Dans l'assiette de l'impôt foncier, ils ne furent pas mieux traités que l'Etat. Toutes leurs réclamations ont été jusqu'à présent inutiles. Ainsi les bois qui jouissaient autrefois du privilége de payer moins que les autres propriétés, ont acquis depuis la Révolution celui de payer plus. Un demi-hectare d'un bois taillis qui se coupe tous les dix ans se vend communément 120 francs, ce qui suppose un revenu de 12. Il faut diminuer de cette somme, savoir pour l'impôt principal, 5 fr.; centimes additionnels, 1 franc; frais de garde, 1 franc; ensemble, 7 fr. II reste donc 5 francs. IÍ L'impôt des bois étant payé d'avance, l'on doit ajouter l'intérêt des intérêts. Ceux de 7 francs se montent en 10 ans à 22 francs (1), ce qui donne chaque année 2 fr. 20 centimes. Otez-les de la somme de 5 francs, il restera au propriétaire un revenu annuel de 2 francs 80 centimes. Mais, si cet arpent de taillis eût été susceptible d'être converti en terre labourable, il eût rapporté à son propriétaire annuellement, impôt payé, au moins 20 francs; ce qui, au bout de dix années, aurait fait 200 francs. Ajoutez à cette somme les intérêts de 20 francs pendant dix ans, 64 francs. Le propriétaire aurait donc touché en dix années 264 francs. Et par an, 26 francs 40 centimes. La différence d'un arpent de taillis à un arpent cultivé est donc comme 1 est à 8 et près de 9 (2). Je viens de démontrer avec quelle injustice ont été traités les propriétaires de bois. De cette injustice, comme de toutes celles commises dans l'ordre social, il en est résulté dommage pour la société entière, puisqu'il y a eu diminution de bois, et conséquemment augmentation de prix. D'après les calculs que je viens d'avoir l'honneur de mettre sous vos yeux, l'on serait tenté de demander par quel hasard il existe encore des bois entre les mains des particuliers. La quantité en est déjà considérablement diminuée; elle le serait encore davantage si les défrichements d'une grande étendue n'exigeaient pas des frais énormes, et si beaucoup de bois n'étaient situés sur un sol qui n'est pas susceptible de produire autre chose. Les défrichements sont moins fréquents depuis le 18 brumaire, parce que les propriétaires des bois ont conçu depuis cette époque l'espoir que le Gouvernement s'occupait des moyens d'établir entre eux et les autres contribuables l'égalité proportionnelle. La loi qui la fixerait serait la meilleure de toutes celles qui pourraient être faites pour la conservation des bois des particuliers; celle-là dispenserait de toutes les autres. Mais pour établir cette égalité de répartition entre les contribuables, répartition si désirable et si désirée, il faut faire une multitude de travaux préparatoires. On croit que le Gouvernement a déjà fixé les bases de ce grand travail, et que bientôt des commissaires seront nommés pour en préparer et en assurer l'exécution. Mais, dans l'état actuel des choses, il était indispensable de mettre des entraves aux défrichements, et de se rendre au vou manifesté à cet égard par la presque unanimité des conseils généraux des départements. Tel est l'objet du titre Ier du projet de loi soumis à votre examen. La première question qu'il fait naître est celle de savoir si l'on peut contraindre les propriétaires à conserver en bois la partie qu'ils jugeraient à propos de mettre en culture. Leur en imposer l'obligation, c'est attaquer jusqu'à un certain point le droit de propriété. L'utilité publique en fait un devoir; je le crois, puisque j'ai cherché à le démontrer. Mais pour que ce princípe perpétuellement invoqué ne finisse pas par détruire un jour la propriété particulière, il faut le resserrer dans d'étroites limites, et surtout l'y maintenir. La propriété, si cruellement tourmentée depuis quelques années, est à peine raffermie sur ses bases, et n'est point encore entièrement rassurée; elle a eu tant à se plaindre de l'autorité, de toutes les autorités révolutionnaires ou non, qu'elle en redoute les approches le Gouvernement ne doit donc négliger aucune des précautions capables de dissiper des alarmes suffisamment justifiées par le