500 livres ; que, pour ne pas porter le trouble dans les familles (dit le rapporteur Treilhard), les religieux qui sortiraient de leurs maisons «< seraient incapables de successions ». Le 20 mars, décrété que, dans la huitaine, les officiers municipaux se transporteraient dans

(1) Moniteur, réimpression, t. III, p. 416.

toutes les maisons religieuses de leur territoire, pour s'y informer des biens et revenus, en dresser l'inventaire, l'état du personnel et procès-verbal des déclarations de ceux qui voudraient sortir des maisons de leur ordre ou y rester.

III

Application et décret complémentaire

Sur les premières applications de ces décrets, nous savons peu de chose. Il n'y a que quelques faits, quelques détails.

Ainsi, nous voyons qu'à Paris, plusieurs religieux se plaignirent à l'Assemblée nationale, dans des pétitions collectives, d'avoir été classés à tort parmi les mendiants, ce qui les rangeait dans la catégorie des pensionnaires les moins payés. Par exemple, les Minimes de la place Royale, pensionnés comme mendiants, protestèrent et publièrent un tableau des revenus de leur ordre en France (1): 133 couvents; 577 religieux de choeur; 99 frères convers; 721.205 livres de revenu ; 5 millions 796.000 livres de biens meubles et immeubles. Avec cette fortune, n'avaient-ils pas droit à un traitement de non-mendiants ?

Ce qui serait plus intéressant, ce serait une stastistique des religieux qui déclarèrent vouloir, soit sortir de leur ordre, soit y rester, en application des décrets des 13 fé

(1) Bibl. nat., Ld 25/9, in-8.

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