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de poiffon. Ayant vu des ichthyolithes dans les carrières à plâtre de Provence, je foupçonnai qu'il pourroit bien y en avoir auffi dans celles de l'Ile de France. Je questionnai les ouvriers, & ils m'apprirent qu'ils en avoient trouvé un vers la fin de l'année 1779 (1). Le 4 Octobre 1781, ils en ont rencontré un autre, que j'ai dans mon Cabinet, & dont on peut voir la figure pl. I, fig. 2. Il a deux pouces de longueur. Il adhère très-peu à la pierre fur laquelle il eft appliqué; & les ouvriers, en le grattant, ont détaché les nageoires & une partie de la queue: ce qui empêche qu'on puiffe en déterminer l'espèce. On diftingue très-bien la tête, l'œil, l'impreffion de la colonne vertébrale & des côtes. Il eft d'une couleur noire ; & une petite partie, mife fur des charbons ardens, a donné une odeur bitumeuse. La propre fubftance du poiffon m'a paru entièrement détruite; elle a été remplacée par une matière gypfeufe, qui en a confervé la forme, & qui eft imbibée des fucs que l'animal a fournis en fe décompofant.

Ce poiffon paroît avoir été applati comme fi on l'avoit mis à la preffe, ainfi que l'oifeau que j'ai décrit. Il n'en eft pas de même de ceux qu'on trouve dans les pierres calcaires. M. Bergman l'a très-bien observé; & voici comment il s'exprime.

« C'eft avec furprise que j'ai remarqué, il y a déjà long-temps, que des poiffons, des orthocératites, des lituites,&c., qui fe trouvent dans l'ardoife, » y ont été applatis; tandis que dans la chaux (c'eft-à-dire, dans la pierrecalcaire) ils confervent leur rondeur, fans être gênés en aucune ma» nière . . . . La caufe de cet effet est un mystère, & peut-être l'igno»rerons-nous encore long-temps Il y a eu des matières bitumi» neufes qui y ont pénétré, mais par quel moyen ce bitume s'y eft - il porté? comment enfin ces corps, qui y font renfermés, fe font-ils placés » horizontalement » (2)?

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On conçoit qu'une male de pierre ayant été dépofée peu-à-peu par les eaux dans lesquelles elle étoit primitivement diffoute, les coquilles qui tomboient fucceffivement fur les couches déjà dépofées, ont dû fe placer horizontalement; car elles ne pouvoient le foutenir fur le tranchant. A l'égard du bitume, il n'y eft venu d'aucun endroit ; mais il s'y eft formé, comme je l'ai déjà dit, par la décompofition du corps inclus. On convient aujourd'hui que le bitume a une origine végétale; lors donc que je verrai entre deux pierres l'empreinte bitumineufe d'une plante, & quelquefois la plante même changée en bitume, je ferai très-fondé à dire que ce bitume n'eft dû qu'à la décompofition de la plante: & cette obfervation d'Hiftoire Naturelle viendra à l'appui de ce qu'affurent les Chymiftes. Mais

(1) Ce poiffon a paflé dans le Cabinet de M. de Joubert, où je l'ai vu. Il n'eft pas inclus dans le gypfe, mais dans la marne, qui lui eft fuperpofée.

(2) Lettres fur l'Islande, 1781, P. 419.

puifqu'on trouve des poiffons, des oifeaux & d'autres animaux, qui, en Le décompofant, ont laiffé une trace vraiment bitumineufe, je crois qu'on doit rapporter l'origine du bitume, non-feulement aux matières végétales décomposées, comme on le fait ordinairement, mais encore aux matières animales.

Voici comment il me paroît qu'on peut expliquer les divers états de compreffion des foffiles, felon la différence des matières qui les contien

nent.

Je remarquerai d'abord, 1°. que les poiffons qu'on trouve dans les pierres gypfeuses, au lieu d'être pleins comme ceux que contient la pierre calcaire, font comprimés comme ceux qui font renfermés dans les fchyftes & les ardoises; 2o. on voit le plus fouvent un relief d'un côté & une empreinte de l'autre ; 3°. le relief eft toujours dans la couche fupérieure, & l'empreinte dans la couche inférieure; 4. le relief eft de la même matière que la pierre.

Cela pofé, & en prenant l'ornitholithe de Montmartre pour exemple, je dis que les eaux lacueftres (car je prouverai bientôt que ce ne font pas les eaux de la mer) ont dépofé peu-à-peu la terre qu'elles tenoient en diffolution. Le nombre des couches nous prouve encore aujourd'hui la fucceffion des dépôts. L'oifeau étant mort, eft tombé au fond de l'eau ; & comme la dernière couche dépofée étoit encore molle, l'oifeau y a fait fon empreinte : l'eau continuant de dépofer, il n'a pu foutenir le poids de tous les dépôts, fans fouffrir une grande compreffion.

Si la même chofe n'eft pas arrivée aux pétrifications contenues dans la matière purement calcaire, c'eft parce qu'elle a durci plutôt, & que les corps inclus n'ont eu à fupporter que les premières couches, qui, bientôt confolidées autour d'eux, les ont garanties de la preffion des dépôts furve

nus.