souvenir du passé. C'est sans doute à ces puissantes considérations qu'est due la disposition du projet qui fixe à 25 ans la durée de la loi. L'on a reconnu par là un principe conservateur de l'ordre social: c'est que toutes les fois que l'utilité générale commande de porter atteinte à la propriété particulière, ce ne peut être que par exception et temporairement. Il est beau de voir une loi lui rendre hommage, lors même qu'elle est destinée à l'attaquer jusqu'à un certain point. Cette disposition, véritablement libérale, est digne de tous nos éloges; elle est une preuve de plus que donne le Gouvernement de son profond respect pour la propriété. Si vous voulez prendre la peine d'étudier avec soin les articles qui composent la première section, vous y verrez avec quelle scrupuleuse attention ces intérêts sont reconnus et ménagés. Qu'exige le projet de loi? Que le propriétaire qui veut faire arracher et défricher une partie de bois soit tenu d'en faire la déclaration au conservateur forestier de son arrondissement. Cet assujettissement n'est pas fâcheux, il faut en convenir; et l'on doit supposer que l'administration forestière ne s'opposera jamais à un défrichement sans de justes motifs: ce qui peut entièrement rassurer à cet égard, c'est que ses décisions seraient toujours dans le cas d'être annulées par le Gouvernement. Néanmoins on a voulu dispenser de la formalité de cette déclaration les propriétaires de bois clos de murs; et, afin que cette faveur ne fût point accordée uniquement à l'homme riche, elle a été étendue jusqu'aux possesseurs des plus petits jardins. Ainsi l'enceinte fermée de haies ou de fossés, qui tient à la maison d'habitation, sera sacrée, et lans aucun cas elle ne pourra être franchie par les agents de l'autorité. Le même sentiment de justice qui a dicté cette exception a porté à en accorder aussi une aux propriétaires dont les bois ne seraient pas clos; mais une infinité de considérations, trop longues à détailler, ont dù la restreindre à moins de deux hectares. Cette quantité déterminée est plus que suffisante pour qu'un particulier, qui ferait arracher un buisson ou abattre quelques arbres, ne pût être accusé par la malveillance d'avoir entrepris ou commencé un défrichement. Si les propriétaires de bois clos ont été plus favorablement traités, c'est que depuis longtemps il est reconnu que l'on doit employer tous les moyens propres à multiplier les clôtures: elles sont favorables à l'agriculture; elles le sont également à la conservation des bois; elles servent à les préserver efficacement de leurs plus dangereux ennemis: le gibier, les bestiaux et les droits d'usage. L'exception faite en faveur des semis ou des plantations n'a pas besoin d'être justifiée; pour en reconnaître l'utilité, il suffit de l'énoncer. Toute loi, pour être exécutée, doit prescrire une peine en cas de contravention. Celles déterminées par les articles 3 et 4 paraissent être suffisantes. Pour connaître tout le mérite de la première section sur les défrichements, il faut la comparer aux anciennes ordonnances relatives à cet objet. Vous y remarquerez qu'elles contenaient la défense absolue de défricher sous peine d'amende arbitraire, d'emprisonnement et de confiscation des terres défrichées. Vous y trouverez à chaque mot, à chaque phrase, à chaque ligne, le langage d'un naitre qui s'adresse à des vassaux. Vous y trouverez surtout une excellente réponse à faire à ceux qui se persuadent avoir suffisamment justifié une opinion lorsqu'ils peuvent dire: Telle chose se fuisait ainsi autrefois. Vous y reconnaîtrez que ce qui se faisait autrefois dans cette partie de l'administration publique, comme dans beaucoup d'autres, paraîtrait odieux aujourd'hui à de vieux amis de la liberté, et insupportable à ceux-là mêmes qui essaient en vain de préparer les esprits au retour d'anciennes idées. Vous remarquerez, en parcourant ces ordonnances, une différence sensible entre les lois émanées de la volonté d'un individu et celles soumises à la discussion d'un conseil nombreux, à l'examen d'une assemblée publique et à la sanction