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il prit feulement la précaution d'employer un tube de bois au lieu d'un tube de métal, & de l'envelopper de toile, pour ne pas offenfer les tuniques délicates des vifcères. Le réfultat fut que le tube employé fortit après dix- fept heures de féjour dans l'eftomac, & qu'il contenoit alors une petite portion de chair du poids de vingt-un grains. Non-feulement ce réfidu n'avoit pas perdu fon fuc naturel, mais il étoit gélatineux à la furface. Il est donc clair que chez l'homme, comme chez la plupart des autres animaux, les alimens fe digèrent uniquement par l'action des fucs gaftriques, fans que la trituration y contribue. Cela eft fi vrai, que le tube de bois, avalé par l'Auteur, étoit extrêmement frêle; que la plus légère compreffion fuffifoit pour le détruire: néanmoins il fe conferva intact dans l'eftomac; il ne fut done point comprimé.-Ce fait s'accorde fort bien avec d'autres déjà connus depuis long-temps. On fait que les cerifes & les grains de raifin, avalés tout entiers, fe rendent tels qu'ils ont été pris. Cependant combien feroient - ils facilement écrafés dans le ventricule, fi fes muscles avoient une action directe!

Refte à favoir pourquoi les réfidus de viande, laiffés dans les bourfes de toile, paroiffoient comprimés. Il y a apparence que, pendant leur trajet dans les inteftins, les matières fécales plus ou moins dures dont ils font entourés de toute part, les preffoient & les dépouilloient de tout le fuc qu'ils pouvoient contenir encore.

L'Auteur à fait des expériences directes pour s'affurer de l'utilité de la maftication, & les réfultats qu'il en a obtenus font décififs. Il a placé dans un tube de la chair de pigeon qui avoit été mâchée & imbibée de falive, & il a rempli un autre tube d'une dofe égale de la même chair, mais qui n'avoit pas reçu la même préparation; puis il a avalé ces deux tubes au même inftant: dix-neuf heures après, il les a rendus l'un & l'autre ; il ne reftoit qu'un réfidu de quatre grains dans celui qui contenoit la chair mâchée, & il y en avoit un de cinquante-huit grains dans l'autre. Cette expérience a été répétée plufieurs fois avec le même fuccès. C'est donc un fait inconteftable, que l'action des dents & l'imprégnation de falive accélèrent la digestion.

Les membranes, les tendons, les cartilages font diffolubles dans l'eftomac humain : mais leur diffolution eft lente. Les os tendres s'y diffolvent auffi; les os durs y réfiftent.

M. Spallanzani s'étoit propofé une autre fuite d'expériences fur la digeftion de l'homme; il vouloit examiner l'action des fucs gaftriques hors du corps mais il trouva tant de difficulté à s'en procurer, qu'il ne put pas fuivre fon plan en entier. Le moyen qu'il employoit étoit de fe faire vomir le matin à jeun, en mettant les doigts dans fa bouche. Il répéta deux jours de fuite cette opération défagréable, & elle lui procura d'abord cinq onces trente-deux grains de liqueur gaftrique, qu'il trouva limpide comme l'eau, légèrement falée, évaporable, & nullement putrefcible;

car, après un mois de féjour dans un vase fermé, elle n'avoit point contracté de mauvaise odeur. Il effaya de lui faire diffoudre de la chair de bœuf mâchée, & il trouva qu'à l'aide de la chaleur, cette viande avoit perdu, en trente-cinq heures, toute fa confiftance; que fes fibres fe féparoient d'elles-mêmes. La diffolution ne donnoit aucune odeur, mais elle n'alla pas plus loin; deux jours après, elle étoit encore au même état. En faifant cette expérience, il avoit mis, pour terme de comparaifon, de la chair dans l'eau; au lieu de s'y diffoudre, elle fe corrompoit en feize heures. Au refte, la chaleur eft une condition néceffaire, fans laquelle le fuc gaftrique des animaux à fang chaud n'agit point. Il n'en eft pas de même du fuc gaftrique des animaux à fang froid; il conferve encore fa vertu diffolvante dans une température égale à celle de l'atmosfphère. On voit aifément la caufe finale de cette différence.

