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comme devenant utiles à la Société. Si vous daignez les accueillir, ce fera récompenfer généreufement un travail dicté par un zèle vraiment patriotique.

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MÉMOIRE

Sur le Mammouth, animal du Groënland, dont on trouve des offemens & des dents énormes en Europe, en Afie & en Amérique ; par M. P. DE LA COUDRENniere.

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ES dépouilles d'animaux monftrueux que l'on trouve fréquemment en Europe & dans les contrées feptentrionales de l'Afie & de l'Amérique, ont beaucoup exercé l'imagination des Naturaliftes. M. le Comte de Buffon, à qui l'Hiftoire Naturelle eft fi redevable, penfe que les éléphans, les rhinoceros, les hippopotames, & autres animaux du midi, ont primitivement habité le nord des deux continens; que depuis, cette partie du globe s'étant confidérablement refroidie, ils fo font répandus dans les pays chauds de l'Afie & de l'Afrique. Mais fi ces animaux ont habité le Canada, les bords de l'Ohio & ceux du Miffiffipi, pourquoi, après le refroidiffement de ces contrées, ne fe font-ils pas retirés dans l'Amérique méridionale? Eft-il bien vrai que l'Ifthme de Panama, qui a pour le moins 15 lieues de large, ait toujours formé une barrière pour les éléphans? C'eft une fuppofition trop légèrement hafardée: mais quand on l'accorderoit, ne devroit-on pas trouver cet animal dans la Province de Guatimala, le Jucatan & tout l'Empire du vieux-Mexique? D'ailleurs, les premiers fondemens de cette hypothèse ne peuvent fe foutenir; la terre ne se refroidit point. L'Europe étoit plus froide il y a deux mille ans, qu'elle ne l'eft aujourd'hui. On a répondu que les défrichemens ont caufé cette diminution de froid: mais cette réponse eft elle-même contradictoire avec le fyftême de M. de Buffon; car la terre fe trouvant, par les défrichemens, dépouillée des forêts qui l'abritent, devient plus expofée à l'impreffion des vents froids, de la neige & des glaçons; ce qui devroit hâter fon refroidiffement. Enfin, la terre étánt applatie fur les pôles, devroit moins fe geler en ces lieux qu'en tout autre, puisqu'ils font plus près du prétendu feu central.

M. le Chevalier de Lamanon a démontré que les dépouilles trouvées près de l'Ohio, n'ont pu appartenir à des éléphans. M. Collinson l'avoit déja dit à M. de Buffon, qui s'exprime ainfi dans fes notes juftificatives: «Tout ce que dit ici M. Collinfon eft très-vrai; ces groffes dents mo

laires diffèrent abfolument des dents mâchelières de l'éléphant.... On a lieu d'être furpris qu'après un pareil aveu, M. de Buffon dife encore que les défenfes mêlées parmi ces dents, font des défenfes d'éléphans; car s'il étoit vrai que ces défenses fuffent de ces animaux, on devroit les trouver avec leurs dents, & non parmi celles d'un animal in

connu.

M. de Lamanon foupçonne que cet animal exifte encore dans quelques coins de la Sibérie & de l'Amérique feptentrionale, & il penfe que c'eft un cétacée, & non un animal terreftre. Cette conjecture prend beaucoup de vraisemblance fous la plume de l'Auteur; mais, malgré les raifons qui l'établiffent, elle fouffre des difficultés qui la détruisent.

beau

Il faut de vaftes mers pour nourrir des cétacées de cette groffeur; & les lacs falés, qu'il faudroit fuppofer dans les déferts de la Sibérie, ne pourroient être affez confidérables pour être habités par des efpèces auffi monftrueufes. La mer Cafpienne nous en fournit la preuve. Cette mer, coup plus étendue que ne le pourroient être les lacs falés de la Sibérie, ne contient que des animaux d'une groffeur médiocre., Pline & plufieurs autres Historiens de la Nature, ont écrit que cette mer étoit plus remplie de monftres marins que les autres mers; mais depuis qu'elle a été mieux connue, ces monftres marins fe font réduits à des poiffons blancs de 20 pieds de long, à des chiens de mer & à de gros poiffons, qui ne peuvent tout au plus que renverfer de petits bateaux de Pêcheurs. Il est donc vrai que les profondes vallées des montagnes de la Sibérie ne peuvent contenir des lacs falés affez grands pour être peuplés de monftres auffi gros que le mammouth.

Ajoutons que les cétacées ne peuvent guères s'éloigner de l'eau faléc. Si quelques-uns de ces animaux vont paître de l'herbe fraîche fur le bord des mers, ils s'éloignent peu, & ne tardent pas de rentrer dans leur élément naturel. Comment donc feroit-il poffible que des cétacées fiffent affez de chemin pour venir périr dans les lieux où l'on a trouvé des dépouilles de mammouth encore fraîches, & même faignantes ?