d'un Corps législatif: la différence est tout à l'avantage de ces dernières. Aussi cet examen vous conduira-t-il à vous attacher encore plus fortement aux formes représentatives; elles sont les seules qui peuvent garantir la liberté, la sureté, la propriété, et mettre des bornes au pouvoir arbitraire. Oui, aussi longtemps que la France conservera les formes tutélaires de la représentation, elle jouira des immenses avantages qui résultent pour elle de la Révolution : avantages sans douté assez chèrement achetés pour qu'elle mette un grand prix à les conserver et à les transmettre à la postérité. La seconde section du projet de loi, relative au martelage pour le service de la marine, fait revivre une disposition contenue dans le titre XXVI de l'ordonnance de 1669. L'utilité alors pouvait en paraltre incontestable; mais, depuis que les grandes forêts appartiennent presque en totalité à la nation, l'utilité de cette disposition est devenue très-problématique. Les particuliers possèdent à peine le cinquième des bois plantés sur le sol de la République. Fort peu ont conservé des futaies. Deux causes également puissantes s'y opposent. L'une vient de ce que les propriétaires préfèrent de mettre leurs bois en coupes réglées de taillis, plutôt que de les conserver en futaies, parce que dans le premier cas ils sont assurés de jouir d'un revenu annuel, et que dans le second ils sont privés de ce revenu pendant un grand nombre d'années. Les grandes fortunes peuvent seules conserver les grandes masses de bois; parmi les anciennes, beaucoup sont complétement détruites, et parmi les nouvelles, fort peu sont encore solidement établies. Ainsi ni les anciens, ni les nouveaux riches ne sont disposés à faire le sacrifice d'un revenu annuel. Avant la Révolution, peu de gens aussi étaient portés à faire le bien de leurs successeurs, et les futaies appartenaient en grande partie aux usufruitiers, parce que l'ordonnance de 1669 avait prescrit qu'un quart des bois des gens de mainmorte serait mis en réserve. Outre le sacrifice d'un produit annuel, les futaies constituent une dépense fixe, puisqu'elles sont assujetties à l'impôt. Voici ce qu'une futaie coûte à son propriétaire : Un demi-hectare de futaie à cent ans vaut communément 3,000 francs. Il paie annuellement, en y comprenant les centimes additionnels et les frais de garde, 7 francs. L'intérêt des intérêts de cette somme aurait produit à soixante-trois ans le total du capital, et conséquemment beaucoup au delà au moment de la coupe (1).. Il est donc démontré qu'en percevant l'impôt d'avance sur les futaies, elles sont infiniment plus onéreuses que profitables à leurs propriétaires, et que ce mode de percevoir l'impôt en accélère la destruction. Vous voyez, d'après ce calcul, pourquoi les particuliers n'ont pas ou ont fort peu conservé de hautes futaies. Si le Gouvernement voulait déterminer les propriétaires à mettre une partie de leurs bois en réserve, il n'aurait que deux moyens : l'un serait de décharger les futaies du paiement de l'impôt jusqu'au moment de la coupe, et de ne le prélever qu'à cette époque; l'autre, d'accorder des primes à ceux qui en possèdent, pour les engager à les conserver. Comme il est vraisemblable que ces moyens ne seront pas employés de longtemps, il doit donc renoncer à l'espoir de trouver des futaies possédées par des particuliers, et les taillis ne peuvent lui offrir des bois propres à la marine: Ton sait que les baliveaux qui s'y trouvent ne fournissent point d'arbres de service, et que, sur cent mille, l'on en trouverait à peine un seul qui pût être utilement employé dans les chantiers de la marine. Les scules ressources que peuvent lui présenter les propriétaires consistent donc dans quelques arbres épars. Je vous avoue que je ne conçois pas trop le motif d'utilité publique qui fait accorder aux fournisseurs des bois de la marine un privilége (1) L'intérêt des intérêts de 7 francs aurait produit, au bout de cent ans, une somme de 19,130 francs. Ii faut en déduire, pour le principal de l'impôt, 700 francs; reste donc 18,400 francs. Ainsi, un