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Ces autorités refpectables n'en ont point impofé à notre Auteur. Avant de s'y rendre, il a voulu confulter l'expérience, cet oracle fidèle qu'il fait fi bien interroger, & en a obtenu les réponses les plus intéressantes-. Comme la digeftion s'achève chez la plupart des animaux dans l'efpace de cinq ou fix heures, il chercha quels changemens furviendroient dans. ce même temps à de la viande qui tendroit à fe corrompre. Il prit de la chair fraîche de veau, qu'il coupa en petites parties, qu'il mêla d'eau, & qu'il expofa enfuite à une chaleur de 30° à 35°-Après quatre heures, cette chair commençoit à fe décolorer & à perdre fa fermeté: mais l'odeur de putréfaction ne fe manifefta qu'à la neuvième heure. Ce premier réfultat indiquoit déjà que, dans l'eftomac de l'homme, les alimens de nature animale n'auroient pas le temps de fe corrompre pendant le cours ordinaire de la digeftion. Mais, pour s'en affurer mieux encore, l'Abbé Spallanzani prit des tubes de verre en forme de poire, fermés à leur extrémité obtufe, & dont le bout fubtil, fort alongé, reftoit ouvert; il les remplit de viandes préparées comme dans l'expérience précédente, & les fit avaler à des corneilles: de manière que l'extrémité alongée fortant du bec, il pouvoit les retirer quand il lui plaifoit. Il les retira quelquefois, & vit que ce n'étoit qu'après la neuvième heure que la chair commençoit à fe corrompre. Il eft donc bien démontré que la chaleur naturelle de ces animaux ne peut gâter la viande qu'après un temps beaucoup plus long que celui qu'il faut pour la digeftion parfaite de ces mêmes viandes. Afin d'avoir une preuve plus directe encore, l'Auteur fit avaler à différens animaux de la viande, & les ouvrit pendant qu'ils la digéroient, & il reconnut que depuis le premier moment où la digeftion s'établit, jufqu'à celui où elle eft achevée, la masse alimentaire n'eft, à l'épreuve du fyrop violat, ni acide, ni alkaline; qu'elle ne préfente rien de livide, & que fon odeur, quoique défagréable, n'a aucun caractère de putréfaction. Ce qu'il y a ici de plus frappant, c'eft fon obfervation fur les ferpens, dont la digeftion eft, comme nous l'avons déjà vu, fingulièrement lente: des parties animales reftoient deux ou trois jours dans leur ventricule fans fe digérer complètement; &, malgré ce long féjour, il n'y avoit point d'indice de corruption.

Ces vérités, bien établies, ont conduit à une autre plus intéreffante encore. La chair renfermée dans des tubes de verre, & placée dans l'eftomac d'une corneille, fe corrompt vers la neuvième heure; & dans d'autres oifeaux, lorfque la chair qu'ils ont avalée touche les parois mêmes de l'eftomac, elle peut y féjourner dix-huit heures au moins fans fe gâter. Il y a donc, dans ce dernier cas, quelque caufe qui réfide dans le ventricule, & qui retarde la corruption. Quelle eft cette caufe? c'eft la propriété antifeptique des fucs gaftriques. Rappelons-nous ces digestions artificielles commencées dans des tubes de verre remplis de fucs gaftriques & de viandes; la chair fe diffolvoit en partie, & ne fe corrompoit jamais :

les fucs digeftifs, en même temps qu'ils la diffolvoient, la préservoient donc de la corruption.

L'Auteur a fait fur ce fujet une multitude d'expériences, defquelles il réfulte que la vertu diffolvante de la liqueur digeftive s'affoiblit plutôt que fa vertu antiseptique. Il raconte qu'il a obfervé pendant l'hiver deux vases pleins de fuc gaftrique & de chair, qui reftèrent trente-fept jours fans qu'il fe fît la moindre diffolution ni le plus petit commencement de putréfaction, quoique dans cette même faifon la chair placée dans l'eau se corrompît en fept jours. Il s'eft affuré de plus que cette liqueur ne perdoit fon pouvoir antifeptique qu'au bout de deux mois, quoiqu'à cette époque elle ne devînt pas elle-même putrefcible.

Ce n'eft pas tout encore: après avoir démontré que les fucs gastriques étoient antifeptiques, M. Spallanzani a voulu favoir s'ils ne pouvoient point rétablir les chairs déjà corrompues; & fes expériences lui ont appris qu'ils avoient auffi ce pouvoir. Plus la chaleur eft grande, & mieux ils rétabliffent les viandes gâtées; c'eft qu'alors la diffolution fe fait mieux, & que le rétablissement paroît dépendre de la diffolution.

Cette découverte induifoit à penfer que fi un animal avaloit de la chair corrompue, elle perdroit fa mauvaise odeur dans fon ventricule, & qu'en fe diffolvant dans les fucs gaftriques, elle reprendroit fa douceur originelle; & ce foupçon s'eft trouvé très-jufte. Après l'avoir ainfi vérifié fur plufieurs animaux, l'Auteur a ofé en faire l'expérience fur lui-même : il a avalé des tubes de bois remplis de différentes efpèces de viandes corrompues ces tubes, en fortant de fon corps, retenoient tous quelque petite portion de dépôt impur qui leur avoit été confié, mais parfaitement régénéré, qui ne donnoit plus de mauvaise odeur.

