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principes. L'autre dira tout ce qu'il y a d'élévation dans le caractère de ce jeune magistrat et d'indépendance dans ses jugements.

Voici d'abord ce qui a trait aux mines :

L. Mines. Jusqu'à quel point une concession de mine peut-elle être considérée comme une aliénation de la part de l'État? Pour que l'État puisse aliéner, il faut qu'il soit propriétaire. Or, la mine appartient-elle à l'État?

Un acte réglementaire du 30 mai 1415, confirmé en 1457, semble bien proclamer le droit du Prince. En effet, en 1429, Charles VII donne le bail des mines à Jacques Cœur. En 1471, Louis XI crée une charge de maître général des mines. Cet officier a seul le droit de rechercher les mines et de les faire exploiter sur les terres du domaine, même sur les terres seigneuriales. La charge fut supprimée en 1748: Une compagnie fut instituée et investie du privilége de l'exploitation des mines de France.

La Constituante fut très-embarrassée. Il s'agissait de restaurer partout les droits individuels, partout méconnus. D'autre part, le système économique qui exagère le rôle de l'État au détriment de l'initiative individuelle n'a jamais cessé d'avoir ses partisans en France. Le rapporteur des comités de constitution, des finances, d'agriculture et de commerce, vint soutenir que la liberté d'exploitation n'aboutirait qu'au gaspillage des mines et à la diminution de leurs produits. Mirabeau, d'accord avec la commission, défendit énergiquement les droits de l'État. Mais le système de Mirabeau lui-même n'est pas bien net : « Ce serait une absurdité de dire que les mines sont à la disposition de la Nation, dans ce sens qu'elle pût ou les vendre, ou les faire administrer pour son compte, ou les régir à l'instar des biens domaniaux, ou les con» céder arbitrairement. » Pourquoi serait-ce une absurdité, dans le système du grand orateur? Il admet que la Nation «< peut et >> doit concéder les mines, »>il admet que les mines sont à la disposition nationale,» il admet que son droit « excède celui >> d'une simple surveillance. » Q'admet-il done? La Nation estelle définitivement propriétaire des mines? Mirabeau ne répond pas et nous déclare seulement que la Nation a droit à l'exploita

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tion, et que c'est là le fondement de son système. Ainsi donc, le droit à l'exploitation aboutit au droit de concession. Ne serait-ce

pas le cas de dire avec Portalis? « Méfions-nous des systèmes dans

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lesquels on ne semble faire de la terre la propriété de tous que » pour se ménager le prétexte de ne respecter le droit de per

>> sonne. >>

Lisons maintenant son appréciation de la circulaire ministérielle du 15 mai 1858.

Nous avons vu que le gouvernement du roi Louis XVI, pressé par des embarras financiers, avait prétendu mobiliser le patrimoine des hospices quelque temps avant la Révolution. Le 15 mai 1858, une circulaire du général Espinasse, ministre de l'intérieur, vint prescrire cette mesure dans le plus impérieux langage qu'eût jamais employé l'administration française.

Le tort irrémissible de la propriété immobilière des hospices, aux yeux du général Espinasse, c'est l'infériorité relative du revenu. Les statistiques l'évaluent à 2 1/2 pour 100, mais le général n'hésite pas à le réduire à 2 pour 100. Il prescrit donc la transformation de la propriété foncière en rentes sur l'État. Mais il prévoit immédiatement une objection; il importe de garantir le patrimoine. des hospices contre la dépréciation du numéraire. La circulaire a une réponse toute prête, « bien connue d'ailleurs, »nous dit-elle. « La précaution consiste à capitaliser une partie des arrérages de » la rente; la proportion jugée suffisante n'est que de 10 pour 100. » La première objection ne soutient donc pas un sérieux examen. » La seconde est toute morale et fondée sur les plus sacrés motifs. On a pu léguer ou donner des immeubles dans une vue de charité prévoyante, pour laisser aux établissements publics un gage fixe, inébranlable, assuré contre tous les genres de révolutions. Mais il ne s'agit que de bien comprendre les sentiments du donateur. Le donateur était peut-être lui-même le jouet de ses erreurs économiques. La circulaire croit se conformer « aux intentions tacites des >> bienfaiteurs >> en opérant la conversion.

« Je vous autorise donc, monsieur le préfet, à user de toute >> votre influence, et, au besoin, de votre autorité, pour amener