demi-hectare de futaie, au moment de la coupe, a coûté à son propriétaire 15,400 francs, puisqu'il ne se vend que 3,000 francs. refusé jusqu'à présent aux entrepreneurs de bâtiments civils, même à ceux chargés de construire des édifices nationaux. Ont-ils besoin de charpente ils connaissent bientôt les lieux où ils peuvent en trouver. Pourquoi ceux de la marine n'auraient-ils pas un égal succès en employant les mêmes moyens? L'on n'en a point douté dans un pays voisin du nôtre, puisqu'il y existe une ordonnance dont vous serez peut-être fort aises de connaître les dispositions (1). «Elle défend d'accorder, au désavantage des « propriétaires de bois, le moindre privilége à ceux « qui ont contracté avec le Gouvernement pour le " service de la marine, attendu la justice et la « nécessité de respecter le droit sacré de la propriété, même lorsqu'il s'agit de l'utilité publique, et pour parvenir plus sûrement à cette utilité. » Les dispositions énoncées dans la seconde scction ne me paraissent donc pas devoir procurer un résultat fort avantageux, et c'est uniquement sous ce rapport que j'ai cru qu'elles n'auraient pas dû être insérées dans le projet de loi; car je suis obligé de convenir que les intérêts des propriétaires n'y sont pas lésés, et même qu'ils y sont ménagés avec plus de soin que dans l'ordonnance de 1669. Mais la nation, comme propriétaire de toutes les grandes forêts, peut seule offrir et conserver à la marine les bois dont elle a besoin, et ménager à la société ceux qui lui sont nécessaires. Le Gouvernement doit considérer ces magnifiques et immenses propriétés sous un autre point de vue que celui d'en tirer uniquement un revenu annuel très-considérable. Il finirait, s'il persistait dans le système qu'il paraît avoir adopté, de les regarder comme la source d'un grand produit, par détruire l'unique et dernier moyen qui reste de suppléer à la pénurie des bois. Cette pénurie se fait généralement sentir; elle excuse et justifie la seconde section du projet de loi, et me détermine à l'adopter. Mais si je m'y détermine par cette considėration, c'est que j'ai l'intime conviction, d'après les assurances qui en ont été données aux membres de la section de l'intérieur du Tribunat, que les articles 7, 8 et 9 ne tendent pas, comme l'on pourrait le soupçonner, à faire revivre un arrêt du conseil, du 16 mai 1724, en vertu duquel il était défendu, sous peine de confiscation, à un propriétaire, de couper un seul arbre sans une permission spéciale. L'on ne pourra jamais, ce me semble, tirer une semblable conséquence de l'article 7; c'est, sans doute, pour lever tous les doutes, dissiper tous les soupçons, que le mot coupe a été inséré dans l'article 9. De là résulte clairement la faculté laissée à un particulier de faire abattre sans autorisation préalable l'arbre qui donne de l'humidité à sa maison, ou qui en intercepte la lumière, celui qui ombrage son potager ou nuit à sa récolte, enfin la possibilité de prendre sur sa propriété, au moment même où le besoin urgent s'en fait sentir, les arbres nécessaires à d'urgentes réparations. Un arrêté du 19 ventôse an X porte : « Que les bois appartenant à des communes seront soumis au même régime que les bois nationaux, et que l'administration en sera confiée aux mêmes agents. >> Cet arrêté, en soumettant les bois des communes au même régime que les bois nationaux, paraissait donner à l'administration forestière le droit d'en nommer les gardes. (1) Ordonnance du roi d'Espagne, de 1770. Ephémérides du Citoyen, année 1770, tome VII, page 254. Le meilleur moyen sans doute de réprimer les délits qui s'y commettent était de faire garder les bois communaux par des hommes choisis par une administration étrangère à la commune. La propriété des communes diffère des autres propriétés; elle appartient généralement à tous les habitants d'un même lieu, et en particulier à aucun ainsi l'intérêt de tous est de la faire garder contre chacun d'eux. Cet intérêt ne peut être assuré, si les gardes sont nommés par les habitants des communes ou par quelques-uns d'entre eux. Le grand intérêt des communes