Ces raisons semblent prouver folidement que ces dents & ces offemens énormes ont appartenu à des animaux terreftres. Cela n'empêche pas que l'hypothèse de M. de Lamanon ne foit très-heureufement imaginée pour expliquer la formation de ces couches de coquilles marines, & n'être point obligé de recourir à des fuppofitions plus que hafardées de quelques Naturalifies. On ne peut guère douter que les deux continens n'aient renfermé une multitude de grands lacs falés qui n'exiftent plus.

M. Collinson, dans le Mémoire qu'il a lu à la Société Royale, le 10 Décembre 1767, a donc bien eu raifon de dire que ces dépouilles trouvées près de l'Ohio, font les teftes d'un animal énorme & inconnu, qui avoit les défenfes de l'éléphant, & des dents particulières à fon efpèce. Cet animal n'eft pas plus ignoré des Sauvages du Canada, qu'il

ne

me l'eft des Ruffes, dont quelques-uns affurent en avoir vu de vivans. Si les uns & les autres débitent des fables fur fon compte, cela prouve tout au plus que cet animal eft rare, & que fa groffeur effraie ceux qui le voient. Mais quelle figure a-t-il ? quelle eft fa nourriture? & quelle contrée en produit le plus ? Je réponds à ces queftions: fa forme approche de celle de l'ours; il doit être omnivore. Enfin, c'est au Groenland qu'on en voit le plus.

Après avoir trouvé les dépouilles du mammouth en Europe, en Afie & en Amérique, on eût dû au moins confulter le peu de relations que nous avons fur le Groënland, puifque ce vafte pays fe trouve fitué entre ces trois parties du monde. J'ai fait cette recherche depuis peu de temps, & j'ai lu, fans beaucoup de furprise, que cet animal eft très-connu des Groënlandois. Ils difent qu'il a le poil noir, la forme d'un ours & fix braffes de hauteur. C'eft à la page 39 du dix-neuvième volume de l'Hiftoire générale des Voyages, que j'ai lu cette defcription; l'Auteur de la relation dit que la peur a fait exagérer la hauteur de cet animal. Mais quand cette affertion feroit vraie, on doit toujours en conclure que cette taille eft bien extraordinaire, puifqu'elle épouvante toutes les Nations qui prétendent avoir vu ce quadrupede monftrueux.

On ne peut donc plus douter de l'existence d'un animal terreftre dans le nord, dont la groffeur furpaffe de beaucoup celle de l'éléphant; ni que le mammouth des Ruffes, le père aux baufs des Sauvages du Canada, & le grand ours noir des Groënlandois, ne foient un même animal. Mais pourquoi cet animal eft-il plus rare en Afie & en Amérique, qu'il ne l'eft. au Groenland? Pour répondre à cette queftion, je fuppofe, avec les plus fortes raifons, que je détaillerai dans un autre Ouvrage, que le Groënland tient à l'Afie & à l'Amérique par deux ifthmes. Lorfque les mammouths fe trouvent preffés par la faim au Groënland, il en paffe en Amérique & en Afie par celui du nord de la Sibérie: alors, fe trouvant ifolés fous un climat étranger, & peut-être trop chaud pour leur efpèce, ces animaux ne peuvent s'y multiplier, & ils périffent loin de leur pays natal. Peut-être auffi que cette efpèce fe trouve depuis bien des fiècles fur fon déclin, & que c'eft pour cela qu'elle ne peut maintenant fe perpétuer fous notre zône. Cette conjecture eft d'autant plus probable, que plufieurs faits femblent prouver que les efpèces ont leur accroiffement & leur décadence comme un fimple individu.

Voilà, je crois, l'exiftence du mammouth bien conftatée. Il feroit à fouhaiter que les Savans de Copenhague fiffent prendre des informations plus détaillées fur le physique & le moral de ce prodigieux animal : mais en attendant, nous pouvons conjecturer que fa forme approchant de celle des ours, il doit comme eux être omnivore (1); c'est-à-dire, manger de

(1) Nota. Il n'y a peut-être pas d'animaux plus voraces que les ours blancs. Tome XIX, Part. 1, 1782. MAI.

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tout,

fe nourrir indifféremment de végétaux, de poiffons, de coquillages & d'animaux terreftres. Cet appétit vorace femble même néceffaire à l'exiftence d'un animal auffi monftrueux, fur-tout dans le Nord, où la nourriture végétale eft moins abondante.