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>> les commissions administratives des établissements de bienfai>> sance à voter l'aliénation des biens-fonds dont le revenu net >> serait notablement inférieur aux neuf dixièmes des arrérages de » la rente sur l'État, qui pourrait être achetée avec le prix de >> vente de ces biens. >> Cependant le général prévoit l'indocilité des commissions administratives en effet, les commissions administratives opposèrent à la circulaire une résistance presque universelle. « J'aime à croire, monsieur le préfet, poursuit le général, que ces instructions seront écoutées. Les membres des >> commissions administratives sont généralement trop éclairés et >> trop animés de l'amour du bien public pour ne pas s'empresser » de répondre aux vues philanthropiques du gouvernement. >> Voici la conséquence, qui n'était pas propre à rallier les commissions administratives au projet ministériel: « Enfin, si une commission, par ses préjugés et son inertie, vous plaçait dans l'al>>ternative de provoquer sa dissolution ou de laisser se prolonger » indéfiniment une mauvaise administration de biens, vous ne >> devriez pas balancer à prendre le premier parti. » Le dernier moyen de coaction n'est pas moins violent; le général annonce qu'il privera de toute subvention les établissements de bienfaisance qui ne se conformeront pas à ses doctrines économiques. Les préfets devaient donc adresser, tous les trois mois, au ministre de l'intérieur, un état indiquant : 1o le nom des établissements charitables qui auraient voté la vente des immeubles; 2o la nature, la contenance, l'évaluation et le prix de vente de ces immeubles; 3o le montant de la rente acquise et le taux du cours de la Bourse auquel elle aurait été achetée; 4° l'étendue et la valeur des biens-fonds non encore vendus et susceptibles d'être aliénés.

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Ainsi, l'on jetait 500 millions d'immeubles sur le marché général de la France, à une époque où la propriété immobilière, chargée de lourds impôts, n'avait pu se relever encore du coup fatal que la révolution de février 1848 lui avait porté. Quand tout conspirait à la dépréciation du sol français, l'essor immodéré du crédit, l'entraînement des capitaux vers les valeurs industrielles, la dépopulation des campagnes, la perte des avantages politiques attachés à la propriété foncière, le ministre de l'intérieur ne reculait pas de

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une mesure capable d'empirer cette situation! Cepen

dant, si la France, attentive à ces paroles, eût aveuglément adopté la doctrine contenue dans la circulaire, elle délaissait tout entière, avec empressement, cette terre improductive aux yeux du généralministre, et les hospices eux-mêmes n'eussent plus trouvé d'acquéreurs. Personne n'avait pourtant plus d'intérêt à garder ses propriétés que les établissements publics dont la personnalité se prolonge et se perpétue à travers les siècles. Un capital de cent mille livres, placé en rentes sur l'Etat, il y a trois siècles, par un sujet du roi Henri IV, ne serait encore aujourd'hui qu'un capital de cent mille livres, encore le supposons-nous sorti sain et sauf des crises financières et des secousses politiques. Placé en biens-fonds, sa valeur eût triplé, quadruplé, décuplé peut-être. Aussi la circulaire du général Espinasse souleva-t-elle une violente opposition. Le sentiment universel monta jusqu'à Napoléon III, si profondément habile à pénétrer, souvent à pressentir l'opinion publique. Le général Espinasse tomba du ministère, et la circulaire de mai 1858 contribua sans nul doute à sa chute.

M. Desjardins est docteur en droit et docteur ès lettres. Au concours de doctorat de 1857, il obtint à la Faculté de Droit de Paris une médaille d'or pour un mémoire qui contenait en germe le livre dont j'ai eu l'honneur de rendre compte à l'Académie. Il était en 1862 substitut du procureur impérial à Toulon. Il est aujourd'hui membre du parquet de la Cour impériale d'Aix. L'Académie française lui a décerné récemment une de ses plus belles couronnes; et on pourrait déjà dire presque de lui qu'il ne manque rien à sa gloire s'il était permis d'appliquer ces paroles célèbres à d'autres qu'à l'auteur immortel du Misanthrope. Dans tous les cas, son nom manque sur la liste de nos correspondants; et c'est pourquoi je m'empresse de vous proposer de lui en conférer le titre.

M. Chauveau Adolphe obtient ensuite la parole pour la lecture d'un Rapport sur une dissertation de M. de Raze, avocat, concernant les Chemins ruraux.

L'honorable membre s'exprime de la manière suivante :

Messieurs,

Dans notre organisation administrative, il est certaines matières qui se rattachent au droit civil, ou à la simple police.

Là surtout nous regrettons l'absence d'une codification dont s'est encore préoccupé le Sénat, il y a quelques jours, et dont il a persisté à reconnaître l'utilité.

Au nombre de ces matières si mal digérées, nous trouvons les chemins ruraux. Cette partie spéciale rentre naturellement dans un code rural. Mais, vous le savez tous, la rédaction d'un code rural semble être l'œuvre de Pénélope. Depuis le fameux projet de 1804 qui a donné lieu à une collection de rapports en quatre volumes in-4°, et à des rédactions plus ou moins complètes, depuis la proposition du Sénat qui a été synthétisée dans le rapport remarquable de M. Casabianca, on travaille à un code rural dont les difficultés de rédaction arrètent les esprits les plus distingués du corps si haut placé, le conseil d'Etat.

Le travail dont vous avez bien voulu me confier l'examen ne concerne que les chemins ruraux. C'est donc uniquement cette matière qui doit être l'objet de mes observations.

Avant d'aborder la dissertation de M. de Raze il ne sera pas sans utilité de vous présenter quelques idées générales sur les voies secondaires de communication qui feront ressortir l'importance de la difficulté relative aux chemins

ruraux.

Dans l'ancien droit, on se préoccupait fort peu de ce qui n'était pas grande voie de communication, routes royales, cours d'eau navigables, canaux de navigation. Les chemins ordinaires et les rivières non navigables étaient compris, en général, parmi les propriétés seigneuriales.

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