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M. Hunter, de la Société Royale de Londres, a publié un Mémoire dans lequel il rapporte qu'en difféquant des cadavres humains, il a trouvé très-fouvent la grande extrémité de l'eftomac notablement diffoute, quelquefois même rompue. Dans ce dernier cas, les bord de la rupture, qui étoient aufli diffous, avoient donné paffage aux matières contenues dans le ventricule, d'où elles étoient tombées dans la cavité de l'abdomen. Comme M. Hunter connoiffoit les maladies qui avoient fait périr ces cadavres, il favoit que le phénomène dont il s'agit ne provenoit point de quelque vice antérieur à la mort d'ailleurs, il avoit obfervé le même fait dans des hommes tués d'une mort violente. Il conjectura donc que cette diffolution fingulière provenoit de la continuation de la digeftion après la mort; de manière que les fucs gaftriques avoient le pouvoir de diffoudre l'eftomac lui-même, lorfqu'il étoit privé du principe vital.

Notre Auteur, qui connoifoit, par fes propres obfervations, l'activité du fuc gaftrique hors du corps, de l'animal, comprit d'abord que cette conjecture étoit fondée; & il chercha à en démontrer la folidité par des expériences directes. Il commença par vifiter, non des cadavres humains, parce qu'il n'en avoit pas la commodité, mais des cadavres d'animaux; & il en rencontra quelques-uns dont la tunique intérieure de l'estomac étoit altérée en différens points, mais aucun dont le défordre fût auffi grand que le repréfente l'Anatomifte Anglois : alors il examina la chofe fous un autre point de vue. Si les fucs gaftriques, fe dit-il à lui-même, exercent leur action fur les parois du ventricule après la mort de l'animal, à plus forte raison l'exerceront-ils fur les alimens qui feront à leur portée. Il s'agit donc de favoir fi, dans ce cas, ils diffoudront les matières alimentaires. Pour s'en affurer, il fit avaler à une corneille quelques morceaux de chair, & la tua un moment après; puis il la plaça dans une étuve pendant fix heures, &, au bout de ce temps, il examina l'état de la chair: il la trouva déjà fort diffoute; elle s'étoit réduite en gelée en grande partie, & fon poids étoit diminué de moitié. Il répéta

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en été cette même expérience, & la corneille qu'il choifit pour victime fut expofée au foleil immédiatement après la mort, pour que la chaleur facilitât la digestion. Le résultat fut plus décifif encore; la diffolution de la chair étoit plus avancée, & une portion avoit déjà paffé dans le duodenum.

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Non fatisfait encore de ces premiers effais, il prit une autre corneille qu'il tua; & lorfque fa chaleur naturelle fut évaporée, il introduifit dans fon eftomac quelques portions de chair qu'il y laiffa un certain temps: puis, en les vifitant, il reconnut que, malgré ces circonftances défavo rables, la diffolution s'étoit établie. Les chats & les chiens ont été soumis aux mêmes épreuves, & ont préfenté les mêmes résultats. Il est donc bien démontré que la digeftion peut encore fe continuer après la mort; & ce qu'il y a de plus fingulier, c'eft que les fucs gaftriques peuvent agir fur les parois de l'eftomac. Il est sûr qu'un chien, auquel on fait avaler quelques parties des inteftins d'un autre chien, & qu'on tue l'inftant d'après, digère affez bien cette nourriture. C'eft la meilleure preuve qu'on donne ici de cette puiffance de la liqueur gaftrique; car d'ailleurs, M. Spallanzani n'a jamais pu appercevoir fur aucun cadavre d'animal, le phénomène remarquable que M. Hunter a découvert fur des cadavres humains & fur ceux des animaux.

