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gations en général, mais il ne l'émit qu'incidemment (1). C'est à propos des vœux, dans la séance du 28 octobre 1789, que l'Assemblée eut à s'occuper, pour la première fois, des ordres monastiques. Quelques religieuses du couvent de l'Immaculée-Conception de Paris avaient dénoncé au président de l'Assemblée la pression abusive exercée sur les novices pour les décider à prononcer leurs vœux (2). La question des voeux se trouva ainsi posée. L'Assemblée l'ajourna, et, «< par provision » décréta « que l'émission des vœux serait suspendue dans tous les monastères de l'un et de l'autre sexe ». Le roi donna sa sanction le 3 novembre (3).

Le 2 novembre 1789, c'est le fameux décret qui mit à la disposition de la nation tous les biens ecclésiastiques, y compris ceux des congrégations de toute sorte.

Les religieux s'étaient inquiétés, et de ce décret du 2 novembre, et des projets qu'annonçait le décret du 28 octobre ; ils envoyaient à l'Assemblée des mémoires et des pétitions (4). Le 12 décembre 1789, le chartreux dom Gerle fit une motion tendant à les rassurer par la promesse d'une pension, et aussi à faciliter la sécularisation de ceux qui désireraient sortir de leur couvent. On applaudit cette motion, on en vota l'impression, et l'on décida d'attendre le rapport du « Comité ecclésiastique »> nommé le 20 août précédent.

(1) Point du Jour, t. II, p. 74.

(2) On trouvera leur lettre, qui est très intéressante, dans le Point du Jour, t. III, p. 481.

(3) Et non le 1er, comme le dit par erreur Duvergier. Voir la collection Baudouin, t. I, p. 78.

(4) On en trouvera un grand nombre aux Arch. nat., dans les papiers du Comité ecclésiastique.

Treilhard fit ce rapport dans la séance du 17 décembre. Il y parla des congrégations avec la même bienveillance que le roi ou son gouvernement en avaient parlé. Il s'agissait, non pas du tout de les détruire, ni de les vexer en aucune sorte, mais de les réformer, de les faire profiter de cette << régénération » que l'Assemblée est appelée à «< consommer », et qui doit « embrasser toutes les parties de ce vaste empire ». Il laissa de côté, pour l'instant, les religieuses, et ne s'occupa que des religieux qui ont fait des vœux solennels, pour offrir la liberté à ceux d'entre eux qui se trouveraient retenus contre leur volonté dans les cloîtres. Chacun d'eux, dans les trois mois, et par devant les officiers municipaux et les juges royaux, déclarera s'il entend rester ou sortir. Ceux qui voudront sortir sortiront, et iront vivre où bon leur semblera, << en habit clerical, sous la juridiction de l'évêque diocésain ». Il recevra une pension qui variera de 700 à 1.000 livres selon l'âge. Comme l'avait ordonné l'édit de 1768, toute maison où il ne restera pas au moins 15 religieux sera supprimée ou réunie. En résumé, Treilhard propose, quant aux vœux, non de les interdire, mais de ne pas en reconnaître les effets civils. Impression du rapport, ajournement.

Le 19 décembre 1789, vu les besoins du Trésor, il est décrété qu'il sera vendu une partie du domaine de la couronne et assez de biens ecclésiastiques pour former ensemble une valeur de 400 millions. Mais quels biens ecclésiastiques vendra-t-on ? C'est ce que décida le décret du 5 février 1790, où il est dit que, « dès à présent et en attendant des suppressions plus considérables », il sera supprimé « une maison de religieux de chaque ordre

dans toute municipalité où il en existe deux; deux maisons dans toute municipalité où il en existe trois, et trois dans toute municipalité où il en existe quatre; qu'en conséquence la municipalité de Paris indiquera dans la huitaine, et les assemblées de département indiqueront aussitôt après leur formation, celles desdites maisons qu'elles préféreront de supprimer en vertu du présent décret, pour les emplacements en être aussitôt mis en vente, en exécution et conformément au décret du 19 décembre dernier ».

Ce n'est donc point pour des motifs philosophiques qu'eurent lieu, sous la Révolution, les premières évacuations de maisons religieuses, mais pour des motifs financiers, parce qu'on avait besoin d'argent et qu'on ne trouva pas d'autre moyen de s'en procurer que de vendre une partie de ces maisons.

