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gradée; juste punition d'un corps souverain qui craignait la république sans oser lui résister, et qui la désirait sans oser la servir! Le peuple, qui sentait la faiblesse de ses représentants, faisait tout seul la république; mais comme le peuple fait tout quand il est sans gouvernement, par le désordre, par la flamme et par le sang, il ne conservait envers l'Assemblée qu'une apparence de respect légal, comme pour avoir l'air de respecter quelque chose; mais au fond il avait pris la dictature en prenant les armes. Les hommages qu'il affectait de rendre à la représentation n'étaient que les ordres respectueux qu'il lui donnait. Le véritable pouvoir était déjà à l'hôtel de ville, dans les commissaires de la commune. Le peuple l'avait senti. Il leur prêtait sa force. Il a le sentiment du droit suprême : le droit de ne pas périr. Les commissaires de la commune étaient plus que ses représentants: ils étaient le peuple de Paris lui-même. Aussi, la victoire à peine décidée par la retraite du roi et par l'assaut des Tuileries, tous les hommes populaires, mais prudents, qui avaient attendu le signe du destin pour se déclarer, volèrent à l'hôtel de ville, et s'installèrent au nom de leur opinion dans le conseil des vrais souverains de la circonstance.

Robespierre, qui réservait toujours, non sa personne, mais sa fortune, et qui s'était tenu caché à ses amis comme à ses ennemis pendant la conjuration et pendant le combat, parut dans la journée au conseil de la commune. Il y fut accueilli par ses disciples, Huguenin, Sergent, Panis, comme l'homme d'État de la crise et l'organisateur de la

victoire.

Danton, après avoir rassuré sa femme et embrassé ses enfants, vint s'enivrer aux Cordeliers des applaudissements des conjurés de Charenton, et imprimer à ses complices l'attitude, le ton, la volonté du moment.

Marat lui-même sortit du souterrain où il était enfermé depuis quelques jours. Aux cris de victoire, il s'élança dans la rue à la tête d'un groupe de ses fanatiques et d'une colonne de fédérés de Brest. Il se promena dans Paris un sabre nu à la main et une couronne de laurier sur la tête. Il se fit proclamer commissaire de sa section au nom de ses haillons, de ses cachots et de ses fureurs. Il se transporta avec ces mêmes satellites à l'imprimerie royale, et s'empara des presses, qu'il ramena chez lui comme la dépouille due à son génie.

Tallien, Collot d'Herbois, Billaud-Varennes, Camille Desmoulins, tous les chefs des Jacobins ou des Cordeliers, tous les agitateurs, toutes les têtes, toutes les voix, toutes les mains du peuple se précipitèrent à la commune, et firent d'un conseil municipal le gouvernement provisoire d'une nation. A ces hommes vinrent s'adjoindre Fabre d'Églantine, Osselin, Fréron, Desforgues, Lenfant, Chénier, Legendre. Ce conseil provisoire de la commune fut le germe de la Convention. Il prit son rôle, il ne le reçut pas; il agit dictatorialement.

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II

L'Assemblée ne comptait pas trois cents membres présents dans la journée du 10 août. Les membres du côté droit et les membres du parti constitutionnel, pressentant qu'ils n'auraient qu'à sanctionner les volontés du peuple ou à périr, s'étaient abstenus de se rendre à la séance. Les Girondins et les Jacobins y assistaient seuls. Mais les

rangs dégarnis de la représentation étaient peuplés d'étrangers, de pétitionnaires, de membres des clubs, d'hommes de travail, qui, assis pêle-mêle avec les députés, offraient à l'œil l'image de la confusion du peuple et de ses représentants, parlant, gesticulant, consultant, se levant avec les députés, comme sous l'empire d'un péril public qui identifiait l'Assemblée et les spectateurs. Dans une catastrophe qui intéresse au même degré toutes les âmes, personne ne regarde, tout le monde agit. Tel était l'aspect de l'Assemblée pendant et après le combat. Aucun discours; des gestes soudains et unanimes; des cris d'horreur ou de triomphe; des serments renouvelés à chaque instant, comme pour se raffermir par le bruit d'une acclamation civique contre l'ébranlement du canon qui retentissait aux portes; des députations nommées, essayant de sortir, refoulées dans la salle; enfin des appels nominaux qui usaient l'heure en apparences d'action, et qui donnaient aux événements le temps d'éclore et d'enfanter une résolution décisive.

