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JOURNAL DE PHYSIQUE.

MARS 1782.

DESCRIPTION

De divers Fofiles trouvés dans les carrières de Montmartre près Paris, & vues générales fur la formation des Pierres gypfeuses;

Par M. Robert DE PAUL DE LA MANON.

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§. I. Oifeau pétrifié.

ES Anciens ont parlé des coquilles renfermées dans le fein de la terre, & les ont regardées, fans aucun examen, comme des preuves du féjour de la mer fur le continent; ils ont auffi fait mention de grands offemens détachés des montagnes, qu'ils ont pris pour des fquelettes de Géans: mais ils n'ont point connu les ornitholithes ou pétrifications d'oifeaux. Albertle-Grand, Ecrivain du moyen âge, eft le premier qui ait dit quelque chofe de ce genre de pétrification. Il parle d'une branche d'arbre trouvée près de Lubeck, fur laquelle étoit un nid plein de petits oifeaux pétrifiés (1). Ce fait eft trop extraordinaire, & l'Auteur qui le raconte trop crédule, pour mériter notre affentiment, Agricola affure qu'on trouva en 1539 l'empreinte d'un coq dans une pierre (2); mais ce qu'il ajoute rend fon affertion très-douteuse: car il dit qu'il y avoit fur la même pierre la vraie figure d'un Pape, ayant une triple couronne (3). Mylius parle auffi d'une poule empreinte fur une ardoife cuivreufe (4). Il en donne la

(1) Lib. 1, miner. tract. 1, cap. 7.

(2) Agric., lib. 10, fol, pag. 371.

(3) Cette pierte fingulière paffa entre les mains de Luther, & fut enfuite présentée à François Ier. Albin., p. 105.

(4) Memor. Saxon. fubterran., part. I, P: 47.

Tome XIX, Part. I, 1782. MARS.

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OBSERVATIONS SUR LA PHYSIQUE, figure, ainfi que d'une tête ayant une grande perruque, que fon imagination lui faifoit appercevoir fur une ardoife de la même carrière. On doit regarder toutes ces pierres comme des jeux de la Nature; & il ne feroit pas plus raifonnable de croire à la poule de Mylius, qu'au nid d'Albert-le-Grand & au coq d'Agricola.

Je pafferai fous filence tout ce qu'ont écrit fur ce fujet Buttner (1), Volkmann (2), Gefner (3), Zanicheli (4), Bruckmann (5) Kundmann (6), &c. ; il paroît que ce qu'ils ont pris pour des oifeaux pétrifiés n'étoit que des incruftations falines faites artificiellement dans les bâtimens de graduation, ou des incrustations pierreufes, comme celles qu'on obtient aux bains de Saint-Philippe. On voit un nid de cette efpèce, venant de Saxe, dans le Cabinet de M. Seguier de Nîmes.

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Tous les Naturaliftes conviennent que les vrais ornitholithes font fort rares; on les regarde même, dans l'Encyclopédie, comme des pétrifications fuppofées. M. Bertrand dit auffi « qu'il ne fait fi on a jamais vu d'oifeau > entier pétrifié, quoique Linnæus & Vallerius en parlent (7). Il ajoute " que les parties de ces oifeaux peuvent être plus communes; que cepen»dant il eft fort à craindre qu'on ait été trompé par une prétendue ref » femblance à laquelle l'imagination & le defir des chofes rares auront donné >> lieu »> (8).

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Il eft fait mention, dans le Catalogue de Davila, d'un tibia & d'un bec d'oifeau empreints fur deux pierres différentes. M. Rouelle, au rapport de M. Darcet, avoit trouvé, dans les carrières à plâtre de Montmartre, des parties d'oifeau féparées les unes des autres. J'ai vu auffi, dans le Cabinet d'Hiftoire Naturelle de Bordeaux, quelques os qu'on feroit tenté de rapporter à des oifeaux; ils ont été trouvés par M. l'Abbé Defbiey dans les carrières de Léognan, qui font à deux lieues de cette Capitale. On ne peut cependant affurer que ces offemens ifolés aient appartenu à des oifeaux, bien que leur cavité médullaire foit fort grande relativement à leur épaiffeur. Aucun Anatomifte n'a déterminé quel eft le rapport de cette cavité avec le corps offeux dans les différentes claffes d'animaux; il eft même probable qu'on ne pourroit établir à cet égard de règle générale, & que certains animaux aquatiques ont des os auffi légers & auffi déliés

(1) Ruder. diluv. teft., p. 64.

