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d'Irlande. Transplanté dans la Chambre des Communes d'Angleterre, il n'y avoit parlé qu'une seule fois. Ceux qui l'avoient entendu étoient frappés de la ressemblance de son style avec celui du fameux Anonyme. On crut que son silence avoit été acheté. Quoi qu'il en soit, il en a conservé le surnom d'Hamilton single-speech.

Lorsque Swift, sous le titre d'Avis aux domestiques, rassembla toutes les fautes, les sottises, les infidélités qui appartiennent à cette condition, ceux même auxquels il adressoit ces conseils ne pouvoient pas s'y méprendre. Son but n'étoit pas de les corrompre. Il vouloit leur montrer, dans cette ingénieuse satyre, que leurs vices étoient connus, et que leurs prétextes n'abusoient personne.

L'objet d'Hamilton est tout différent. Son livre est une école où l'art de soutenir ce qui est vrai et ce qu'on sait être faux, l'art d'appuyer une bonne mesure ou d'en défendre une mauvaise, est enseigné avec la même franchise, le même zèle, pour le succès. Ce n'est point une ironie; c'est

le résultat sérieux de l'expérience et de la méditation.

Son caractère politique, tel qu'il a été esquisse par lui-même et achevé par M. Malone, son panégyriste, peut se renfermer dans un seul trait. Déterminé à s'attacher à un parti, et toujours au parti dominant, quel qu'il fût, il avoit pris pour maxime que toutes les mesures étoient indifférentes, qu'on ne pouvoit point errer avec la majorité, et que toute la logique parlementaire devoit se borner à éluder les arguments des antagonistes, et à contribuer à la victoire de son parti, sans aucun égard ni aux principes, ni aux moyens.

Celui de ces moyens captieux qu'il explique avec prédilection et auquel il donne la palme, consiste à falsifier les opinions de son adversaire. Démosthène, interrogé sur ce qui lui paroissoit le point le plus important pour l'Orateur, répéta trois fois de suite que c'étoit l'Action. Dans ce recueil d'environ 500 Aphorismes, Hamilton en a consacré tout au moins

VERSITARIA

quarante à recommander la falsification. Il n'étoit pas simplement dans un état d'indifférence entre le faux et le vrai. II donnoit une préférence décidée à la défense d'une mauvaise cause, parce qu'elle exigeoit plus de dextérité, et qu'une fois blasé sur l'amour du vrai, on se fait un mérite de savoir décorer le faux sous des couleurs trompeuses.

Les Mémoires de Dodington (Lord Melcombe) sont regardés en Angleterre comme l'ouvrage où la corruption politique se montre avec le moins de déguisement: mais, quoique l'auteur n'annonce aucune prétention à la vertu, il garde une sorte de pudeur dans l'aveu de ses bas sesses. Le vice y est couvert d'une gaze. D'ailleurs, il raconte, et n'enseigne pas. C'est l'histoire d'un Courtisan; ce n'est pas une théorie politique. Hamilton, au contraire, rédige les maximes de la mauvaise foi avec une précision recherchée; il en fait un Code portatif; il les recommande à tous ceux qui veulent s'avancer dans la carrière publique.

Je ne suivrai pas M. Bentham dans toutes les observations qu'il avoit faites sur cet écrit peu connu; mais je dois, d'après lui, parler de l'auteur qui a été son dévancier et son modèle. Le nom d'Aristote vient se placer comme de luimême à la tête d'un ouvrage sur les Sophismes. C'est son domaine et sa création. Il a empreint cette partie de sa logique du sceau de son génie.

Quel que soit aujourd'hui notre dédain pour des formes captieuses de raisonnement, il paroît qu'au temps d'Aristote, il

y avoit des hommes qui en tiroient gloire. La Grèce, ou du moins Athènes, abondoit en beaux-esprits qui ouvroient des écoles pour la jeunesse, et qui cherchoient, à l'envi, à se distinguer par des subtilités syllogistiques. Un Sophiste qui inventoit une nouvelle forme d'argument en faisoit sa propriété, et lui donnoit un nom caractéristique, comme le chevelu, le tortu, le noueux, le lutteur, ou telle autre dénomination bizarre. Aristote, trop supérieur à ces Charlatans pour les imiter,

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examina toutes ces énigmes et en donna la solution.

Il faut avouer toutefois que de ces dixneuf sophismes, si l'on en excepte deux, Petitio principii et non causa pro causâ, les autres ne paroissent pas des instruments d'erreur bien dangereux. Ils semblent plus faits pour embarrasser des enfants, que pour tromper des hommes. Ils n'ont d'autre résultat que de produire un certain degré de confusion dans l'esprit. Ils ne roulent guère que sur l'emploi ambigu des termes. On vous présente une proposition qui, bien loin de vous paroître convaincante, vous paroît fausse au premier aspect; mais vous ne savez pas démêler d'abord en quoi gît la foiblesse de l'argument; vous sentez le piége avant de pouvoir en débrouiller le fil. Pungunt tanquam aculeis, interrogatiunculis angustis: quibus etiam qui assentiunt, nihil commutantur animo, et iidem abeant qui venerunt. Senec.

Ce que fit Aristote pour détruire les moyens de tromper est peu de chose en comparaison de ce qu'on a fait pour les

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