est sans doute de tirer le meilleur parti possible de la vente de leurs bois. Les coupes s'en vendront plus cher lorsque les bois auront été bien gardés. Jusqu'à présent ils l'ont été fort mal; ils le seront mieux à l'avenir, puisque, dans beaucoup de circonstances, les gardes seront à la nomination des administrateurs forestiers, et, dans d'autres infiniment plus rares, les choix en seront soumis à l'approbation du conservateur dans tous les cas, ils pourront être destitués par l'administration forestière. Cette disposition les place entièrement dans sa dépendance: cela est également utile aux vrais intérêts des communes et à la conservation de leurs bois. Le mode de réception des gardes des particuliers n'était pas uniforme sous l'ancien régime; mais tous étaient assujettis à une information préalable de vie et mœurs, et ceux qui prétaient serment par-devant les juges seigneuriaux étaient néanmoins obligés de se faire recevoir à la maitrise de leur arrondissement. Une loi du 25 décembre 1790 ordonne que les gardes prêteront serment devant un tribunal, et que leur nomination sera enregistrée sans frais au greffe de la maîtrise. Cette dernière disposition n'a point été rappelée dans la loi portant création d'une nouvelle administration forestière; c'est cette omission que l'on cherche à réparer aujourd'hui. Lorsqu'un garde prend un délinquant en flagrant délit, il lui est impossible d'avoir des témoins. C'est cette impossibilité qui a déterminé à donner créance en justice à son simple témoignage, Mais avant de lui conférer un semblable droit, l'on devait s'assurer préalablement qu'il ne serait pas dans le cas de pouvoir en abuser, De là est venue l'information de vie et moeurs. Mais, outre le droit d'être cru sur sa déposition, on lui donne encore celui d'être armé. Sous ce rapport, il importe à la sûreté publique qu'il soit connu de l'autorité. Aussi le projet de loi a-t-il raison de vouloir que les gardes des bois des particuliers soient agréés par le conservateur forestier. Tous les bois doivent être bien gardés ; l'intérêt national le veut, et cet intérêt s'étend aussi à ceux des particuliers. Je sais que, sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, l'on peut s'en rapporter à eux. Mais ils peuvent avoir des gardes qui surveillent soigneusement leurs propriétés, et qui favorisent les délits dans les forêts nationales. Cela devient extrêmement facile partout où les bois nationaux sont contigus à ceux des particuliers; les délinquants qui y trouvent un refuge, soit par la négligence ou la connivence des gardes, sont presque assurés de l'impunité. Voilà donc le second motif qui justifie l'article 15. Il en est encore un troisième c'est celui d'empêcher qu'un garde forestier, destitué pour des faits graves, ne puisse exercer les mêmes fonctions chez un particulier. Lorsqu'un conservateur refusera d'agréer un garde présenté par un propriétaire, il en déduira les motifs, et il sera d'autant plus intéressé à ce soient fondés, qu'ils seront dans le cas qu'ils examinés et jugés. En éclairant un propriétaire sur le danger de prendre tel ou tel índividu, il lui rendra un service essentiel, et c'est encore un but utile du projet de loi. L'on ne doit pas craindre que le conservateur refuse son agrément à un bon sujet par l'effet du caprice ou de la malveillance si cela pouvait arriver, le préfet, auquel le propriétaire appellerait de la décision, s'empresserait de l'annuler. J'ai cru devoir donner un assez long développement à ma manière d'envisager la seconde section du titre II, parce qu'elle sera jugée défavorablement au premier aperçu par les propriétaires; elle paraitra leur imposer une condition qu'ils considéreront d'abord comme une gêne; et toute gène dans l'exercice de leurs droits est à leurs yeux une chose insupportable. Séparez l'indépendance de la propriété, et alors elle perdra son plus puissant attrait. Maís, lorsqu'ils auront examiné plus attentivement les dispositions des articles 15 et 16, ils reconnaîtront qu'elles peuvent leur être avantageuses, et avoueront que le Gouvernement a le