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chacun de nous peut pécher par quelque côté. L'un sait que l'expérience lui manque, l'autre a perdu de vue les études théoriques. Laissez agir la critique moderne et nous resterons tous, les bras croisés, en présence les uns des autres. Ces appréhensions, Messieurs, me paraissaient fondées avant que j'eusse appris à vous connaître. Mais depuis que j'ai vécu au milieu de vous, que j'ai pu me convaincre de votre indulgence pour des labeurs dont vous savez si bien apprécier la difficulté, j'ose affirmer qu'il n'y a pas de réunion où l'on puisse se risquer mieux que dans la nôtre.

Si vous partagez ces idées, vous penserez aussi que chacun de nous doit enrichir l'Académie du résultat de ses méditations ou de ses recherches. Quelque justes que soient nos appréciations sur les travaux d'autrui, c'est surtout par notre contribution personnelle que nous saurons maintenir la haute position que nous occupons déjà dans le monde savant.

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Privés des surprises que nous ménagent sans cesse les études poétiques ou littéraires, efforçons-nous donc d'y suppléer par l'utilité: cet avantage en vaut bien un autre. Ainsi l'a pensé le digne chef du parquet de la Cour dont l'assiduité constante à nos réunions témoigne du prix qu'il attache. Tels étaient aussi les sentiments de cet excellent Recteur qui, comme le disait naguère une voix plus autorisée que la mienne, a montré dans des positions différentes la même aptitude, la même élévation, et permettez-moi d'ajouter, car j'ai reçu des témoignages particuliers de sa bonté, le même cœur. C'est par là qu'il arrivait à l'éloquence Pectus est quod disertos facit.

Ces paroles sont suivies d'un mouvement unanime d'approbation.

Sur la proposition de M. le président, des remerciments sont votés au bureau sortant,

Séance du 27 janvier.

Présidence de M. DUFOUR.

L'Académie a reçu: 1° deux opuscules de M. Veratti, professeur de droit à l'Université de Modène, relatifs à la généalogie des maisons d'Este et d'Arpad; 2o le tome Ier d'un Recueil de jurisprudence de la cour impériale de Pau, rédigé par M. Lasserre, avocat à la même cour; 3° un ouvrage de M. Nypels, professeur à l'Université de Liége, et qui a pour titre: Droit pénal français, progressif et comparé, accompagné des discussions au conseil d'Etat. MM. Molinier et Chauveau sont nommés rapporteurs.

M. Niel a la parole pour donner lecture du rapport suivant, sur un travail manuscrit de M. Dubédat, procureur impérial à Foix, ayant pour titre CAMBACÉRÈS; De la part prise par l'archichancelier aux Codes criminels.

MESSIEURS,

L'Académie de législation a reçu, il y a déjà plusieurs années, de M. Dubédat, l'un de ses membres correspondants, un mémoire ayant pour titre Cambacérès et de la part prise par le second Consul aux travaux préparatoires du Code Napoléon. Ce travail consciencieux fut justement apprécié par l'Académie, qui vota des remerciements à l'auteur et décida que son Mémoire serait imprimé dans notre Recueil. M. Dubédat vient tenir aujourd'hui l'engagement qu'il avait pris en terminant sa première étude, et il nous adresse un nouveau Mémoire sous ce titre : Cambacérès; de la part prise par l'archichancelier aux Codes criminels.

L'auteur, qui a voué à la mémoire de Cambacérès un culte tout particulier, reproduit au début de son œuvre les motifs qui le déterminent à continuer religieusement l'analyse de tous les travaux auxquels a participé l'homme d'Etat dont il veut retracer la vie. M. Dubédat a suivi, pour son nouveau Mémoire, le plan qu'il avait adopté pour le premier. Il a compulsé les procès-verbaux des séances du conseil d'Etat; il a consulté les mémoires, les documents. contemporains, et, en suivant l'ordre des matières, il fait ressortir la part qui revient à Cambacérès dans l'élaboration des Codes criminels.

Il nous parait difficile de présenter à l'Académie, d'une manière satisfaisante, le compte-rendu d'une œuvre qui n'est, elle-même, qu'un aperçu sommaire de travaux considérables et une appréciation de ces mêmes travaux, faite à un point de vue individuel et restreint; nous pensons qu'il est préférable de mettre sous vos yeux le Mémoire entier de M. Dubédat, nous réservant de le faire suivre de quelques observations personnelles.

J'ai à cœur de parler encore de Cambacérès. Il y a des noms qui vivent et dont on peut parler toujours. J'ai déjà étudié le second consul au conseil d'Etat pendant ces années pures et fécondes d'où sortit le Code civil des Français, mais on ne peut, au rapport de Montaigne, réciter un homme à moitié sans avoir le regret de ne pas le réciter entièrement. On s'attache par des liens secrets à ceux dont on écrit la vie, et ce n'est pas sans tristesse qu'on les perd de vue, après avoir longtemps suivi leurs traces. Ce commerce mystérieux avec une mémoire immortelle a de continuels enseignements pour celui qui raconte; on est curieux de la mieux connaître, on désire et on espère en apprendre quelque chose de plus. Si on l'a prise au berceau, on veut aller avec elle jusqu'à la tombe. Je veux aujourd'hui revoir les séances du conseil d'Etat et entendre Cambacérès dans la discussion des lois criminelles. Il n'est plus second consul, il est prince archichancelier.