Je vois encore ici une expérience affez fingulière, dont il faut dire un mot. Notre Auteur arracha le ventricule d'une corneille & celui d'un chat, puis il les remplit de chair; & après avoir lié leurs extrémités, il les plaça au foleil dans un feau d'eau, afin qu'ils ne fe defféchaffent point. Son but étoit de favoir fi, même dans ce cas, il fe feroit quelque diffolution. Cinq heures après, il vifita toutes ces parties, & il lui parut qu'il y avoit déjà quelqu'altération à la furface de la chair, quoiqu'on ne pût pas l'appeler proprement diffolution.

Dans la fixième Differtation, on examine fi les alimens fermentent dans l'eftomac, comme la plupart des Médecins le croyoient vers la fin du dernier fiècle. Dans ce temps, on expliquoit prefque toutes les fonctions animales par des fermentations particulières, comme, de nos jours, on a appliqué l'électricité à tous les phénomènes phyfiques.-Boerrhaave réforma cette théorie; il crut cependant devoir conferver la fermentation pour la digestion, réfléchiffant que la plus grande partie des alimens dont nous nous nourriffons font fermentefcibles, qu'ils font mêlés dans l'eftomac avec la falive qui peut fuppléer à l'eau, que l'air & la chaleur peuvent y manifefter leur influence: il n'imagina pas qu'on pût nier un commencement de fermentation; mais, fuivant lui, elle ne s'achevoit pas, à cause de la briéveté du séjour des alimens dans l'eftomac.

Cette opinion a été affez généralement adoptée, quoiqu'elle ne fût pas appuyée fur des obfervations directes; & récemment, MM. Pringle & Tome XIX, Part. I, 1782. JA NVIER.

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Macbride ont fait, chacun de leur côté, de nouvelles expériences, qui ont paru la juftifier complètement; en forte qu'aujourd'hui on ne doute plus que la fermentation ne joue le principal rôle dans la digestion. Voyons le fentiment de l'Auteur fur ce fujet. Avant de l'expofer, il rapporte, en détail, la principale Jexpérience des deux Phyficiens Anglois. Ces Meffieurs préparèrent différentes fubftances animales & végétales, les mêlèrent avec de l'eau & de la falive, les placèrent dans un lieu chaud, & fe rendirent attentifs aux changemens qu'elles fubirent: ils remarquèrent que toutes ces matières commençoient à fermenter après un temps plus ou moins long, que ce mouvement de fermentation devenoit enfuite confidérable, & s'appaifoit à la fin, en laissant aux substances décomposées beaucoup de douceur & d'onctuofité.

Ils conclurent de ce qui fe paffe dans ces vafes à ce qui doit fe paffer dans le ventricule, & affirmèrent que la digeftion n'étoit qu'une fermentation continuée, d'où réfultoit la converfion des alimens en un chyle doux &

onctueux.

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M. Spallanzani a répété cette expérience, & l'a trouvée très - exacte : mais il n'en a pas tiré les mêmes conféquences; il ne lui a pas paru que ce qui fe paffoit dans fes vafes fût un indice sûr de ce qui fe paffe dans T'eftomac, parce que les alimens féjournent trop peu dans le ventricule; que d'ailleurs ils s'y trouvent mêlés avec les fucs gaftriques, qui n'ont pas le même mode d'agir que la falive.-Si l'on expofe hors du corps des morceaux de viande dans la liqueur gaftrique, ils commencent bientôt à s'y diffoudre; & lors même que la diffolution ne s'y achève pas, la liqueur les préferve de la putréfaction; au lieu qu'en les expofant à l'action de la falive feule, ils s'y corrompent plus vite que dans l'eau commune. MM. Pringle & Macbride ont donc oublié une circonftance effentielle en ne mêlant pas aux fubftances qu'ils employoient, du fuc gaftrique, au lieu de falive. Notre Auteur a réparé cet oubli; il a fait les mêmes préparations que les Phyficiens Anglois, mais en employant du fuc gaftrique au lieu de falive; & le réfultat a été très différent: plus d'indice de fermentation, plus de mouvement inteftin, diffolution complète. Il apparoiffoit bien de temps en temps quelques bulles d'air; mais c'eft l'effet naturel de toutes les diffolutions; & d'ailleurs, ces bulles étoient beaucoup plus rares lorfqu'il agitoit légèrement les vafes de fes expériences. Cette dernière circonftance n'eft pas indifférente; car l'eftomac occupé de la digeftion, a toujours quelque mouvement particulier, fans compter celui que tout le corps prend à la fois. Ceci nous rend déjà fort douteufe la conclufion des Auteurs Anglois; les expériences fuivantes acheveront de la détruire. L'Abbé Spallanzani a ouvert plufieurs animaux au moment de leur digeftion, pour examiner l'état des alimens contenus dans le ventricule; & il s'eft affuré que la maffe alimentaire ne préfenroit pas le moindre indice de fermentation, c'est-à-dire, ni bulles d'air,