droit incontestable d'exercer une surveillance quelconque sur les hommes auxquels il consent à accorder le droit d'être perpétuellement armés. Les administrateurs des forêts ont adressé depuis longtemps une instruction aux conservateurs forestiers, par laquelle ils ont ordonné l'embrigadement des gardes, et leur ont recommandé de rendre compte à l'officier de gendarmerie de l'arrondissement de tout ce qu'ils pourront découvrir de contraire à la sûreté publique. Ils ont ajouté que la brigade forestière se joindrait à la force armée, si elle en était requise par l'officier de gendarmerie. C'est à cette instruction que l'on doit la formation d'une garde forestière. Ce corps, bien vêtu, bien armé, bien payé, sera composé, avec les gardes des communes et autres établissements publics, de dix mille hommes au moins. Chaque garde, en faisant sa ronde, sera tenu d'observer les démarches des hommes suspects, dont les bois sont l'asile le plus ordinaire. Ce sont dans leurs profondeurs et leurs retraites presque inaccessibles que s'organisent et se retirent les bandes de voleurs. Dans les pays boisés, où les brigades de gendarmerie sont moins multipliées qu'ailleurs, les gardes forestiers y suppléeront avec avantage. La connaissance qu'ils ont des forêts leur donnera la faculté de les fouiller avec facilité, et celle d'arrêter les brigands qui y chercheraient un refuge. Le titre III du projet renferme donc une disposition infiniment utile à la sûreté publique; elle augmente considérablement les moyens de répres sion, sans accroitre les dépenses de l'État; elle charge les gardes forestiers d'une fonction qui peut s'allier et faire partie de celle à laquelle ils sont plus particulièrement appelés. Ils n'en seront pas détournés, puisque le projet de loi dit qu'un garde ne pourra jamais être employé hors de ses triages. Un garde-bois peut être considéré comme un dépositaire. Son canton est son dépôt; l'en éloigner serait le compromettre. Les gardes des bois des particuliers sont à peine au nombre de deux mille, desquels cinq cents et plus sont tout à la fois concierges, jardiniers et régisseurs. Les incorporer dans la garde forestière eût été commettre une grande injustice. En violant ainsi les droits sacrés de la propriété, l'on eût porté l'inquiétude et le mécontentement dans l'âme de tous les propriétaires. L'orateur du Gouvernement a donné lieu à cette dernière observation, puisqu'il a remarqué avec raison que les gardes des particuliers n'étaient et n'avaient pu ètre compris dans la garde forestière. Le projet de loi, citoyens tribuns, dont je viens d'examiner les principales dispositions, pour essayer d'en faire ressortir les principaux avan tages, a un double mérite à mes yeux : il emprunte, l'un de ce qu'il contient et l'autre, de ce qu'il ne contient pas. Celui-là n'est pas le moins grand. L'on doit, par exemple, savoir un gré infini au Gouvernement de n'avoir point inséré dans ce projet le rétablissement du titre XXVI de l'ordonnance de 1669, relatif aux bois des particuliers, et d'avoir résisté aux assurances multipliées qui lui ont été données, que c'était à l'abolition de cette disposition que l'on devait imputer en grande partie le mauvais état des forêts. Il a reconnu combien cette assertion était mensongère, en s'assurant d'un fait incontestable: c'est que les bois des particuliers sont mieux tenus et mieux conservés que les bois nationaux. Le titre XXVI de l'ordonnance de 1669 a été la source de mille vexations; aussi l'Assemblée constituante a-t-elle cédé au vœu unanimement exprimé dans tous les cahiers, en décrétant que chaque particulier aurait la libre administration de ses bois. Cette loi a rétabli deux ordonnances, l'une de 1351, et l'autre de 1413, qui accordaient la même faculté aux propriétaires. L'on ne peut raisonnablement accuser la loi du 6 septembre 1791 de la dégradation des forêts. L'on s'en plaignait longtemps avant cette époque; et l'on lit dans les mémoires de Trévoux, du mois de janvier 1715, que la dégradation des bois est si générale qu'on craint d'en manquer même en Allemagne, et