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les pétitions tombent d'elles-mêmes, la plus libre censure n'a fait aucun mal; et même elle aura toujours produit un effet très-salutaire, en conservant dans cette Assemblée le sentiment de sa responsabilité et de ses devoirs.

On trouve partout, mais principalement dans les classes supérieures, des personnes qui, sans désapprouver la censure en général, la condamnent presque toujours dans les cas particuliers. Leur plainte habituelle contre les censeurs est qu'ils mettent trop de chaleur, trop de vivacité, trop d'aigreur, dans leurs attaques, qu'ils cherchent à irriter le public plus qu'à l'éclairer; et ils blâment cette violence, nonseulement comme indécente, mais comme imprudente et tendant à aliéner ceux dont on devroit se concilier la faveur.

Voilà un reproche auquel les censeurs politiques n'échappent presque jamais. Il est souvent mérité, j'en conviens, et c'est un grand mal; mais aussi c'est une fonction bien difficile à remplir, quand on s'y porte avec sincérité et avec zèle.

Qu'on expose des abus dans les termes les plus décents, mais sans exténuer la vérité, la plainte est toujours amère à ceux qui en sont les objets on ne sauroit dire d'avance avec

que

quel style on peut échapper à leur blâme en blessant leur amour-propre ou leur intérêt. La cause de l'irritation est moins dans la forme dans la substance. Si la politesse et la modération du censeur sont des moyens de produire un plus grand effet, cette politesse et cette modération blesseront d'autant plus la sensibilité de ceux qu'on attaque. Le ton injurieux dégrade celui qui s'en sert. On est plus offensé quand on se voit aux prises avec des personnes décentes et mesurées, qu'avec des adversaires grossiers qui affoiblissent leurs reproches par leur violence et leur exagération.

* D'ailleurs, quand on a besoin de l'opinion publique pour influor sur le Gouvernement, pour vaincre une opposition intéressée, on sent la nécessité de prendre un langage adapté à la multitude. Un simple exposé de l'abus, un argument froid et abstrait, ne produiroient au.cun effet sur le public. Il faut quelque stimulant dans l'expression ou dans le fond, pour le réveiller. Il faut sortir des idées générales qui le touchent peu, et les lui rendre sensibles par des applications personnelles. Or, dès qu'on se livre à cette éloquence populaire, dès qu'on attaque les abus dans ceux qui en jouissent, on s'expose presque nécessairement au reproche

d'animosité et de violence. Le pas est glissant. Le zèle contre les abus peut ressembler à la malveillance contre les personnes. Il y a toutefois des caractères par lesquels on peut distinl'un de ces sentiments d'avec l'autre.

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Il est des cas où le langage de la raison pure peut suffire ce sont ceux où il n'y a point de passion, point d'intérêt à combattre ; mais dès qu'il s'agit de réformer de grands abus, il y a toujours des intéressés qui s'y opposent; et même, à parler en général, ceux qui gouvernent ont toujours un certain intérêt à conserver les choses comme elles sont. Celui qui leur propose une réforme trouve d'abord un premier obstacle dans leur indolence : ils ne veulent pas une surcharge d'occupations ou des occupations d'un genre nouveau, qui les obligent à sortir des ornières de la routine. Un second obstacle se présente dans la jalousie du pouvoir et l'orgueil des hommes en place : ils n'aiment pas à recevoir des conseils, à favoriser des mesures dont ils ne sont pas les auteurs. Si elles ont un plein succès, l'honneur n'en est pas pour eux, il est pour un rival dont la réputation s'élève aux dépens de la leur.

Telles sont les difficultés qui se rencontrent dans le pénible service du Censeur politique.

Il faut qu'il les connoisse pour apprendre à les vaincre; mais il faut aussi que le public les apprécie, afin d'être en état de former un jugement éclairé sur ceux qui s'exposent, pour le servir, à une tâche aussi ingrate que périlleuse.

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CHAPITRE XII.

SOPHISME QUI TEND A CONFONDRE LES HOMMES ET LES MESURES [ad odium].

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Es plans d'attaque et de défense doivent porter sur les mesures, et non sur les hommes.

Cette règle, diametralement opposée à celle que suit l'esprit de parti, est fondée sur deux raisons principales :

1. Il est plus aisé de juger du mérite de telle ou telle mesure particulière, que de juger du mérite de tel ou tel parti, soit celui des Ministres, soit celui de l'Opposition. Une mesure proposée est un objet fixe et connu. Un parti est un être d'imagination auquel on prête aisément toutes les qualités qu'on veut.

2. Le plan d'attaque qui porte, non sur les mesures, mais sur les hommes, suppose une habitude continuelle de prévarication et de fausseté.

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D'après toutes les notions de morale généralement reçues, il est contre la droiture, dans un Membre de l'Opposition, de combattre une mesure ministérielle qui lui paroît bonne, ou de soutenir une mesure de son propre parti

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