Dans le gypse, comme dans les pierres argileuses, la matière a été plus long-temps bougufe; l'oifeau a fupporté la preffion de toutes les couches fuperpofées : de-là, l'impreflion forte qu'il a laiffée fur la couche

inférieure.

Il y a eu enfuite équilibre entre la réfiftance de la couche inférieure confolidée, & la preffion des couches fupérieures: de-là, fon état de compreffion & d'aplatiffement.

Le corps s'eft enfuite pourri, la matière des couches fupérieures a coulé dans le creux que l'oifeau avoit fait dans la couche inférieure: de- là, le relief qu'on voit encore fous la couche fupérieure après la féparation, & qui a à-peu-près quatre lignes de hauteur.

La couche fupérieure étoit plus molle que la couche inférieure antérieurement déposée : de là, la facilité qu'on a de les féparer, & que dans la féparation il y a une grande partie de l'oifeau qui a refté attachée au relief.

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La couche inférieure étoit donc encore molle lorfque la fupérieure a été déposée; cet état de demi-liquidité a duré très-long-temps. La différence dans l'état de molleffe des couches a été affez grande pour qu'elles ne s'amalgamaffent pas entr'elles; mais elle ne l'étoit pas affez pour qu'elles n'adhéraffent en partie l'une à l'autre. Dans la pierre calcaire, la féparation des couches fe fait plus difficilement que dans le gypfe, les pierres argilenfes, &c.; & les corps inclus y confervent ordinairement leur forme primitive, parce que la partie inférieure de la couche calcaire a été plutôt durcie, & que la partie fupérieure qui touchoit l'eau a refté plus long-temps

molle.

On peut donc connoître, par l'état actuel des pétrifications, l'état antérieur des pierres qui les renferment. Celles que nous trouvons dans le gypfe & dans les matières argileufes, nous font voir qu'en général elles fe font confolidées beaucoup plus tard que les pierres calcaires. C'est par cet état lent de confolidation qu'on pourroit expliquer les prifmes gypfeux des environs de Paris, fi bien décrits par M. Definaretz, ainfi que de grands retraits rhomboïdaux, que j'ai obfervés dans les fchyftes de Normandie & de Bretagne. J'ai trouvé auffi des retraits réguliers dans les granits; mais je parlerai ailleurs de ces pierres, que plufieurs Naturaliftes regardent comme inexplicables, & je prouverai, par l'obfervation & les faits, qu'elles ont une origine calcaire & animale.

§. III. Offemens foffiles de divers animaux.

M. Guettard a décrit (1) plufieurs offemens trouvés dans les carrières à plâtre des environs de Paris. Après avoir bien examiné une omoplate, une vertèbre, plufieurs côtes & une mâchoire mutilée, ce Savant conclut que l'anatomie des animaux, & fur-tout celle des poiffons, eft fi imparfaite, qu'il n'eft prefque pas poffible de déterminer à quels animaux ces os foffiles ont appartenu; il conjecture cependant qu'on ne doit point les rapporter à des fquelettes d'animaux terreftres, mais plutôt à des animaux aquatiques.

On lit dans les Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1694, que M. Morin fit voir à cette Compagnie une côte trouvée dans les plâtrières de Montmartre: M. Mery crut y reconnoître la côte d'une fort grande tortue; cette conjecture m'a d'autant plus frappé, que j'ai trouvé dans une pierre calco-gypfeufe, des environs d'Aix, des écailles entières de tortues, qu'on avoit prifes pour des têtes d'hommes, ou des noyaux de nautiles.

En 1767, le Père Cotte trouva à Montmorency, dans une carrière de

(1) Mém. fur les Sciences & Arts, T. I, p. 1,

gypfe

gypfe, une mâchoire mutilée ; il en est fait mention dans les Mémoires de l'Académie.

Divers Auteurs, d'ailleurs eftimables, n'ont pas imité la réserve avec laquelle M. Guettard a parlé de ces offemens. Ils ont avancé, fans en donner la moindre preuve, & même contre toute vraisemblance, qu'ils avoient appartenu à des fquelettes humains. Il n'y a qu'à jeter les yeux fur les planches jointes au Mémoire de M. Guettard & à celui-ci, pour être convaincu de la légèreté de cette affertion (1).

J'ai fouvent vifité les carrières à plâtre de l'Ile de France, & me fuis procuré plufieurs des os foffiles qu'elles renferment. Après les avoir examinés attentivement, ainfi que la plupart de ceux que j'ai trouvés dans les Cabinets d'Hiftoire Naturelle de la Capitale, je les ai comparés avec les os des animaux décrits par les Auteurs, ou confervés dans le Cabinet du Roi. On pourra juger, par la fuite de ce Mémoire, jusqu'à quel point j'ai réufli dans mes recherches.

