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Après cette seconde journée, la famille royale fut reconduite aux Feuillants. Les témoignages de pitié et d'attachement des hommes de son escorte alarmèrent la commune et les Jacobins. Santerre releva ce poste, et choisit pour la garde du roi des cœurs inaccessibles à l'indulgence et irréconciliables avec un yn détrôné. La rudesse des gestes, la rigueur des consignes apprirent au roi ce changement. Le girondin Grangeneuve, membre du comité de surveillance dont le bureau était dans le même cloître que les chambres du roi, s'alarma aussi des respects et de l'attendrissement du petit

nombre d'amis qui entouraient la famille. royale. Il crut à un projet d'enlèvement. Il en fit part à ses collègues. La plus ombrageuse des tyrannies, c'est la plus récente. Le comité partagea, ou feignit, la peur de Grangeneuve. Il ordonna l'éloignement de toutes les personnes étrangères à la domesticité immédiate de la famille. Cet ordre consterna les généreux courtisans de sa captivité. Le roi fit appeler les députés inspecteurs de la salle. «Je suis donc prisonnier, messieurs! leur dit-il avec amertume; Charles Ior fut plus heureux que moi; on lui laissa ses amis jusqu'à l'échafaud.» Les inspecteurs baissèrent la tête. Leur

silence répondit pour eux.

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IGAILDRAU

TOME II.

La famille royale conduite au Temp c.

Page 18.

CS

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On vint prier le roi de passer dans la salle où le souper était préparé. On permit à ses amis de l'y suivre. Ce fut le dernier jour où le roi et la reine furent servis avec l'étiquette des cours par ces cinq gentilshommes debout : étiquette touchante ce jourlà, car elle était volontaire. Le respect redoublait avec l'infortune. Une tristesse muette assombrit ce dernier repas. Maîtres et serviteurs sentaient qu'ils allaient se séparer pour toujours. Le roi ne mangea pas. Il retardait à dessein l'heure où l'on enlèverait la table, afin de prolonger les minutes où il lui était permis de voir encore des visages amis. Ce long adieu lassa la patience des officiers de garde. Il fallut déchirer cet entretien. Le roi savait que les cinq gentilshommes couraient risque d'étre arrêtés au bas de l'escalier. L'inquiétude sur leur sort ajoutait à l'horreur du sien. Enfin, fondant en larmes en les regardant, il essaya de parler, son émotion le rendit muet. « Séparonsnous, leur dit la reine, ce n'est que de ce moment que nous sentons toute l'amertume de notre situation, jusqu'à présent vous nous l'aviez voilée par vos respects et adoucie par vos soins. Que Dieu vous paye une reconnaissance que... » Ses sanglots lui coupèrent la voix. Elle fit embrasser ses enfants par les derniers serviteurs de leur famille. La garde inflexible entra et leur disputa les minutes. Les gentilshommes descendirent par un escalier dérobé. Ils sortirent un à un sous des habits empruntés, pour se perdre inaperçus dans la foule.

XVI

M. de Rohan-Chabot, aide de camp de La Fayette, avait passé les deux jours et les deux nuits à la porte du roi, en costume de simple garde national. Reconnu et arrêté en sortant des Feuillants, il fut jeté dans la prison de l'Abbaye, qui ne s'ouvrit qu'aux assassins de septembre. La reine, Madame Élisabeth, les enfants de France, dénués de tout par le pillage des Tuileries, reçurent de l'ambassadrice d'Angleterre le linge et les vêtements de femme nécessaires à la décence de leur situation. La famille royale passa encore un jour et demi dans la loge du logographe. Il semblait que le peuple, comme un triomphateur cruel, voulût se repaître longtemps du supplice et de l'ignominie de la royauté. Seuls et sans amis pendant ces derniers jours, leur douleur et leur honte sans témoins furent aussi sans consolation. Leurs cœurs, lassés d'outrages, ne purent même se reposer sur un peu de pitié. En se regardant mutuellement, leurs yeux ne se renvoyaient que les mêmes terreurs et les mêmes larmes.

