Page images
PDF
EPUB

spécial à ce donataire et il règle fort nettement la position qui lui est faite au cas où il répudie. Or, contre les termes si clairs de cet article, aucune distinction ne saurait prévaloir après l'arrêt du 27 novembre.

Il n'est pas moins vrai que le livre de M. Ragon est à la fois une œuvre ingénieuse et savante où l'on trouve, pour emprunter les expressions de M. le procureur-général Dupin, une remarquable fécondité d'argumentation. La cour régulatrice a, sans doute, repoussé sa doctrine; mais la théorie dont il a doté la littérature juridique est, à certains égards, un modèle d'exposition qui décèle un esprit supérieur où brille du plus vif éclat, l'art suprême du jurisconsulte Elegantia juris.

J'ai l'honneur, en conséquence, de proposer à l'Académie de décerner à M. Ragon le titre de membre correspondant. Il sera statué sur cette proposition à la prochaine séance.

Séance du 15 juin.

Présidence de M. CAROL, vice-président.

M. le secrétaire-adjoint a déposé sur le bureau un Elege de M. Urbain Vitry, ancien secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences de Toulouse, lu à une séance de cette Académie par M. Astre. M. le président remercie M. Astre de l'hommage qu'il a fait à l'Académie de législation, et ordonne que l'écrit sera déposé dans ses archives.

L'ordre du jour appelle l'élection de deux associés ordi

naires en remplacement de M. Fourtanier, décédé, et de M. Darnaud, qui ne réside plus à Toulouse. M. Galles, premier avocat général à la cour impériale, est nommé, à l'unanimité des suffrages, à la place laissée vacante par la mort de M. Fourtanier, et M. Léon Cassin, professeur agrégé à la Faculté de droit, à celle dont l'éloignement de M. Darnaud a entraîné la vacance.

M. Ragon, professeur à la Faculté de droit de Poitiers, et M. Bladé, avocat à Lectoure, sont, à la suite de deux scrutins, nommés correspondants de l'Académie. M. Ragon a réuni l'unanimité des suffrages.

La parole est ensuite donnée à M. Bressolles pour la lecture d'un rapport sur un ouvrage de M. Périer, procureur impérial à Lombez, qui traite des Partages d'ascendants. M. le rapporteur s'exprime ainsi qu'il suit :

Il y a déjà quelque temps que j'aurais dû entretenir l'Académie du travail de M. Périer dont elle m'avait confié l'examen : ce n'est certes pas ma sympathie qui a fait défaut à l'auteur, l'un des élèves les plus zélés de notre Faculté, auprès de laquelle il obtint, en 1848, une des distinctions du concours de fin d'année; ce n'est pas non plus que la dissertation de M. Périer ne me parût pas digne d'occuper votre attention; mais j'avais projeté de présenter à l'Académie, à l'occasion de cet intéressant écrit, quelques réflexions sur l'usage des partages d'ascendants, et j'attendais tous les jours, pour les coucher par écrit, un loisir qui m'a bien souvent fait défaut; j'avoue, en toute simplicité, que j'avais un peu perdu de vue mon devoir académique.

Une circonstance particulière est venue, ces jours-ci, ramener mon esprit sur ce sujet important, et cette circonstance m'a fait me féliciter de ne vous avoir pas encore soumis mon rapport, parce qu'elle fournira une autorité de

plus à la conclusion finale que je crois devoir donner à mon opinion sur l'emploi de ce mode de disposition gratuite.

Il y a donc très-peu de temps que la population éclairée de cette cité, toujours empressée à prendre part à la Fête des fleurs 1, se rendit au Capitole, plus empressée encore que de coutume, afin d'entendre quelques communications poétiques d'un nouveau Maître ès-jeux, dont le renom littéraire, justement acquis en fait l'un des membres les plus distingués et les plus populaires de l'Académie Française 2; le genre de l'apologue est celui auquel paraît se mieux complaire actuellement la muse, encore jeune, du spirituel vieillard, et il raconta, en ce jour, sous la forme poétique la plus gracieuse, le trait suivant emprunté à la vie d'une famille de Bengalis, ces oiseaux si souvent chantés. Les jeunes de la famille obtiennent des parents le partage du petit patrimoine, et s'engagent à fournir aux imprévoyants vieillards tout ce qu'il leur faudra et bien au-delà, pour satisfaire à leurs besoins; mais, aussitôt l'affaire conclue, les pauvres vieux sont séquestrés dans une cage à part, où d'abord quelques rares grains viennent alimenter leur corps affaibli; peu de temps après les affaires appellent les enfants au loin, ils passent et repassent devant la cage paternelle, sans avoir même le temps de s'y arrêter; ils oublient la pension promise; bientôt ils se persuadent qu'ils ne peuvent plus absolument y pourvoir, et les parents finissent par mourir de chagrin et de misère, plus encore que de vieillesse.