Aussitôt que le peuple fut maître du château, les cris de victoire pénétrèrent du dehors par toutes les issues dans la salle. L'Assemblée se leva en masse et s'associa au triomphe du peuple par le serment de maintenir l'égalité et la liberté. De minute en minute, des hommes du peuple, les bras nus, les mains sanglantes, le visage noirci de poudre, entraient aux applaudissements des tribunes, s'avançaient à la barre, racontaient en paroles brèves les perfides embûches de la cour, qui avait attiré les citoyens par des apparences de trève sous le feu des Suisses pour les immoler. D'autres, montrant du geste la loge du logographe, offraient leur bras à la nation pour exterminer le tyran et l'assassin de son peuple. « C'est cette cour perfide, s'écria un de ces orateurs en déccuvrant sa poitrine frappée d'une balle et ruisselante de sang, c'est cette cour perfide qui a fait couler ce sang. Nous n'avons pénétré dans le palais qu'en marchant sur les monceaux de cadavres de nos frères massacrés! Nous avons fait prisonniers plusieurs de ces satellites d'un roi parricide. C'est le roi seul que nous accusons. Ces hommes n'étaient que les instruments de sa trahison; du moment qu'ils ont mis bas les armes, dans ces assassins soudoyés nous ne voyons plus d'ennemis, nous ne voulons voir que des frères ! » A ces mots, il embrasse un Suisse désarmé, qu'il avait amené par la main, et il tombe évanoui au milieu de la salle, épuisé de fatigue, d'émotions, de sang. Des députés se précipitent, l'emportent, le rendent à la vie. Il reprend ses sens, il se relève, il rentre à la barre : « Je sens renaître mes forces, dit-il, je demande à l'Assemblée de permettre à ce malheureux Suisse de demeurer chez moi; je veux le protéger et le nourrir. Voilà la vengeance d'un patriote français ! »

La générosité de ce citoyen se communique à l'Assemblée et aux tribunes. On envoie des députations au peuple pour arrêter le massacre. On fait entrer dans la cour des Feuillants les Suisses qui stationnaient encore sur la terrasse, exposés à la fureur du peuple. Ces soldats déchargent leurs fusils en l'air en signe de confiance et de sécurité. Ils sont introduits dans les couloirs, dans les cours et jusque dans les bureaux de l'Assemblée. Des combattants apportent successivement et déposent sur la table du président la vaisselle d'argent, les sacs d'or, les diamants, les bijoux précieux, les meubles de prix et jusqu'aux portefeuilles et aux lettres trouvés dans les appartements de la famille royale. Des applaudissements saluent ces actes de probité. Les armes, l'or, les assignats trouvés dans les vêtements des Suisses, sont accumulés au pied de ia tribune.

Le roi et la reine assistent du fond de leur loge à l'inventaire des dépouilles trouvées dans leurs plus secrets appartements.

III

Le président remet tous ces objets sous la responsabilité d'Huguenin, commissaire de la nouvelle commune. Le canon se tait. La fusillade se ralentit. Les pétitionnaires demandent à grands cris ou la tête ou la déchéance du roi : « Vous n'arrêterez la vengeance du peuple qu'en lui faisant justice. Représentants, soyez fermes! Vous avez l'obligation de nous sauver ! Osez jurer que vous sauverez l'empire, et l'empire est sauvé! » Ces voix imploraient comme on ordonne.

Les Girondins, indécis jusque-là entre l'abaissement et la chute du trône, sentirent qu'il fallait ou le précipiter eux-mêmes ou être entraînés avec lui. Vergniaud laissa la présidence à Guadet, pour que l'Assemblée, pendant son absence, restât sous la main d'un homme de sa faction. La commission extraordinaire, où les Girondins avaient la majorité du nombre, de l'importance et du talent, s'assembla séance tenante. La délibération ne fut pas longue. Le canon délibérait pour elle. Le peuple attendait. Vergniaud prend la plume et rédige précipitamment l'acte de suspension provisoire de la royauté. Il rentre et lit, au milieu d'un profond silence et à quatre pas du roi, qui l'écoute, le plébiscite de la déchéance. Le son de la voix de Vergniaud était solennel et triste, son attitude morne, son geste abattu. Soit que la nécessité de lire la condamnation de la monarchie en présence du monarque imposât à ses lèvres et à son cœur la décence de la pitié, soit que le repentir de l'impulsion qu'il avait donnée aux événements le saisît, et qu'il se sentît déjà l'instrument passif d'une fatalité qui lui demandait plus que sa conscience ne consentait, il semblait moins déclarer la victoire de son parti que prononcer sa propre sentence.

« Je viens, dit-il, au nom de la commission extraordinaire, vous présenter une mesure bien rigoureuse; mais je m'en rapporte à la douleur dont vous êtes pénétrés pour juger combien il importe au salut de la patrie que vous l'adoptiez sur l'heure. L'Assemblée nationale, considérant que les dangers de la patrie sont parvenus à leur comble; que les maux dont gémit l'empire dérivent principalement des défiances qu'inspire la conduite des chefs du pouvoir exécutif, dans une guerre entreprise en son nom contre la constitution et contre l'indépendance nationale; que ces défiances ont provoqué de toutes les parties de l'empire le vœu de la révocation de l'autorité confiée à Louis XVI; considérant néanmoins que le Corps législatif ne veut agrandir par aucune usurpation sa propre autorité, et qu'il ne peut concilier son serment à la constitution et sa ferme volonté de sauver la liberté qu'en faisant appel à la souveraineté du peuple, décrète ce qui suit :

