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ils doivent bien se garder de proclamer un droit absolu et inaliénable, avant d'avoir examine s'il ne sera soumis à aucune exception: mais particulièrement si l'on se propose d'enchaîner le Législateur, il faut avoir formé tout le Code avant d'établir des maximes suprêmes qui limitent son pouvoir. Il faut connoître toutes les lois de détail avant de fixer l'enceinte dont il ne devra plus sortir.

On ne sauroit douter que cette précipitation à établir des maximes générales, des maximes irrévocables, d'une manière si prématurée et lorsqu'on prévoyoit si peu les résultats de l'Assemblée, ne fût autre chose, de la part des plus forts, qu'un moyen de triomphe sur les plus foibles, un moyen par lequel on prétendoit subjuguer toute oposition future; et ceux qui s'applaudissoient alors d'avoir consacré des dogmes politiques qui terrassoient l'Aristocratie, ne se doutoient guère qu'ils venoient de fournir des armes à une puissance cent fois plus redoutable, je veux dire à l'Anarchie qui les a perdus. Mais c'est à l'histoire à raconter.comment s'est formée cette déclaration de droits, quelle violence et quels emportements ont présidé à un ouvrage qui auroit exigé la raison la plus calme et la plus pure, comment chaque mot

étoit arraché à un parti par les clameurs de l'autre, et à quel point l'opiniâtreté s'enflammoit par la résistance. Cet historique de la Déclaration est indépendant de la déclaration ellemême; nous la considérons comme un ouvrage abstrait, sans aucun retour sur ses auteurs, ni sur les passions dont ils étoient animés. Nous ne condamnons ni leurs motifs ni leurs intentions; nous ne voulons que relever des erreurs dont les suites ont été si funestes.

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LES hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent étre fondées que sur l'utilité commune.

OBSERVATIONS.

La première proposition en renferme quatre distinctes.

1. Tous les hommes sont nés libres. 2. Tous les hommes demeurent libres. 3. Tous les hommes sont nés égaux en droits.

4. Tous les hommes demeurent égaux en droits.

Tous les hommes naissent libres. Ce début renferme une fausseté palpable. Observez les faits. Tous les hommes naissent dans un état de sujétion et même de la sujétion la plus absolue. L'enfant est dans une dépendance continuelle par sa foiblesse et par ses besoins. Il ne peut vivre que par le secours d'autrui. Il doit être gouverné pendant un grand nombre d'années, et la plupart des lois ne l'émancipent

que lorsqu'il a parcouru plus du quart de la plus longue vie, selon les probabilités com

munes.

Tous les hommes demeurent libres. Si cette liberté s'entend de l'état sauvage, de l'état de nature, des hommes errants dans les forêts, cette proposition peut être vraie; mais où est son utilité par rapport à nous? Les hommes actuels, les hommes qui naissent sous un Gouvernement, sont tous par le fait assujettis à des lois, bonnes ou mauvaises. Le défaut de liberté est le texte continuel des plaintes et des déclamations. Ces mêmes Législateurs qui déclarent solennellement que tous les hommes. demeurent libres, ne cessent de gémir sur la servitude héréditaire de la plupart des nations.

« Cette contradiction, dira-t-on, n'est qu'ap parente. Il faut distinguer le droit et le fait : les hommes esclaves dans un sens sont libres dans un autre ; libres par rapport aux lois de la nature, esclaves par rapport aux lois politiques, qu'on appelle vainement des lois, et qui ne sont point telles, puisqu'elles sont contraires aux lois de la nature. »

Voilà le langage subtil auquel on a recours quand on veut nier ce qui est, quand on est embarrassé par des faits notoires, quand on a

contre soi l'évidence de la vérité. Les lois de la nature sur lesquelles chacun raisonne à sa fantaisie, ne sont que des lois imaginaires; celui qui les allègue ne fait autre chose qu'alléguer sa volonté particulière, et veut substituer une fiction à la réalité.

Le philosophe qui cherche à réformer une mauvaise loi, ne nie pas l'existence de cette loi et n'en conteste pas la validité; la validité; il ne prêche point l'insurrection contre elle. Il expose ses raisons; il fait sentir les inconvénients de cette loi et les avantages qu'on trouveroit à la révoquer. Le caractère de l'anarchiste est tout différent. Il nie l'existence de la loi, il en rejette la validité, il veut exciter les hommes à la méconnoître comme loi, et à se soulever contre son exécution.

Tous les hommes demeurent égaux en droits. Tous les hommes, c'est-à-dire tous les êtres de l'espèce humaine. Ainsi, l'apprenti est égal en droits à son maître; il a le même droit de gouverner et de punir son maître, que son maître de le gouverner et de le punir. Il a autant de droits dans la maison de son maître que son maître lui-même. Le cas est le même entre le Père et l'Enfant, entre le Tuteur et le Pupille, entre la Femme et le Mari, entre le

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