ni écumes, ni mouvement inteftin. Cette obfervation a été faite fur des poules, fur des corneilles, fur des chiens, fur des vipères, dont la digeftion eft fort lente; & dans toutes le résultat a été parfaitement le

même.

On ne doit point objecter ici qu'on éprouve quelquefois pendant la digeftion des rapports aigres, fignes affez sûrs d'une fermentation déjà établie : car comme cette acidité ne fe manifefte pas dans toutes les digef tions, elle n'en eft pas une fuite naturelle; elle dépend plutôt de la nature des alimens qu'on a pris, qui tendent à l'acefcence, que des fucs gaftriques mêmes qui n'y ont aucune difpofition; c'eft par conféquent un indice d'une digeftion mal faite ou d'un eftomac foible dont il ne doit point être queftion. Pour prouver que les fucs gaftriques n'ont aucun caractère acide, l'Auteur rapporte, en détail, l'analyfe chymique qu'en a faite M. Scopoli, dont il réfulte qu'ils font parfaitement neutres.

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On ne diffimule point ici une autre objection plus fpécieuse: c'est qu'on emploie la tunique intérieure de l'eftomac d'un veau pour cailler le lait. Or, cette qualité indique une difpofition à l'acidité, ou un principe acide caché. Il n'eft donc pas impoffible qu'il s'établiffe une fermentation dans Peftomac voilà un levain propre à l'exciter. M. Spallanzani s'étoit propofé cette difficulté à lui-même, & il entreprit quelques expériences pour en apprécier la force; il s'affura bientôt que la tunique intérieure de l'eftomac pouvoit effectivement cailler le lait: elle a même cette vertu à un tel point, que fi on la defsèche pour la garder plufieurs années fans qu'elle fe corrompe, on trouvera, au bout de trois ans, qu'elle eft encore capable d'agir fur le lait, & comme les autres tuniques du ventricule n'ont pas cette prérogative au même degré, & que celle-ci eft beaucoup plus abreuvée de fuc gaftrique que les autres, il eft clair qu'elle doit la propriété de cailler le lait aux fucs gaftriques, d'autant que ces fucs feuls & purs le caillent parfaitement. Mais, dit-il, cette qualité suppose-t-elle qu'ils foient acides? M. Macquer l'affirme. Il faudra donc auffi accufer d'acidité quelques autres parties animales, comme le foie, le cœur, le poumon d'un coq d'Inde, qui, coupés en morceaux, ont le même pouvoir fur le lait. L'Auteur ne paroît pas difpofé à le croire; cependant il laisse la queftion indécife —.

D'autres Médecins ont penfé que la digeftion étoit un commencement de putréfaction; ils fe fondent fur l'odeur qu'exhale le ventricule de quelques animaux, comme la hyenne & le lion, & fur la putridité qui s'engendre dans l'eftomac de l'homme par le trop long féjour des alimens. M. de Haller, qui rapporte ces faits & d'autres du même genre dans fa Phyfiologie, ne paroît point éloigné d'adopter la conclufion qu'on en tire; & cette opinion a été foutenue plus récemment encore par deux Médecins François célèbres, MM. Macquer & Gardanne.

Tome XIX, Part. I, 1782. JANVIER.

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