Les animaux renfermés dans les pierres fe confervent ou s'altèrent, felon leur nature propre & celle des différens acides que ces pierres contiennent. J'ai vu un chat, trouvé il y a quelques années à Paris dans l'épaiffeur d'un mur du Palais; il n'a perdu que les parties molles & les poils: fes offemens font entiers, & fa peau eft unie & sèche comme un parchemin. Aen juger par l'ancienneté du mur qu'on a détruit, ce chat momie a près de cinq cents ans. Il eft à préfent chez Madame Moreau, Peintre en cheveux, visà-vis du Palais.

Tous les offemens qu'on rencontre dans les maffes gypseuses des environs de Paris ont prefque confervé leur état naturel, & donnent chymiquement les mêmes résultats que les offemens des animaux vivans. M. Darcet en a fait publiquement l'analyfe au Collége Royal, & il en a retiré un flegme inodore, un esprit alkali volatil, de l'alkali volatil concret, du verre phofphorique & une fubftance terreuse. M. Berniard avoit déjà obtenu les mêmes produits des offemens foffiles du Margraviat de Bareith, & ils ne different point de ceux que lui ont donné des os de bœuf, d'éléphant', de baleine & de marfouin.

Voici les différences que j'ai remarquées entre les os fofiles de Montmartre & les os naturels. 1°, Ils font plus friables, & fe délitent quelquefois en plein air, ou expofés dans des lieux humides; ce qui peut venir du gaz qu'ils ont perdu pendant leur féjour dans la pierre, & qu'ils re prennent avec avidité. 2°. Ils ont une couleur jaune à-peu- près comme

(1) Il paroit que l'erreur dans laquelle on eft tombé, au fujet de ces offemens, eft r's-ancienne. Mont-Martre fignifie en Celtique montagne de la demeure des morts. On a enfuite placé le Dieu de la Guerre, en l'appellant Mons-Martis ; & dans les temps modernes, on lui a donné le nom de Mons-Martyrum,

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Tome XIX, Part. I, 1782. MARS.

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le marbre blanc & l'ivoire qui ont refté long-temps en plein air. Cette couleur leur donne une fauffe apparence d'agate, en rendant leur poli plus fenfible à l'œil. 3°. Expofés au feu dans des vaiffeaux ouverts, ils ne s'enflamment pas comme les os naturels ; ce qui prouve que les offemens foffiles de Montmartre ont perdu cette partie graiffeufe logée dans le tiffu réticulaire, qui eft la caufe de l'inflammation, de la fumée épaiffe & de l'odeur empyreumatique des autres os pendant leur calcination, Les offemens foffiles d'Aix en Provence, & d'autres que j'ai trouvés dans les carrières de Léognan près de Bordeaux, ne répandent non-plus aucune odeur, & ne s'enflamment point fur des charbons ardens; tandis que l'os foffile de la rue Dauphine, ceux du Margraviat de Bareith, & les offemens des animaux amphibies qu'on trouve dans le Canada & la Sibérie, brûlent en général au feu comme les os des animaux vivans.

On peut voir à la planche I la figure d'une dent enclavée en partie dans un morceau de pierre gypfeufe. Elle eft deffinée d'après Nature; on l'a trouvée, il y a fix mois, à Montmartre, & je l'ai dans mon Cabinet. Elle n'a rien de commun avec celle que M. Guettard a décrite, & qui paroît être une dent incifive. La forme de celle-ci indique une dent molaire; elle a deux racines, à l'une defquelles eft une petite faillie en forme de cro chet (pl. I, fig. 3, lettre D). Ces racines ont chacune une inclinaifon dans un fens contraire; ce qui devoit contribuer à les mieux fixer dans la mâchoire. Le corps de la dent forme un quarré long, dont les angles font abattus, & on n'apperçoit aucun fillon fur fa furface convexe: fa furface plane a un poli extraordinaire. Elle est d'un tiers plus étroite d'un côté que de l'autre, & a deux lignes du côté le plus étroit (lettre A). Ily a une faillie en dos-d'âne ( lettre B), qui partage cette furface en deux parties inégales. On voit fur le côté de la partie la plus grande (lettre C) un petit creux qui part de la furface convexe & s'étend en ligne affez droite jufqu'au milieu de la furface plane. Cette même surface plane eft partagée dans le fens de la longueur par une raie liferée de blanc; ce qui, joint à l'émail de la dent, la fait reffembler à une agate cuillée. La furface convexe, ainfi que la racine, ont un poli beaucoup moins lui

fant.

J'ai tâché de décrire exactement cette dent, pour qu'on puiffe la comparer avec celles qu'on découvrira dans la fuite. Si les Ñaturaliftes, qui ont parlé des offemens foffiles, avoient tous eu la même attention, l'Ostéologie minérale feroit une Science plus avancée.

La planche II, fig. 1, représente la plus belle pétrification de ce genre qu'on connoiffe; c'eft une partie de mâchoire avec toutes fes dents, enclavée dans une pierre gypfeufe de Montmartre. Ce morceau curieux appartient à M. de Joubert, Tréforier - Général des Etats de Languedoc, qui a bien voulu me le communiquer. Je l'ai fait deffiner fous mes yeux, & il a été rendu avec beaucoup d'exactitude. Comme on a conservé dans

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