Si donc il y a des animaux qui refusent abfolument de fe nourrir de viandes gâtées, ce n'eft pas qu'ils ne puffent les digérer: c'est plutôt parce que les miafmes déteftables qui s'en exhalent les dégoûtent. effraient.

Refte à favoir auquel de leurs principes compofans les fucs gaftriques doivent leur vertu antifeptique ; il femble d'abord que c'est au fel ammoniacal, dont, fuivant l'analyfe de M. Scopoli, ils contiennent une bonne quantité. Mais il n'en eft point ainfi; car en faifant diffoudre dans l'eau pure du fel ammoniac en même dofe qu'en contient la liqueur digeftive de l'eftomac, cette eau falée n'eft pas, à beaucoup près, auffi antifeptique; il faut lui en faire diffoudre dix-huit fois plus pour qu'elle l'égale en ce point.

Il ne paroît pas plus probable que les fucs gaftriques foient antifeptiques, parce que, fuivant l'idée de M. Macbride fur les antiputrides en général, ils rendent aux corps, prêts à fe corrompre, l'air qui tendoit à s'en échapper. Sans qu'il foit befoin d'entrer dans un long détail, on voit d'avance que cette théorie ingénieuse ne peut pas trop s'appliquer ici.

C'est donc un fujet que l'Auteur abandonne aux méditations des Chy

miftes.

Ici finiffent les recherches fur la digeftion. Nous aurions trop alongé cet Extrait, fi nous avions rendu compte des précautions que l'Auteur a prifes pour éviter l'erreur: mais nous ne tairons point que nous avons été frappés de la fimplicité de fa marche & du choix de fes expériences; elles font toutes décifives, & ne laiffent aucun doute dans l'efprit. Il feroit à fouhaiter maintenant que quelque Phyfiologifte, qui poffederoit auffi-bien que M. Spallanzani l'art d'obferver, examinât, par des procédés analogues, les phénomènes ultérieurs de la digeftion, la diffolution des alimens dans la bile, leur passage dans les vaiffeaux du méfentère & leur converfion en chyle; nous aurions alors un ensemble de faits fur la digeftion, dont la Médecine tireroit le plus grand parti.

Le fecond volume, dont nous donnerons le précis, traite de la génération de quelques efpèces d'amphibies, de la fécondation artificielle de leurs œufs, & de la fécondation naturelle & artificielle des graines des plantes.

Defcription d'un Zoophyte fingulier de la mer Baltique ;

DANS

Par M. le C. G. de R.

ANS ma traversée de Copenhague à Kiel, dans le courant du 30 au 10 du mois de Septembre 1781, en approchant du Holftein, je vis une quantité de corps ronds dans la mer, formés d'une fubftance flexible, molle, d'un verd bleuâtre femblable à celui de certaines feuilles de plantes aquatiques, ayant à fon centre quatre plaques circulaires (fig. 1, pl.1), & ayant, dans fa totalité, une certaine reflemblance avec une tulipe: auffi penfé-je d'abord que la mer étant peu profonde dans ces endroits refferrés, ce devoit être quelque plante marine réfléchie de fon fond à fa furface; mais je fus bien défabufé quand je lui apperçus de temps à autre un mouvement périftaltique fenfible de la furface au fond, & vice versa. Ceci ayant excité ma curiofité, je voulus abfolument voir cet animal, que je reconnus alors pour tel de plus près. On m'en apporta quatre qu'on avoit pêchés dans un baquet, où ils n'étoient plus reconnoiffables que par la couleur qu'ils avoient eue dans la mer; en ayant retiré un avec une cuiller de bois, il étoit encore bien moins reconnoiffable. (fig. 2).

Je l'ai trouvé entièrement gélatineux, ou plutôt muqueux & extenfible comme une gomme ou réline ramollie; fi bien qu'en appliquant un

corps folide fur une partie quelconque de l'animal, & en l'éloignant peu-à-peu, il fe forme un fil fort long, fort délié, qui finit par être plus fin qu'un cheveu, & dans lequel on apperçoit un mouvement de vibration tendant à la contraction & réunion des parties de tout animal ; ce qui fe voit encore mieux lorfque la peau pendante fur les côtés de la cuiller de bois, & formant par fon propre poids de pareils fils terminés par de groffes gouttes, qui, examinées à la loupe, font voir de petites fpirales rouges enveloppées d'une liqueur extrêmement limpide, on obferve que ces gouttes remontent avec plus ou moins de promptitude, felon leur plus ou moins d'extension, jufqu'à l'endroit d'où elles étoient parties, en englobant tous les points des longs fils qu'elles terminoient, & augmentant de volume par leur réunion, & que parvenues à cet endroit inacceffible, le même poids qui les avoit précipitées d'abord les faifoit retomber auffi une autre fois en fils terminés par des gouttes. Ce manège répété fouvent, & avec les parties quelconques de ce zoophyte fingulier, qui feront décrites, même féparées du tout, prouvent, ce me femble, une existence & une organisation individuelle de chacune d'elles; cette dernière, fur tout, paroît évidemment par la petite fibre de chaque fil, qui fe contourne en fpirale dans la goutte qui le termine, & qu'on ne voit qu'à la loupe; & qui fait ce que le microfcope y feroit encore découvrir?