néanmoins les particuliers n'y peuvent couper du bois sans une permission, et ils sont obligés de réserver des balíveaux de cinq pas en cinq pas. En France, où il y avait autrefois une si grande quantité de bois que les plantations nouvelles y furent défendues, et qu'il fut accordé des priviléges particuliers à ceux qui voulaient défricher des forêts, priviléges d'où sont nés les droits d'usage qui existent encore aujourd'hui, l'on craint également, depuis des siècles, d'y manquer de bois. Cette crainte n'a point été calmée par l'ordonnance de 1669, puisqu'en 1760 l'on assurait que la rareté des bois était extrêmement sensible. L'on disait alors ce que nous pouvons répéter aujourd'hui avec bien plus de raison. Le titre XXVI de l'ordonnance de 1669 détermine l'aménagement des forêts, et oblige les particuliers à réserver seize baliveaux par demi-hectare de taillis. Les écrivains qui ont traité de la conservation des bois s'accordent à dire : 1° que la quantité de baliveaux à réserver ne peut être positivement déterminée, et qu'il faut, pour en fixer le nombre, connaître avant tout la nature du sol; 2o Que les baliveaux nuisent au taillis 3° Qu'ils y entretiennent, par leur ombre, une humidité qui contribue souvent à le faire geler; 4o Que le bois des baliveaux n'est pas de bonne qualité. L'on ne remédierait pas aux vices reprochés à l'article er du titre XXVI de l'ordonnance de 1669, en déclarant que le nombre des baliveaux à réserver par demi-hectare serait déterminé par des règlements d'administration publique, suivant les localités. Ce que l'on pourrait faire de mieux sur cet objet n'équivaudra jamais à ce qui sera fait par l'intérêt particulier. Le Gouvernement doit s'en rapporter à lui. Pour un propriétaire qui abuse, mille administrent mieux que la meilleure des administrations publiques. L'intervention d'une administration publique. dans une propriété particulière est toujours fâcheuse pour le propriétaire et nuisible à ses intérêts. C'était là l'inconvénient le plus grave du titre XXVI de l'ordonnance de 1669; une modification quelconque n'y remédiera jamais. L'on soupçonnait en France cette disposition de l'ordonnance de 1669 d'être en grande partie la cause de la rareté des bois. En Espagne, où il existe des lois plus sévères encore, relatives aux bois des particuliers, elles sont positivement accusées d'avoir contribué à la destruction des forêts. Voici ce que l'on dit à ce sujet dans un rapport fait, en 1792, par la société économique de Madrid, au conseil royal de Castille : " Depuis trois siècles, la conservation des forêts « occupe le Gouvernement. L'on s'étonne que tant « d'ordonnances n'aient pas présenté jusqu'à pré« sent le moyen de parvenir au but que l'on s'était « proposé. L'on y parviendrait plus sûrement, el « même l'on n'y parviendra jamais qu'en abrogeant tout ce qui a été ordonné jusqu'à présent « sur les forêts, et en rendant aux propriétaires « la libre et absolue disposition de leurs bois. « L'inévitable et salutaire effet de cette liberté « sera de réveiller l'intérêt du propriétaire, et de « rendre à son action le mouvement et l'activité «< que les ordonnances ont amortis; il est forcé « de laisser marquer ses arbres, de payer pour « obtenir la permission d'en couper; il est obligé d'aménager ses bois d'après des règles détermi«nées, de souffrir les visites multipliées des agents « de l'administration, et de leur répondre du « nombre de ses arbres et de l'état de ses plan<< tations. " Comment pouvait-on imaginer, en prescrivant « de semblables entraves aux propriétaires, qu'ils soigneraient une propriété qui devenait pour «<eux la source inépuisable d'une foule de vexa« tions? «La disette des bois, même de ceux à brûler, « est extrême dans quelques provinces. Les or « donnances en sont la cause; révoquez-les, et « l'abondance renaîtra. « La disette, sans doute, est un grand mal; mais « elle répare en partie celui qu'elle fait en ame«nant la cherté. Cette cherté décidera les propriétaires à s'occuper de leurs forêts et à cher« cher à en tirer le meilleur parti possible. Elle « multipliera les plantations, et assurera par là à « l'avenir des ressources qui manquent au présent. " « Ne persistez donc plus dans le maintien d'or« donnances fondées sur des principes contraires « à la justice; et, en les abrogeant, cédez aux « vœux des particuliers, des communautés et des magistrats. Ils se réunissent tous contre un système si nuisible aux vrais intérêts de l'Etat, » et conséquemment si contraire au droit sacré de la propriété et de la liberté des citoyens. » " Je vous demande pardon, tribuns, de m'être étendu aussi longuement sur une disposition de l'ordonnance de 1669, qui, heureusement, n'est pas rétablie par le projet de loi relatif aux bois des particuliers; mais je m'étais proposé un double but en l'attaquant celui de justifier l'As semblée constituante de l'avoir abolie, et celui de démontrer tous les inconvénients qui seraient attachés à son rétablissement. Le projet de loi soumis à votre examen est destiné sans doute à faire partie d'un code forestier; il contribue puissamment à en démontrer la nécessité. L'on éprouve, en s'occupant de cette matière, le besoin de trouver réunie, dans un même cadre, cette foule de lois et de règlements épars dans une multitude de volumes. L'on voudrait aussi voir approprier aux circonstances actuelles des dispositions extrêmement sages, contenues dans nos anciennes ordonnances, et particulièrement la plus grande partie de celles de l'ordonnance de 1669. Le Gouvernement, dans ses vastes conceptions, embrasse tout le bien qu'il y aurait à faire dans chaque branche d'administration; mais le temps lui manque pour exécuter tout à la fois. Une administration forestière, remarquable par son zèle et sa sagesse, rassemblera sans doute les matériaux nécessaires pour composer un code forestier elle seule est en état de les recueillir, car elle seule est dans le cas d'éclairer la théorie par les leçons de l'expérience. L'amélioration des forêts est sensible depuis qu'elle en est chargée, et ceux à portée d'en juger s'uniront à moi pour lui rendre cette justice. Le Gouvernement s'occupera sans doute aussi des moyens de repeupler nos forêts, il confiera au temps le soin de réparer les désordres occasionnés par quelques années d'anarchie. Il s'empressera, pour y parvenir, d'établir des pépinières nationales: lui seul peut former et entretenir des établissements qui dépassent les facultés des particuliers les plus aisés, et qui doivent être destinés à fournir à ceux qui le sont moins des moyens peu dispendieux de planter leurs propriétés. Il faut y encourager les propriétaires en leur offrant à bon marché et à proximité de chez eux les plus belles espèces d'arbres. Les plantations sont tellement dispendieuses et offrent des jouissances et des produits si lents, qu'elles ont besoin d'être spécialement protégées par le Gouvernement. Il doit défendre les jeunes plants par de bonnes lois rurales, soigneusement et sévèrement exécutées. L'Assemblée constituante a voulu multiplier les plantations en les dégrevant pendant trente années du paiement de l'impôt. Mais cette faveur ne porte que sur les terres qui précédemment étaient en friche; elle est insuffisante, et il faudrait l'étendre aux terres labourables qui viendraient à être plantées. Un citoyen recommandable par son civisme et ses lumières avait proposé, pendant la durée de son ministère, de décerner des récompenses à celui qui aurait entrepris des plantations étendues. Il mérite sans doute des récompenses, celui qui cherche à augmenter la valeur de ses domaines par de nombreuses plantations; il sacrific les jouissances du moment à la douce pensée de faire le bien de la société et d'assurer après lui le bonheur de ses enfants. Celui qui consacre sa vie à améliorer ses champs est à coup sûr un bon père de famille, un bon mari, un excellent citoyen. Si cette assertion pouvait avoir besoin de preuves, j'en donnerais d'irrécusables en citant ici des noms bien chers à mon cœur. Les préfets cherchent également à encourager les plantations et à exciter par des primes le zèle de leurs administrés. Plusieurs ont déjà obtenu |