Ils avaient donc eu tort de faire un partage d'ascendants ou, du moins, ils n'en avaient pas combiné les clauses

1 L'Académie des Jeux Floraux distribue ses prix, le 3 mai de chaque année, dans une solennité littéraire appelée Fête des Fleurs.

2 M. Viennet.

avec assez de sagesse dans l'intérêt de leur bien-être matériel, et aussi dans celui de la dignité de leur caractère, dont les parents font de nos jours si facilement abnégation. C'est dès lors avec quelque actualité que je viens vous entretenir du Traité que M. Périer a composé, puisque l'attention du public a été si vivement appelée à réfléchir sur ce sujet.

Quand je dis le Traité de M. Périer, c'est parce que je veux bien employer le titre qu'il a lui-même littéralement donné à son travail ; car, à vrai dire, cet écrit, considéré dans son étendue, n'est qu'un très-bref essai ou résumé sur la matière si difficile et si pratique des Partages d'ascendants: c'est une brochure de trente-quatre pages in-8", formée de deux articles publiés par l'auteur dans la Revue critique de legislation 1, et dans laquelle il a esquissé plutôt que traité le sujet, tout en ayant touché aux principales difficultés qu'il présente, ou du moins à la plupart d'entre elles: notre littérature juridique ne possède encore, à notre connaissance, en dehors des ouvrages généraux de droit civil, qu'un seul Traité complet sur les Partages d'ascendants, celui de M. Genty, docteur en droit, que j'ai vu figurer avec honneur dans un concours, déjà ancien, devant la Faculté de Paris, et qui a rempli les fonctions de suppléant auprès de la Faculté de Dijon.

Le travail de M. Périer est divisé, après une courte Introduction, en six chapitres, traitant, le 1er, de l'historique de la législation en cette matière; le 2o, du caractère des partages d'ascendants; le 3o, des règles des partages d'ascendants; le 4o, de l'effet des partages; le 5o, de l'action en lésion et en rescision; le 6o, du délai pendant lequel peut être attaqué le partage d'ascendants.

1 Tom. XXII, p. 319 et 400.

Cette division du sujet en comprend toutes les parties, quoique les rubriques de tous ces chapitres ne soient pas toujours très-satisfaisantes sous le rapport de l'exactitude terminologique, comme celle de l'action en lésion que l'auteur semble distinguer de l'action en rescision, et qui ne renferme pas en apparence l'action en réduction digne, en cette matière, d'une attention spéciale.

Quoi qu'il en soit de cette observation sur l'extérieur de la brochure, occupons-nous de points plus essentiels qui tiennent au fond du sujet.

Quel est le but que s'est proposé le législateur en autorisant les partages d'ascendants, et ce but a-t-il été atteint? L'auteur dit quelques mots sur ces deux questions dans son Introduction; et, après avoir constaté que l'intention générale et la plus apparente de la loi a été de fournir au père de famille un moyen de prévenir les dissensions dont le partage de ses biens pourrait devenir l'occasion entre ses enfants, il est obligé de reconnaître, qu'en fait, cette intention est malheureusement loin d'être satisfaite; car ces actes de magistrature et de prévoyance paternelle deviennent très-souvent le point de départ d'attaques et de critiques, causes de nombreux procès, en sorte que ce qu'ils ont voulu empêcher est précisément ce qu'ils produisent.

Ceci n'est que trop vrai, et la pratique des affaires, comme l'exercice de la délicate mission du conseil dans divers arrangements de famille, m'ont depuis longtemps convaincu de la déception, presque ordinaire et souvent probable, qui est réservée au père de famille qui use de sa prérogative: il y a même cela de remarquable, d'après la statistique des monuments judiciaires en cette matière, tels que la fournissent les recueils d'arrêts, que le nombre des contestations nées à l'occasion des partages d'ascendants, dans la période de 1851 à 1860, a non seulement

« PreviousContinue »