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été averti de la marche de l'Aga, une demie het re avant qu'il n'arrivât, fe retrancha dans-fon palais, & fit, à la háte, les difpofitions néceffaires pour une vigoureuse défense. Au moyen de ces précautions, Ayvas ayant manqué la furprise qu'il méditoit, fit faire feu fur le palais, d'où on lui répondit de la même maniere; ce qui dura jufqu'à midi. Ce moyen paroiffant encore infuffifant pour s'aurer de la perfonne de Cara-Ofman Oglou, l'Aga fit mettre le feu aux maifons voifines du palais, pour l'obliger d'en fortir. Son efpérance fut trompée; de prompts fecours empêcherent les flammes de fe communiquer au gouvernement; & pendant ces inftans de trouble & de confufion, Cara-Ofman Oglou lui échappa. Ce ne fut qu'à la follicitation de fa garde qu'il prit le parti de fe retirer; les janiffaires qui la compofoient, lui repréfenterent qu'il ne pourroit plus longtems réfifter aux efforts de P500 hommes, & lui répondirent de fa vie, s'il vouloit fe confier à leurs foins. Cara-Ofmin, convaincu qu'une défenfe plus opiniâtre ne feroit que retarder fa défaite, & cauferoit la dévaftation de la ville fe retira, vers les 5 heures du foir, fous l'efcorte de fes janiffaires, à Magnefie, ville fituée à quelques lieues d'ici. Il rencontra fon frere qui venoit à fon fecours, à la tête de 1500 hommes, & depuis ce jour il fut joint fucceffivement par d'autres corps de troupes qui, tous ensemble, formoient io mille hommes, & brûloient du defir de venger un chef qu'elles aiment, de l'affront qu'il avoit éprouvé. Ces troupes vouloient continuer leur marche, mais Cara-Ofman parvint à les en empêcher.

Le regrêt que caufoit l'éloignement de notre protecteur, ne dura pas long-tems; le 19 au foir il arriva ici de Conftantinople, en 6 jours, un Tartare, qui avoit été en paffant chez Cara-Of

man Oglou à Magnefie, pour lui montrer un firman du grand-feigneur, qu'il le nommoit de nouyeau gouverneur & protecteur des ville & châteaux de Smyrne pendant la durée de la trêve. Ce Tartare étoit accompagné du Kafnada, de CaraOfman, qui fit lecture de ce firman, & fomma Ayvas-Aga de produire les crdres qu'il avoit, finon de fortir en 24 heures de la ville avec fes troupes, parceque Cara- Ofman y paroitroit à la tête des fiennes. Après une courte délibération, Ayvas-Aga, humilié d'avoir échoué dans fon entreprife, & craignant de fe voir expofé au reffentiment de celui qu'il avoit fi cruellement offenfé, fupplia le cadi & le mufti de lui procurer une retraite libre & sûre; ce que ceux-ci obtinrent de Cara-Ofman, dont les troupes, au nombre de 10000 hommes, avoient déjà fermé toutes les avenues. En conféquence, Ayvas-Aga fortit de la ville, le 21, 3 heures avant le jour; & à 3 heures de l'après-midi, Cara-Ofinin y rentra aux acclamations des habitans, à la tête de 3000 hommes. Quoique la ville ait beaucoup fouffert des excès des troupes d'Ayvas-Aga, la tranquillité publique & la confiance fe rétabliffent infenfi blement.

RUSSIEF.

PETERSBOURG (le 19 Janvier.) Le 12 de ce mois, premier jour de l'an, (vieux ftyle) l'impératrice & le grand-duc, après avoir affifté au fervice divin, recurent les complimens d'ufage. Pendant le diner, qui fut fervi au château, la fanté de S. M. I. fut portée au bruit d'une triple décharge du canon de l'amirauté. Le foir, il y eut au palais du grand-duc appartement, bal & fouper de 76 couverts, où les places furent tirées au fort, fuivant l'ufage. Les deux fortereffes & toute la ville furent illuminées. S. M. I. a nom

mé, ce jour-là, Dames de fon palais, les demoifelles Ozerow & Bohme; cette derniere eft bellefille du Général Bauer; elle a conféré, en même tems, le grade de Contre-Amiral aux Srs. de Barbafe, de Czirokow & de Barth.

Le Prince Orlow (*), qui étoit retourné à la campagne, eft revenu en cette capitale depuis quelques jours, & a reparu à la cour. Il foge chez les Comtes, fes freres, où l'on ne croit pas qu'il faffe un long féjour; une partie de fes équipages & fes principaux domeftiques ont déjà pris la route de Revel, où l'on dit qu'il va s'établir.

Le Sr. Willebrand, agent des villes anféatiques de Breme, Lubec & Hambourg, en cette cour, vient d'être revêtu du même caractere, de la part de la ville de Dantzig; il a eu l'honneur d'être présenté à l'impératrice en cette qualité.