(2) Siles. fubter., p. 144.

(3) De petrificatis, 1758. Cap. xx, p. 66.

(4) Mufaum, cité par d'Argenville. Oryct, p. 333.

(5) De nidis avium petrefaftis. Lettre 5 de la feconde Centurie des Epitres Itin. 6) Promptuarium, p. 254.

(7) Vallerius & Linnæus ne parlent d'oifeaux pétrifiés que d'une manière générale ; ils ne citent aucun exemple.

(8) Dift. des Foff., art. Ornitholithes,

que plufieurs oifeaux. Pour ce qui eft des becs féparés du corps, il eft auffi très-facile de s'y tromper; & l'on fait que les becs d'oifeau, qu'on a cru voir pendant long-temps dans l'ambre gris, ont été reconnus pour des becs de sèche ou de calmar, lorfqu'on les a mieux examinés.

Mais en écartant de tout ce que les Auteurs ont rapporté ce qui n'eft dû qu'à une imagination exaltée, il refte quelques fairs fur lefquels on ne peut plus fe permettre de doute légitime, depuis la belle découverte qu'on vient de faire, & dont je vais rendre compte.

Le 2 Novembre de l'année paffée, M. Darcet fut faire une promenade lithologique à Montmartre, & trouva entre les mains d'un des ouvriers qui travailloient aux plâtrières, un oifeau pétrifié de la plus belle confervation. Nous n'aurions peut-être pas eu de long-temps la preuve complète de l'existence des ornitholithes, fi ce Savant n'eût été ce jour - là à Montmartre. Les ouvriers détruifent tout ce qu'ils découvrent, ou le vendent au premier venu; ce qui eft autant de perdu pour les progrès de l'Hiftoire Naturelle. M. Darcet, occupé dans ce moment de travaux chymiques les plus importans, & du Cours qu'il fait au Collège Royal, a bien voulu me confier cette pétrification, & m'inviter à la décrire.

La butte de Montmartre eft élevée d'environ 40 toifes fur le niveau de la Seine à Paris; la pierre gypfeufe, dont elle eft principalement compofée, y eft arrangée par couches horizontales plus ou moins diftinctes, plus ou moins adhérentes les unes aux autres. On voit à l'endroit de leur contact une raie qui paroît contenir une matière légèrement ferrugineufe. Si on les fépare les unes des autres, & qu'on obferve leurs furfaces, on les trouve moins brillantes que l'intérieur de la pierre: elles ont auffi une légère teinte de rouge.

On fe fert de la poudre pour exploiter ces carrières & obtenir des blocs qu'on brife enfuite à coups de marteau; c'est dans l'intérieur de la pierre, à plus de 20 toifes du fommet, & entre deux couches qui avoient entr'elles de l'adhérence, qu'on a trouvé l'oifeau en queftion. La plus grande partie de fa fubftance a fuivi la couche fupérieure, & on en voit le refte avec l'empreinte du total dans la couche inférieure. Il eft pofé fur le côté une de fes aîles eft étendue, & l'autre repliée; la tête est tournée de manière qu'on voit un œil, le deffous du bec & une partie du deffus. Sa fituation eft naturelle, & il n'y a aucune tranfpofition dans les parties. Il paroît donc qu'il n'a pas été enfeveli vivant, & qu'il n'a point péri dans une catastrophe, dont fes ailes n'auroient pu le garantir; mais étant mort, il est tombé au fond d'une eau tranquille, qui a dépofé, dans la fuite des temps, toutes les couches fupérieures. Les parties molles fe font confumées, ainfi que les plumes, & n'ont laiffé qu'une trace qui a trèspeu d'épaiffeur. Ces parties molles ont entraîné dans leur diffolution les os minces des côtes & des vertèbres; la pierre en a été pour ainfi dire Tome XIX, Part. I, 1782. MARS. Z2

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imbibée, & il n'y a que les os des extrémités qui fe foient confervés. C'est ainfi que, dans les ichthyolithes, les arètes renfermées au milieu d'un corps mol fe font comme fondues, & n'ont laiffé fur la pierre qu'une impreffion bitumineuse, dont on doit rapporter l'origine à la décompofition du corps de l'animal. Si l'on retrouve de la fubftance du poiffon, c'est toujours loin des parties molles, comme vers la queue, la tête & les nageoires. Dans l'ornitholithe de Montmartre, nous voyons les os des aîles & ceux d'une cuiffe dans un état prefque naturel. Ils ont une couleur jaunâtre comme tous les os qu'on trouve dans ces carrières: on y diftingue la cavité médullaire & le tiffu intérieur. Le bec a fouffert une altération un peu plus grande que les os des aîles; cependant on apperçoit trèsbien fa forme: il conferve même encore une partie de fa matière pri

mitive.