Le lundi, à trois heures, Pétion et Manuel vinrent les prendre dans deux voitures pour les conduire au Temple. La commune, qui pouvait enlever les prisonniers de nuit, voulut que ce trajet des Tuileries à la prison se fit en plein jour, à pas lents, et par les quartiers les plus populeux, pour que la dégradation de la royauté eût l'apparence et l'authenticité d'une exposition avant le supplice. Pétion et Manuel étaient dans la voiture du roi. Une foule innombrable formait la haie de la porte des Feuillants à la porte du Temple. Les regards, les gestes, les injures, le rire moqueur, le plus lâche des outrages, se renouvelèrent sur tous les pas du cortége. La faiblesse des femmes, l'innocence des enfants attendrissaient en vain quelques regards furtifs : il fallait cacher son attendrissement comme une trahison. Pétion avait l'habitude de présider à ces marches triomphales de la déchéance. C'était lui qui avait ramené le roi de Varennes à travers la capitale irritée. C'était lui qui avait vu le roi coiffé du bonnet

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rouge dans son palais envahi le 20 juin, et qui avait félicité le peuple en le congédiant. C'était lui encore qui le menait à sa dernière halte avant le supplice. Il ne lui épargna aucune des amertumes de la route. Il ne lui voila aucun des présages de sa chute. Il le promena à travers son humiliation pour la lui faire savourer. En passant sur la place Vendôme, il lui fit remarquer la statue renversée de Louis XIV jonchant de ses débris la ville où son image avait si longtemps régné. Le peuple ne voulait plus de roi, même en souvenir. Partout les symboles de la royauté étaient effacés ou mutilés sur le passage des voitures. La main du peuple effaçait ainsi d'avance une institution sur laquelle l'Assemblée n'avait pas encore prononcé. Le 10 août était un décret obscur de la victoire que la commune de Paris se hâtait d'interpréter par l'emprisonnement du roi. De la prison au trône le retour était impossible. La commune voulait le montrer. Louis XVI le sentit; et quand, après deux heures de marche, les voitures roulèrent sous les voûtes de la cour du Temple, il avait dans son cœur abdiqué le trône et accepté l'échafaud.

LIVRE VINGT-QUATRIÈME

Les Girondins forcés d'abdiquer.

Couthon.

Dipositions de l'armée. La Fayette s'expatrie. Dumouriez prête serment à la nation. Westermann, émissaire de Danton à l'armée. Dumouriez remplace La Fayette à l'armée. Il gagne la confiance des troupes. La commune de Paris s'attribue le pouvoir exécutif. Création d'un tribunal criminel. Danton Marat poursuit sa pensée d'extermination. l'accomplit.

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I

Pendant que la famille royale, arrivée au terme de tant d'agitations, se recueillait derrière les murs du Temple et s'installait dans son dernier asile, l'Assemblée, par l'organe de Guadet, promulguait les règles d'après lesquelles on nommerait une Convention et on ferait appel à la souveraineté directe et unanime du peuple. Les assemblées primaires allaient se composer de tous les Français ayant l'âge de vingt et un ans et de condition libre. Elles devaient se réunir le 26 août, et donner à leurs représentants un mandat souverain et indépendant de toute constitution préexistante. La Convention se réunirait le 20 septembre. L'Assemblée nationale et le pouvoir exécutif nommé la veille ne se réservaient que l'interrègne du 12 août au 20 septembre.

Ainsi le triomphe des Girondins amena immédiatement leur abdication. L'Assemblée qu'ils dominaient se sentit faible devant un événement qu'elle n'avait eu ni le courage d'accomplir, ni la vertu d'empêcher. Elle se retira, et restitua au peuple les pouvoirs qu'elle en avait reçus. Le mouvement avorta dans ses mains. Elle tira le gouvernement au sort et jeta la France au hasard. Infidèle à la constitution, refusant son appui à la royauté, timide en face de la république, elle n'eut ni plan, ni politique, ni