Le 11 février 1790, Treilhard donna une seconde lecture de son rapport. La discussion s'engagea aussitôt. Les journaux (Moniteur, Point du Jour) en rendent compte confusément. L'évêque de Clermont y parla contre le projet de Treilhard, et feignit de croire que ce projet supprimait les ordres monastiques.

La discussion continua le 12 février. Le Chapelier indiqua à l'Assemblée une voie plus hardie que celle que lui avait indiquée le Comité ecclésiastique. Il demanda qu'on discutât d'abord cette question: << Les corporations ou ordres religieux seront-ils conservés ou supprimés?» Treilhard se rallia à cette motion, et c'est là-dessus que le débat s'engagea, et non plus sur son rapport.

Une opinion se forma aussitôt, qui n'avait pas été expri

mée avec cette netteté et ce concert dans les cahiers, à savoir que les ordres religieux, surtout les anciens ordres à vœux solennels, sont à supprimer. Le duc de La Rochefoucauld déclara que, si les congrégations avaient rendu des services autrefois, elles n'en rendaient plus et n'en pouvaient plus rendre aujourd'hui. Petion rappela comme un principe constant que, tous les corps étant faits pour la société, «< la société peut les détruire, s'ils sont inutiles, s'ils sont nuisibles ». Or les religieux sont inutiles, sont nuisibles. « Quant à l'éducation, peut-on croire que vous conserverez aux maisons religieuses le soin précieux d'élever des citoyens ? » Il faut détruire ces ordres. « En conserver quelques-uns, ce serait préparer la renaissance de tous ». Il faut persister dans la résolution de confisquer tous leurs biens: « Rendez à la circulation d'immenses propriétés qui restent dans une stagnation funeste, et vous ferez un bien inestimable à la nation. >>

Barnave montra que l'existence des moines était contradictoire à la Déclaration des Droits. « Quant à l'éducation populaire, dit-il, elle doit être faite par des hommes qui jouissent des droits de citoyen, qui les aiment pour les faire aimer. Les ordres religieux sont incompatibles avec l'ordre social et le bonheur public: vous devez les détruire sans restriction. >>

Le lendemain 13 février, la Droite tenta, en faveur des congrégations, une diversion, dont les effets étonneront peut-être les personnes qui croient que l'Assemblée constituante était hostile à la religion catholique.

Garat l'aîné, à la tribune, demandait la suppression des congrégations. Il s'anima et en vint à dire : « Je jure que je n'ai jamais pu concevoir que Dieu aimât à reprendre à

l'homme le don qu'il a fait à l'espèce humaine et que ce fût un moyen de lui plaire que de lui sacrifier la liberté qu'on a reçue de lui. Je jure... » A cette formule de serment, qui n'était, dit le Journal de Paris, « que l'expression de la conviction profonde d'une conscience pure », une partie de la salle cria au blasphème, à l'impiété. On ne vit que « des bras en l'air. Comme si on eût voulut détourner la vengeance du ciel ». M. de Fumel, marquis de Monségur, cria qu'on insultait l'Assemblée en disant Je jure. Vingt voix, dit encore le même journal, crient au président de rappeler Garat à l'ordre. On s'aperçoit alors que ceux qui faisaient le tumulte ont fait aussi une motion, mais qui, dans la confusion du bruit, n'a pu être entendue. Interrogé, le président annonce que cette motion est « de déclarer que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État ». Étonnement, silence. Qui a fait la motion? C'est l'évêque de Nancy. Le voilà à la tribune, demandant que cela soit déclaré à l'instant même.

Les «< patriotes », les partisans de la suppression des ordres religieux, s'indignent, non de la motion, mais de ce que l'évêque de Nancy a pu considérer comme douteuse leur adhésion unanime à la vérité formulée dans la motion. Roederer, qui siégeait alors à l'extrême gauche (comme nous dirions), avec Robespierre et Petion, Roederer s'écrie: « Est-ce l'intention de M. l'évêque de Nancy de faire entendre que la religion périclite parmi nous? Et veut-il que nous délibérions sur une motion qui pour nous est une injure ? » Dupont (de Nemours): << Nul dans cette assemblée ne peut douter que la religion. catholique ne soit la religion nationale. » « On ne pou

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