« Le peuple français est invité à former une Convention nationale;

« Le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonctions; un décret sera proposé dans la journée sur la nomination d'un gouverneur du prince royal;

«Le payement de la liste civile est suspendu;

« Le roi et sa famille demeureront dans l'enceinte du Corps législatif jusqu'à ce que

le calme soit rétabli dans Paris; le département fera préparer le Luxembourg pour sa résidence, sous la garde des citoyens. >>

Ce décret fut adopté sans discussion. Le roi l'entendit sans étonnement et sans douleur. Au moment du vote, il s'adressa au député Coustard, placé au-dessus de la

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Marat se promena daus Paris un sabre nu à la main et une couronne de laurier sur la tète.- Page 2.

loge du logographe, avec lequel il s'était entretenu familièrement pendant la séance : « Ce que vous faites là n'est pas très-constitutionnel, lui dit le roi d'un ton d'ironie qui contrastait avec la solennité de la circonstance. C'est vrai, Sire, répondit Coustard, mais c'est le seul moyen de sauver votre vie. » Et il vota contre le roi en s'entretenant avec l'homme.

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IV

Mais ce décret, qui laissait la question de la monarchie ou de la république en suspens, et qui même préjugeait en faveur de la monarchie en indiquant la nomina

tion d'un gouverneur du prince royal, n'était qu'une demi-satisfaction à l'urgence de la situation. Désiré avec passion la veille, il était accepté avec murmure le lendemain.

A peine Vergniaud avait-il achevé de lire, que des pétitionnaires plus exigeants se présentèrent à la barre et sommèrent l'Assemblée de prononcer la déchéance du roi perfide dont le règne finissait dans le sang de ses sujets. Vergniaud se reprit et justifia les termes et la portée du décret ambigu des Girondins : « Je suis bien aise, dit-il, de pouvoir m'expliquer devant les citoyens qui sont à la barre. Les représentants du peuple ont fait tout ce que leur permettaient leurs pouvoirs quand ils ont décrété qu'il serait nommé une Convention nationale pour statuer sur la question de déchéance. En attendant, l'Assemblée vient de prononcer la suspension. Cette mesure doit suffire au peuple pour le rassurer contre les trahisons du pouvoir exécutif. La suspension ne réduit-elle pas le roi à l'impossibilité de nuire? J'espère que cette explication satisfera le peuple, et qu'il voudra bien entendre et connaître la vérité. »

Les tribunes et les pétitionnaires écoutèrent froidement ces paroles. Le député Choudieu fit voter d'urgence la formation d'un camp sous Paris et la permanence des séances de l'Assemblée. L'Assemblée procède à la nomination des ministres.

Roland, Clavière et Servan, les trois ministres girondins renvoyés, furent réintégrés sans scrutin, sur la proposition de Brissot. Leur nomination était une vengeance de leur destitution par le roi. Danton fut nommé ministre de la justice, Monge, ministre de la marine, Lebrun des affaires étrangères, Grouvelle secrétaire du Conseil des ministres. Monge était un mathématicien illustre, Lebrun un homme de chancellerie versé dans la diplomatie, Grouvelle un lettré subalterne et ambitieux. A neuf heures du soir le gouvernement fut constitué. Les Girondins y dominaient par Roland, Clavière, Servan, Lebrun. La commune les contre-balançait par Danton seul.

A peine nommé, Danton courut au Conseil de l'hôtel de ville faire hommage à ses complices du pouvoir qu'il venait de conquérir pour eux : « J'ai été porté au ministère par un boulet de canon, dit-il à ses affidés. Je veux que la Révolution entre avec moi au pouvoir. Je suis fort par elle; je périrais en m'en séparant. » Il appela Fabre d'Églantine et Camille Desmoulins aux deux premiers emplois de son ministère. Fabre d'Églantine, complaisant de son esprit; Camille Desmoulins, courtisan de sa force!

L'Assemblée fit rédiger l'analyse de ses décrets du jour et envoya des commissaires les publier, aux flambeaux, dans toutes les rues de Paris.

V

Le ciel était serein; la fraîcheur du soir et l'émotion fébrile des événements du jour engageaient les habitants à sortir de leur demeure et à respirer l'air d'une nuit d'été. La curiosité de savoir ce qui se passait à l'Assemblée et de visiter le champ de bataille de la matinée poussait instinctivement vers les quais, vers les Champs-Élysées et vers les Tuileries, les oisifs, les jeunes gens et les femmes des quartiers éloignés de la capi tale. De longues colonnes de promeneurs paisibles erraient dans les allées et sous les arbres des Tuileries rendues au peuple. Les flammes et la fumée des meubles dévorés par l'incendie, dans les cours, flottaient sur les toits du château et illuminaient les deux

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