Concluons en finiffant, que jamais les éléphans n'ont exifté dans le continent de l'Amérique, & que les animaux qui habitent le midi n'y font point venus du nord. Concluons de plus que la Nature n'eft point expirante fous les zônes glaciales, puifque les plus gros animaux terreftres & marins, le mammouth & la baleine, fe trouvent au Groënland. Il en eft de même de plufieurs autres espèces qui peuplent ces mers & ce continent glacial. L'aigle, par exemple, y eft fi gros & fi fort, qu'il enlève communément de jeunes veaux marins; & les moutons que les Danois ont tranfportés dans ce pays, font devenus plus gros & plus forts qu'en Europe. Ces vérités nous étonneront moins, fi nous réfléchiffons que le condor, le plus gros de tous les oifeaux carnivores, ne fe trouve point dans les lieux chauds & bas du Nouveau-Monde & de l'Afrique, mais dans les plus hautes montagnes, où l'on fait que l'air eft très-froid. Le Laemmer-geyer des Alpes, qui eft une efpèce de condor, en eft encore un exemple. Il paroît donc que M. le Comte de Buffon s'eft trop hâté de citer des faits pour prouver fa théorie de la terre. Il eût été à fouhaiter que ce génie profond fe fût affuré davantage des preuves dont il s'étoit fervi pour faire valoir fon fystême.

EXTRAIT

D'un Mémoire fur la Structure des Cryftaux de Grenat, préfenté à l'Académie Royale des Sciences, & approuvé par cette Compagnie le 21 Février 1781; par M. l'Abbé HAUY, Profeffeur de l'Univerfité au Collège du

Cardinal le Moine.

AVANT de paffer à l'extrait du Mémoire dont il s'agit, j'ai cru qu'il ne feroit pas inutile de faire quelques réflexions générales fur la cryftallifation, & de donner une idée du point de vue fous lequel j'ai considéré mon objet.

Lorfque les molécules de la matière inorganique qui nage dans un fluide, ont un certain degré de pureté; lorfqu'elles jouiffent, felon l'expreffion fi exacte & fi précife de M. Daubenton (1), du temps, du repos & de l'ef

(1) Leçons de Minéralogic.

pace néceffaires, elles s'approchent, fe réuniffent en vertu de la force attractive qu'elles exercent les unes fur les autres, & produisent prefque toujours des polyëdres de figure régulière. Ce font ces corps auxquels on a donné le nom de cryftaux, & dont l'obfervation, mieux fuivie depuis un certain nombre d'années, a découvert aux yeux des Naturalistes un nouvel ordre de connoiffances, & leur a fourni de nouveaux fujets d'admirer la puiffance fuprême, qui dirige la Nature toujours variée & toujours inépuifable dans les jeux de fa fécondité.

Ce qu'il y a ici de plus furprenant, c'eft de voir fouvent parmi les cryftaux qui appartiennent à une même fubftance, une multitude de for mes diverfes, entre lefquelles on n'apperçoit au premier coup-d'oeil aucun rapport, & qu'il paroît prefqu'impoffible de ramener à une même forme. On voit aufli, dans des genres très-diftingués entr'eux, des cryftaux qui ont une forme commune. Ceux qui font dans l'habitude d'obferver des minéraux, favent combien de matières différentes affectent la forme du cube ou celle de l'octaëdre.

J'ai effayé de faire difparoître au moins une partie des difficultés & de la confufion apparente qui résultent de cet affemblage fi diverfifié, & où les reffemblances même de figures, qui rapprochent certains êtres, fi différens d'ailleurs par leur nature & leurs propriétés, deviennent une nouvelle fource d'embarras. Pour procéder par degrés dans mes recherches, j'ai commencé par écarter tout ce qui tiendroit à des fuppofitions ou à des fyftêmes qui ne feroient pas fondés fur des principes univerfellement avoués. Si je me fuis permis quelques affertions générales, ce n'a été qu'autant que j'y ai été conduit par l'obfervation & par l'expériences du refte je me fuis borné pour le préfent à la ftructure des cryftaux, & j'ai cherché à la reconnoître par les fections que l'on peut faire à l'aide d'un inftrument tranchant dans ceux qui fe prêtent à cette épreuve. Ces fections font des indices d'autant plus fûrs de la structure dont il s'agit, qu'on ne peut jamais les faire dans un fens déterminé, pour détacher des lames qui aient le poli'de la nature; toutes les coupes qu'on tenteroit de faire dans un autre fens ne produifant que des fragmens de forme irrégulière.

que

Lorfque des cryftaux fe trouvoient trop durs pour être divifés par des coupes nettes, j'en ai recherché la ftructure, d'après des raifons d'analogie, & en profitant fur-tout des ftries & des linéamens que l'on obferve fouvent fur leurs différentes faces, & qui indiquent la pofition des lames dont ces cryftaux font l'affemblage.

Il réfulte des obfervations que j'ai faites, d'après les indices dont je viens de parler, que chacun des cryftaux d'une même forte, quelle que foit fa forme, renferme, comme noyau, un cryftal d'une forme que l'on doit regarder comme primitive ou originaire, par rapport à la forte dont il s'agit, c'eft-à-dire, qu'après avoir détaché fucceffivement une partie des lames dont le cryftal eft compofé, en fuppofant ce cryftal divifible, Tome XIX, Part. I, 1782. MAI. Bbb 2

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