Alors la République est tombée, l'Empire s'est levé sur la France, et le conseil d'Etat fonde la législation criminelle au milieu des grandes émotions de la guerre et des triomphes qui élèvent l'Empereur à l'apogée de la gloire.

Le 2 prairial an XII, l'Empereur avait chargé la section de législation de présenter au conseil d'Etat, dans le délai de quinze jours, les questions fondamentales d'un projet de Code criminel. Les plus grands rois avaient tenté vainement cette réforme. Les ordonnances de François Ier et de Louis XIV avaient laissé se perpétuer des abus sans nombre qu'avaient signalés au monde Beccaria, Servan et Voltaire, et toute l'école philosophique. Les Assemblées de la république avaient bien décrété que les Codes civils et criminels étaient uniformes dans la nation, avant même que la première page fût écrite, mais elles avaient laissé l'œuvre de leur réformation inachevée. Le code des délits et des peines de 1791 était sans doute, au dire de Réal, un monument magnifique élevé à l'humanité et à la raison sur les ruines d'institutions barbares, mais vingt ans s'étaient écoulés, long espace dans des temps révolutionnaires, et la période de brumaire et l'expérience de chaque jour avaient dévoilé les parties faibles et les lacunes de cette législation. L'Empereur voulait que les lois fussent durables et rapides comme ses victoires. Sa volonté fut faite. Le 16 prairial, la commission créée par l'arrêté du 7 germinal an IX, et composée de Vieillard, Target, Oudard, Treilhard et Blondel avait terminé un projet de code unique auquel elle avait donné le nom de Code criminel, correctionnel et de police. Ce code était divisé en deux parties. La première était intitulée Délits et peines, et était partagée en quatre livres : Peines criminelles et correctionnelles ; Personnes punissables et responsables; Crimes, délits et leur punition; Contravention de police et peines. La seconde partie se composait de deux livres, l'un de la Police et l'autre de la Justice.

La première séance eut lieu à Saint-Cloud. L'Empereur la présidait. Bigot Préameneu présenta les questions dont la rédaction avait été ordonnée en prairial. Elles étaient ainsi conçues :

I. L'institution du jury sera-t-elle conservée ?

II. Y aura-t-il un jury d'accusation et un jury de jugement?

III. Comment seront nommés les jurés? dans quelle classe seront-ils nommés? qui les nommera?

IV. Comment s'exercera la récusation?

V. L'instruction sera-t-elle purement orale, ou partie orale et partie écrite ?

VI. Présentera-t-on plusieurs questions au jury de jugement? n'en présentera-t-on qu'une: N. est-il coupable?

VII. La déclaration du jury sera-t-elle rendue à l'unanimité ou à un certain nombre de voix ?

VIII. Y aura-t-il des magistrats qui pourront tenir des assises dans un ou plusieurs tribunaux criminels de département? IX. La peine de mort sera-t-elle conservée ?

X. Y aura-t-il des peines perpétuelles?

XI. La confiscation aura-t-elle lieu en certains cas?

XII. Les juges auront-ils une certaine latitude dans l'application des peines? y aura-t-il un maximum et un minimum qui leur laisseront la faculté de prononcer la peine pour plus ou moins de temps, suivant les circonstances?

XIII. Pourra-t-on placer sous la surveillance certains condamnés qui auront subi leur peine, et pourra-t-on exiger dans certains cas des cautions de leur conduite future?

XIV. Y aura-t-il un mode de réhabilitation dont la conduite aura mérité cette faveur?

pour les condamnés

L'Empereur s'était déjà expliqué sur la partie de la discussion qui allait s'ouvrir : « Mes intentions, disait-il, sont que ces ques>>tions fondamentales soient d'abord débattues sans néanmoins » que les principes qui seront fixés puissent être considérés » comme arrêtés définitivement, le conseil demeurant libre de » revenir sur ses premières décisions, lors de la discussion des » articles du projet. » Au sortir de la révolution, les législateurs de l'empire ne pouvaient guère adopter les institutions nouvelles qu'à titre d'essai. De l'aveu même des rédacteurs du code, ils ne faisaient qu'une œuvre provisoire qui devait, « dans l'avenir, par >> le conseil et la lumineuse épreuve de l'expérience être profondément modifiée et complétée. » On n'entendra plus se mêler à ces discussions la voix retentissante des tribuns. Le tribunat qui avait fatigué l'Empereur de ses oppositions turbulentes avait été sup

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