audace. Elle donna à tous les partis le droit de la mépriser. L'histoire la jugera plus sévèrement qu'aucune des Assemblées qui personnifièrent la Révolution. Placée entre l'Assemblée constituante et la Convention nationale, elle pâlit devant ces deux grands foyers l'un des lumières philosophiques, l'autre de la volonté révolutionnaire de la nation. Elle ne renversa rien, elle ne fonda rien; elle aida tout à tomber. Elle reçut de ses prédécesseurs une constitution à maintenir, une royauté à réformer, un pays à défendre. Elle laissa, en se retirant, la France sans constitution, sans roi, sans armée. Elle disparut dans une émeute. Ses seules traces furent des débris. Faut-il en accuser les difficultés du temps? Mais le temps était-il plus facile et les événements plus maniables pour l'Assemblée constituante au serment du Jeu de paume, au 14 juillet, aux journées d'octobre, à la fuite du roi? Les temps furent-ils plus doux pour la Convention à son avénement dans l'anarchie, à la proclamation de la république, à l'invasion de la Champagne, à l'insurrection de la Vendée, au siége de Lyon? Évidemment non; mais ces difficultés extrêmes trouvèrent dans ces deux corps une politique et une volonté égales aux extrémités de ces situations. Pourquoi cette différence entre des corps politiques puisés dans le même peuple et agissant à la même époque? Osons le dire : c'est que l'Assemblée législative, nommée en haine de l'aristocratie et en défiance du peuple, et choisie parmi ces partis moyens et modérés qui ne sont dans les temps de crise que les négations du bien et du mal, n'eut dans les éléments qui la composaient, ni l'esprit politique des hautes classes ni l'âme patriotique du peuple. L'Assemblée constituante fut la représentation de la pensée de la France; la Convention fut la représentation du dévouement passionné des masses. L'Assemblée législative ne représenta que les intérêts et les vanités des classes intermédiaires. Expression de cette bourgeoisie honnête mais égoïste dans ses habitudes, elle n'apporta au gouvernement de cette grande crise que les pensées moyennes, les passions vaniteuses et les petites prudences de cette partie des nations dont la timidité est à la fois la vertu et le vice. Elle sut écrire et parler, elle ne sut pas agir. Elle eut des orateurs, elle n'eut pas d'hommes d'État. Mirabeau avait été dans l'Assemblée constituante l'expression souveraine de cette aristocratie qui, après s'être éclairée la première, aux rangs élevés des nations, des hautes lumières d'une époque, aspire à la gloire de les répandre sur le peuple, et se fait révolutionnaire par générosité et populaire par orgueil. Danton, Robespierre, furent l'expression terrible des passions d'un peuple à peine émancipé, qui veut conserver à tout prix à l'avenir la révolution qu'on lui a faite, et qui ne pèse ni un intérêt contre une idée, ni une vie contre un principe. Brissot, Gensonné, Guadet, ne furent que des discoureurs quelquefois sublimes, toujours impuissants. Il n'eurent pas de but arrêté, ou ils placèrent ce but toujours trop loin ou trop près. Ils donnèrent à la Révolution des impulsions tour à tour trop faibles et trop fortes, qui les arrêtèrent en deçà ou les lancèrent au delà de leur pensée. Ils voulaient un pouvoir et ils le sapaient, ils craignaient l'anarchie et ils la conspiraient, ils voulaient la république et ils l'ajournaient. La nation s'impatienta de leur indécision, qui la perdait; elle fit sa journée et ils disparurent.

Au 10 août, le peuple fut plus homme d'État que ses chefs. Une crise était inévitable, car tout périssait dans les mains de ces législateurs qui voulaient le mouvement sans secousse, la liberté sans sacrifice, la monarchie sans royauté, la république sans

hésitation, la Révolution sans garantie, la force du peuple sans son intervention, le patriotisme sans cettte fièvre de l'enthousiasme qui donne aux nations le délire et la force du désespoir. Un peuple ne pouvait pas laisser sans démence durer et empirer un tel état de contradictions. La France était en perdition. L'Assemblée ne prenait pas le

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gouvernail. Le peuple s'y précipita avec ce génie de la circonstance et cette témérité de résolution qui risque tout pour sauver quand tout est inévitablement perdu. Le mécanisme de la constitution ne fonctionnait plus. Un éclair de conviction lui démontra qu'on ne pouvait plus le réparer. Il le brisa. Ce fut le 10 août.

Les larmes, le sang, les crimes de cette journée ne retombèrent pas tant sur le peuple qui la fit que sur l'Assemblée qui la rendit inevitable. Si l'Assemblée législative avait eu l'intelligence tout entière, si elle avait pris la dictature, voilé la constitution, suspendu et écarté le roi, mis la royauté en tutelle pendant la crise, elle pouvait prévenir l'intervention des piques, préserver la forme monarchique, armer la nation,

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