Les préparatifs militaires ont été rallentis. Les troupes qui reviennent de la Lithuanie, avancent lentement vers leur deftination, & les détachemens des trois régimens des gardes ont été contremandés. Cependant, la cour diminue fucceffivement le nombre des troupes réparties en Pologne, & il y a grande apparence qu'on n'y laiffera que les régimens néceffaires pour entretenir une libre communication avec l'armée de Romanzow, & pour garder les poftes les plus importans que les Ruffes occupent encore.

Le Sr. Falconnet vient de mettre la derniere main à la ftatue de Pierre le Grand, que l'impératrice l'avoit chargé de faire. Cet habile artiste François, a animé du feu de la poéfie ce fujet fi propre à échauffer l'imagination. Il a représen

( * ) C'eft le comte Grégoire Orlow, qui, en vertu d'un diplôme de l'empereur, a pris le titre de prince, avec l'agrément de la cour.

té le héros Ruffe, arrivant au galop fur le fommet d'une montagne efcarpée, arrêtant d'une main fon cheval, & de l'autre paroiffant donner des ordres. L'attitude du cavalier, l'expreffion & le caractere de fa tête, & fa main droite étendue peignent à l'efprit les réflexions profondes du fondateur & du législateur d'un empire. Les obftacles que Pierre le Grand a rencontrés dans l'exécution de fes projets, font défignés avec beaucoup de jufteffe par le roc efcarpé fur lequel il gravit, & qui fert de bafe à l'ouvrage. Le Sr. Falconnet, par une adreffe ingénieufe, s'eft écarté des regles minutieufes du coftume; car le piedeftal, qu'on traite ordinairement comme un horsd'œuvre qui ne dit rien & ne doit rien dire fait ici corps avec la figure principale. Il tient à l'action que le fculpteur a exprimée, & en devient une partie néceffaire.

Par une température finguliere, dont il n'y a pas d'exemple en ces climats, le 18 Décembre dernier, le thermomêtre n'avoit point été au 6e. dégré au-deffous de la glace; mais le 19, il étoit au 15e. Depuis ce jour, le froid n'a ceffé d'augmenter, & il étoit d'autant plus néceffaire, que nous commencions à manquer de fubfiftances. L'approvifionnement de cette capitale dépend de la gelée & de la neige. Lorfqu'elles ont rendu les chemins praticables, on voit arriver, des contrées les plus éloignées, de nombreufes caravanes. Elles viennent principalement d'Archangel, & apportent des falaifons, des viandes fraîches & des poiffons gelés. On met ces provifions dans dés glacieres, d'où on les tire fucceffivement. El

les ne font altérées ni par la longueur de la route, ni par celle du tems qu'elles ont été gardées dans la glace. Cette méthode n'eft pas particuliere à la Ruffie. Elle eft en ufage dans prefque tous les pays froids.

A'S

Le gofit pour les jeux de hazard eft parvenu à éluder, à Mofcou, les ordonnances qui ont proferit ceux qui font connus. On en a introduit récemment, dans cette ville, un d'une espece finguliere. Il confifte à caffer en morceaux, pairs on impairs, des affiettes de fayance. Les pertes faites, en très-peu de tems, à ce jeu bizarre, vont au-delà de 80 mille roubles, environ 4 cent mille liv.

La cour vient de faire publier une déclaration par laquelle il paroit que les Tartares de Crimée & les hordes de Tartares-Nogais, ont entierement fecoué le joug de la Porte ottomane. Cette piece eft conçue en ces termes :

Par la grace du très-haut, uprême arbitre de toutes cho+ fes, nous Saghib-Ghirei, Kan de la Crimée, élu à cette dignité par droit de naiffance & de fucceffion, & par le confentement unanime de certe prefqu'ifle; tous les ha bitans de ce pays, enfemble avec toutes les hordes de Nogais, ayant, par la providence divine,recouvré leur ancienn liberté & indépendance,& s'étant formés en un état indépendant de toute domination étrangère & foumis à fon propre gouvernement; nous,conjointement avec tous les princes de Schirin & autres princes de Crimée avec la nobleffe & le clergé, & au nom de tout le peuple de Crimée & des chefs, peuples & familles des Nogais & généralement de tous ceux qui participent à l'heu Teux changement actuel du fort des Tartares, décla rons folemnellement par les préfentes, devant le mon de entier & nommément devant la fublime Porte, que, par un accord fincere & unanime, confirmé par nos fermens mutuels, nous avons arrêté que nous maintiendrons à perpétuité l'indépendance, laquelle appartient en propre aux peuples Tartares, comme en ayant joui de toute an cienneté,& ne l'ayant perdue que dans ces derniers tems, comme auffi que nous entretiendrons parmi nous l'ordre qui convient à un état libre & bien réglé, ainfi que le plus propre à nous mériter la confiance des puiffances voifines, & enfin qu'en cas de befoin, nous épuiferons touses nos forces & nos dernieres reffources pour la dé fenfe de notre liberté heureufement recouvrée. Dans cet état, nous efpérons de la juffice & de l'humanité de la fublime Porte, qu'elle nous laiffera tranquilles, & ne s'op

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