Pour juger de la pofition de cet oifeau fur la pierre qui le contient, il n'y a qu'à jetter les yeux fur la figure que j'en donne, & qui eft la première de la planche I, jointe à ce Mémoire. Il y eft deffiné d'après Nature.

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Voici les dimensions des parties les plus visibles.

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Il feroit fans doute curieux de déterminer l'efpèce de cet oifeau; mais les vrais Naturaliftes favent combien on doit être réfervé lorfqu'il s'agit de prononcer dans une matière auffi neuve & auffi difficile. Ici, les pattes manquent, & on ne peut faire des conjectures fondées fur le nombre & la pofition des doigts. Nous avons à la vérité plufieurs offemens & la forme du bec; mais cela ne fuffit pas pour faire reconnoître l'efpèce: on feroit peut-être moins embarraffé, fi on nous avoit donné les dimenfions relatives des différentes parties des oifeaux, felon leurs différentes efpèces, au lieu de fe fervir des mots vagues de plus gros, plus longs, &c. Les Naturaliftes ne peuvent qu'avoir vu avec le plus grand regret que M. Daubenton n'ait

pas accompagné l'Hiftoire Naturelle des oifeaux, publiée par M. de Buffon, des mêmes recherches anatomiques dont il a enrichi l'Hiftoire des animaux quadrupèdes.

La queue de l'oifeau que nous examinons eft difpofée en triangle, & les plumes (autant qu'on peut en juger par la trace confufe qu'elles ont laiffée) ont toutes une longueur égale. Je ne fais fi on a jamais trouvé de plumes qui aient laiffé une empreinte plus vifible. Scheutzer parle d'une queue d'oifeau trouvée dans les carrières d'Eningen, & il la regarde comme le feul monument connu de pétrification d'oifeau (1); mais il n'entre à ce fujet dans aucun autre détail.

Le bec eft très-enfoncé dans la tête; de forte que fi on faifoit à la racine une fection perpendiculaire à la direction du bec, on emporteroit une partie du crâne.

Cet oiseau n'eft guères plus gros qu'une fauvette; la forme du bec & la longueur de l'os de la cuiffe, relativement aux dimenfions de l'animal, le rapprochent des oifeaux qui fréquentent le bord de l'eau, & fe nourriffent d'infectes & de vers. La mandibule inférieure eft mince, la mandibule fupérieure très - plate: le bec eft grèle & foible; ce qui l'exclut du genre des granivores. Il paroît avoir une très large ouverture; ce qui le rendoit propre à faifir les infectes tout vivans. Voilà tout ce que que je puis dire avec quelque certitude. On fait qu'il y a des oifeaux qu'on ne peut diftinguer que par le plumage; il y en a d'autres qui nous font inconnus, fans compter ceux dont les analogues n'exiftent plus. L'analogie nous porte à croire que, parmi les nombreux habitans des airs, comme parmi les animaux aquatiques, il y a des efpèces perdues; & cela: a dû néceffairement arriver lorfque les lacs, qui ont dépofé les coquilles actuellement foffiles, fe font écoulés. Si le lac de Genève s'ouvroit un, passage fouterrein, comme a fait la mer Cafpienne (dont j'attribue la diminution à l'agrandiffement de ce paffage); fi les dépôts des rivières, qui fe jettent dans ce lac, venoient à bout de le combler; ou fi le Rhône renverfoit les barrières naturelles de ce grand amas d'eau douce, plufieurs oifeaux, qui lui font propres, difparoîtroient avec lui. On connoît plufieurs infectes pétrifiés, dont les analogues n'exiftent plus (2); & les exemples en feroient moins rares, fi l'on examinoit attentivement ceux qui font renfermés dans le fuccin.

§. II. Empreinte de Poiffon.

On favoit que les pierres gypfeuses, des environs de Paris, contiennent. des offemens; mais on ignoroit qu'elles renfermaffent auffi des empreintes.

(1) Sch. pifcium querela. 1708.

(2) Tranf. philof., 1750, no. 494, art. 14, 15.

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