Si l'on fait éprouver à une goutte ainfi fufpendue la chaleur de la flamme d'une bougie, on la voit remonter avec plus de viteffe ; & fi on approche la flamme plus près d'elle, elle tombe & laiffe à fa place le filet ou fibrille mince dont on a parlé, & qui femble alors tordu.

Dans la figure 2, l'animal eft tel qu'il étoit fur la cuiller de bois; aaa l'efpèce de peau gélatineufe qui fe termine dans les endroits où elle déborde le plus en longs filets terminés par des gouttes; en ccc font les petites fibres qui paroiffent au travers de l'efpèce de peau gélatineufe, tant celles qui appartiennent à l'organisation intérieure de l'animal, que celles qui, paroiffant fous cette forme, ne font formées en effet que par la tenfion d'une infinité de petits bras ou rayons mouvans, dont il fera parlé, & qui fans doute ont la faculté de le contracter & fe replier fous cette peau. Celle-ci peut fe rélever de deffus le corps, ainfi qu'on le voit. dans la figure 3. A eft la peau relevée & jettée en arrière. En a a a est une espèce de graiffe gélatineufe en étoiles quoique fort molle & tendre, elle approche cependant un peu de la confistance du cartilage, & l'on a peu de peine à la couper en deux. Chaque rayon de l'étoile eft refferré entre deux jointures cc, que la loupe fait voir traverfées par des faifceaux de filets longitudinaux, & qui fervent aux mouvemens de contraction & de dilatation de l'animal pout le faire avancer dans l'eau. Ce mouvement confifte dans une tendance des jointures à fe rapprocher les unes vers les autres jufqu'à un certain point, & à s'en écarter de nouveau ; ce qui peut fe comparer à l'effet des rames d'un bateau.

Chaque rayon, refferré entre les deux jointures, eft lui-même traversé de filets longitudinaux coupés par d'autres latéraux (bbb).

Si l'on pofe cet animal fur un plat de faïence ou de porcelaine avec des deffins quelconques, fa tranfparence eft fi grande, que les deffins n'en font pas moins vifibles dans toute leur netteté au travers de fon

corps.

La figure 4 représente ce zoophyte tel qu'il eft fur une affiette remplie d'eau. A fon centre font placées deux ouvertures oblongues fort difficiles à diftinguer, qui paroiffent comme des bouches ou deux fuçoirs l'un à côté de l'autre, où l'on ne fauroit diftinguer rien qui reffemblât à des dents. En a aa font de petits bras ou rayons mouvans & vermiculaires très-fins, très-gélatineux, comme toute la fubftance, & dans l'intérieur de chacun defquels la loupe fait également appercevoir comme un feul petit filet ou petite fibre de la plus grande finelle. En bbb font les rayons formés par les jointures, & dont j'ai parlé plus haut. J'en ai compté feize ou dix-fept à l'animal, d'après lequel j'ai pris le deffin de la figure 4, parce que commençant un peu à fe deffécher, l'ayant gardé un jour fans eau, que j'avois prefque toute vuidée (1), fes parties s'étoient un peu contractées & ridées, & étoient devenues plus vifibles (2); mais il commençoit, au bout de ce temps-là, à exhaler une puanteur infoutenable lorfqu'on en approchoit trop près, quoiqu'il fût encore plein de vie : d'où l'on peut conclure, ce me femble, avec raifon, qu'il avoit fubi une certaine décompofition, fans doute par l'évaporation d'une partie de fon humidité, ayant toujours refté fur la fenêtre de ma cahute, expofé aux ardeurs du foleil.

Les petits rayons vermiculaires fe trouvent en quantité innombrable, comme fortant du bout de chaque espace renfermé entre deux jointures ou grands rayons, mais partant réellement d'un centre commun, qui est celui de l'animal, & fe dirigeant à la circonférence; ce qui n'eft pas aifé

à voir.

Sur un corps plat comme une affiette, & où l'eau a plus de dimenfion ou d'étendue en largeur qu'en profondeur, il eft à préfumer que l'animal ne pouvant embraffer ni affez d'eau ni affez d'efpace, par conféquent ne pouvant fe replier ni contracter fes membres au même point qu'il le fait même dans un baquet plein d'eau, il eft obligé de les tenir tous étendus: de-là vient que, dans le baquet, les rayons vermiculaires ne

(1) Quoique j'euffe cru avoir vuidé toute cette eau, il eft certain que le lendemain j'en trouvai une certaine quantité environnant l'animal; feroit-ce donc qu'une partie de La fubftance s'évapore, & qu'une autre partie fe diffout elle-même & se réduit à ses principes aqueux ?

(2) Lorfque l'animal n'a point fubi de décompofition antérieure, fes rayons, marqués par leurs jointures, ne font pas bien sen&bles.

paroiffent

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